Les vétérans et autres soldatesques salafistes, répliquent aux oulémas du Maroc. Dans une lettre signée par les détenus, il est question d'un inventaire de discorde qui en dit long sur l'état d'esprit des amis de Fizazi et Cie. Le dialogue ? Oui, semblent-ils dire. Mais qui sera mandaté pour le faire? La confiance ne règne pas dans les prisons ! Les Jihadistes passent au vert ? La question a ceci d'actuel, qu'elle coïncide avec la publication, par les détenus salafistes dans les prisons du pays, d'une lettre qu'ils présentent comme une réponse aux Oulémas du Maroc. Ces derniers avaient tenu un colloque, dont les travaux ont été dédiés à la mise à nu des allégations des prêcheurs salafistes. Casablanca, 18 mai 2007. Un millier d'oulémas se sont réunis pour débattre des meilleurs moyens de combattre le terrorisme au niveau religieux et culturel. «La norme juridico-religieuse à propos des thèses et allégations terroristes» était le thème de ce colloque organisé par le Conseil supérieur des Oulémas du Maroc. Pour Mohammed Yessef: «Il s'agit d'un sujet grave et il faut montrer ce que dit le Chariâ sur le terrorisme et le Takfir». Une réplique à toutes les velléités de dialogue ou appel à des pourparlers avec les détenus salafistes? Monter au créneau, pour les Oulémas, était la manière de remettre les pendules, un peu embrouillées par les vulgates belliqueuses, des moines soldats, à l'heure de la sérénité. Ce, à quoi les salafistes, les plus autorisés ont répondu par une nouvelle lettre signée par les détenus incarcérés aux prisons de Salé, Oukacha, Ain Borja (Casablanca), Agadir-Aït Melloul, Oujda, Meknes, El Jadida et Tanger. Donc, tous, sauf ceux qui purgent leurs peines à Fès. Là où sévit un certain Abou Hafs, Abdelilah Rafiqui. Lettre Le verbe est inchangeable, le corpus, aussi indigné soit-il, s'apparente davantage à un essai de dresser l'ordre du jour qu'à un rejet. Il est question, effectivement d'une trentaine de questions, qui donnent à première vue l'impression que les salafistes placent la dragée haute. En fait, les interrogations tournant autour des sujets qui les tourmentent. Autrement, elles ont trait au socle de leur prêché-prêcha : la lutte contre l'occupant en Palestine et en Iraq, les bases militaires dans les terres de l'islam, les festivals et autres sujets qui galvanisent les foules et qu'ils ne sont pas les seuls à soulever. Entre autres plaidoyers, et c'est l'essentiel, les détenus rejettent sans appel tous les qualificatifs Kharijites ou autres Wahhabites. Ils appellent également à une redéfinition du «terrorisme». Un appel qui vaut son pesant en… incertitudes. Fini le temps des dogmes et des rigorismes ? Loin s'en faut. Il n'en demeure pas moins que la fissure est là. D'autant plus que l'actuelle lettre directe survient, en moins d'un moins, après une autre adressée par Abou Hafs. Avril 2007 : Casablanca est violemment secouée par une série de suicides terroristes. Plusieurs islamistes, du PJD à Al Adl, en passant par des voix autorisées de la Salafiya sont montés au créneau dans le but affiché de «désamorcer la bombe». Le point d'orgue fut cependant la lettre ouverte de Mohamed Rafiki, alias Abou Hafs. Dans un premier temps, le prêcheur de la Salafiya a publié une lettre dans laquelle il croit bien faire, afin de «raisonner» les jeunes en «perdition». Ceux qui ont opté pour le «désespoir» et le «suicide», renié par la religion. Les questions fusent : est-ce un requiem pour des désespérés ou un appel à la repentance ? Une deuxième lettre vient jeter plus de lumière sur la nature de sa démarche : «je ne suis pas un Takfiriste», clame-t-il. Du coup, il accepte l'autorité des Oulémas, sévèrement jugés par les courants salafistes jihadistes et incessamment taxés du qualificatif péjoratif «Oulémas du Sultan, sinon du Taghout». Le mot est donc craché, et Abou Hafs «choisit» ses interlocuteurs: les docteurs en foi ! Une question, maintenant : la lettre des salafistes serait-elle une dépêche pour signifier qu'ils sont les seuls maîtres de leurs sort ? En d'autre termes : les détenus sabotent-ils la tentatives de Rafiqui qui, par sa démarche, tente de s'ériger en interlocuteur «assermenté» ? Il est encore trop tôt pour y voir plus clair. Mais, déjà, une chose est sûre : les salafistes sont en passe de troquer la lettre contre les grèves de la faim. Rappelons que deux ans après les attentats du 16 mai, les moines soldats avaient opté pour la ligne dure. Retour en arrière Le bras de fer n'avait pas laissé de marbre le ministre de la Justice, leur cible préférée après les services de sécurité. De déclarations en grèves, les Chouyoukh nourrissaient les mutineries. Dans une déclaration à la presse, Me Mohamed Bouzoubaâ était allé droit au but : «Cette grève de la faim est un acte politique, extrêmement bien coordonné». Surtout à quelques jours de la commémoration des attentats du 16 mai. Le communiqué signé à l'époque par les quatre Chouyoukh, appelle effectivement à «la libération pure et simple de tous les détenus», la présentation des excuses aux condamnés et à leurs familles, l'indemnisation et le dédommagement des prisonniers. Comble du comble : la demande d'une enquête internationale sur les attentats du 16 mai. En clair, les grévistes visent une mise en cause de l'Etat par une internationalisation préméditée ou présumée. Depuis le temps, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts (voir LGM: le 16 mai, une parenthèse?), et il est loin Abou Hafs qui déclarait à Al Jarida Al Oukhra : «Plusieurs indices nous indiquent que ce sont les services secrets qui sont derrière ces attentats». Puis vient le temps du sérieux mémorandum, publié alors que se tenait à Riad, en février 2005, une conférence internationale contre le Terrorisme. Un «droit de réponse», signé par Mohamed Fizazi, Hassan Kettani, Omar Haddouchi et Abdelouahed Rafiki Alias Abou Hafs, est jusqu'à maintenant, le seul document qui compte réellement. Confrontés à un rapport accablant présenté par les services marocains, les idéologues de la Salafiya tentent tout en reniant le label qui a fait leur renommée, de prouver qu'ils ne sont pas «très intégristes» mais «différemment» intégristes. Sur le plan théologique, ils récusent leur appartenance au courant excommunicateur. Ou même au Wahhabisme. Mais, là où le «mémorandum» donnait à réfléchir, c'est quand il abordait la forme du gouvernement. Les Chouyoukh y exposent pour la première fois, clairement et dans les détails, leur vision de la monarchie. «Les Oulémas ont admis la monarchie héréditaire, car l'Islam n'a pas tranché sur la forme du gouvernement», y lit-on. Un tournant inédit, qui est assorti de «l'application de la Chariâ et sa sauvegarde». S'ensuit un plaidoyer dans les règles du prêche coutumier : «La monarchie doit garantir l'unité de la Oumma», l'adéquation du «droit positif» … et on en passe. Depuis ce mémorandum, les courants takfiristes, essaient de prendre langue avec l'Etat. Et c'est là où le bât les blesse : faut-il le faire individuellement ou collectivement, et qui mandater pour amorcer ce virement? «This is the question». Ce qui revient à dire que la confiance ne règne pas dans les geôles.