Sur les flancs dégradés d'une société de consommation européenne qui ne reconnaît que la compétition et les parts de marchés, l'islamisme radical recrute au sein de populations autochtones exclues, laissées-pour-compte et fragiles. Par le biais de la conversion, l'islamisme activiste cible de plus en plus les Européens de souche pour en faire ses futurs soldats. Enquête dans des quartiers déshérités de France et d'Italie. Il s'appelait Michel. Depuis son retour de Syrie, il se fait appeler Hamza ou encore Abou Michâal. Il ne se connaît pas de père, ni de mère. Trouvé à l'aube devant la porte cochère d'un immeuble de Sergy-Pantoise, non loin des poubelles, il a été recueilli par la Direction des affaires sociales et sanitaires (DASS) et confié jusqu'à sa majorité à une douzaine de familles et d'institutions sociales. Plus tard, il fréquentera des frères de misère dans les banlieues de la Seine-Saint-Denis et de la Provence. Il se laissera convertir à un islam nourri par le dogmatisme rigoriste de Mohamad Ibn Abdelwahab et d'Ibn Taïmiya. Il y trouvera sa revanche contre cette société qui lui a interdit l'accès à une identité et refusé la reconnaissance sociale. De mosquée en salle de prière, il a appris l'arabe des livres jaunes, la haine de soi et le mépris des «mécréants». A vingt-huit ans, il brandit une barbe touffue comme on brandit une banderole. Pour lui, la démocratie, la tolérance et l'universalisme ne sont que des subterfuges diaboliques inventés par les «moustakbirine» occidentaux pour assujettir les «moustadhâafine» musulmans. La littérature, les arts et les sciences ne sont que les manifestations de la tentation et de la luxure que le diable actionne pour détourner les humains du «blanc chemin» (al-mahajja al baïda). Le dialogue ? «Comment imaginer quelque dialogue que ce soit entre le loup et l'agneau ? C'est la guerre qui prédomine. Regardez ce qu'«ils» font à nos frères en Irak, en Afghanistan, en Palestine, au Sud-Liban et ailleurs ! La seule réponse qui puisse contenter Allah, c'est le jihad?!» Et Hamza Abou Michâal de citer un verset gaillardement extirpé de son contexte?: «Combattez universellement les polythéistes comme ils vous combattent universellement !» Dans cette cafétéria située au cœur de la galerie commerçante de la cité des «4.000» d'Aubervilliers, là où se tient trois fois par semaine un marché fréquenté exclusivement par les immigrés, les tables sont parsemées de barbes. Abou Michâal se sent chez lui. Tout au long des allées du marché où s'alignent les échoppes, des quinquagénaires et des sexagénaires aux barbes plus sel que poivre font la quête pour la construction d'une mosquée?: «Contribuez à la construction de la maison d'Allah !»?; «participez à la gloire de la parole d'Allah» ; «Fi sabil Allah !» Ces quêtes sont devenues banales dans les marchés des banlieues sinistrées de la région parisienne. «En fait, ces quêtes sont effectuées uniquement pour justifier les masses financières qui se baladent entre les comptes d'associations plus ou moins douteuses. Une partie de ces sommes va financer les réseaux dormants de la nébuleuse islamo-terroriste à travers le monde», nous confia il y a trois ans un juge de la section antiterroriste du tribunal de Paris. Abou Michâal me présenta l'ami qui l'avait accompagné en Syrie et qui était en train de siroter un thé à quelques tables de nous. A peine arrivé, l'ami ouvrit son sac fourre-tout. Il en tira « Les vertus du Tabligh» (Fadhaïl At-Tabligh), un volumineux ouvrage qu'il m'exhiba sous les yeux. Son auteur, un certain Moulana Muhamad Zakaria, doit être d'extraction pakistanaise, en tout cas non arabe. En survolant quelques pages de cet ouvrage, je constatai que l'auteur s'est inséré dans le sillage de Mohamad Ilyas, un ouléma qui, en 1927, tirant les conséquences de l'injustice subie par la minorité musulmane d'Inde au milieu de l'océan démographique hindouiste, inventa le Mouvement des Frères Musulmans, duquel sortira le Tabligh plus tard. Je pensai aussitôt à Gilles Kepel qui me confia un jour cette analyse largement validée par les investigations les plus sérieuses des spécialistes : «L'islamisme radical a bénéficié de la conjonction de deux facteurs décisifs : l'ignorance de la langue arabe par les Musulmans d'Asie (Pakistan, Iran, Afghanistan, Indonésie…etc.) qui constituent la majorité écrasante du monde de l'islam, d'une part, et les financements colossaux octroyés à profusion à travers le monde, durant des décennies, par le pouvoir wahhabite saoudien. L'ignorance de la langue du Coran a engendré une conception tronquée du message mohammadien. Toutes les dérives étaient alors permises». Michel, alias Abou Michâal, n'est pas une victime isolée du prosélytisme panislamiste musclé. La détresse et le non-destin ont jeté des milliers de jeunes européens de souche dans le capharnaüm islamo-intégriste. En France, les services de renseignement estiment leur nombre entre trois et cinq mille individus. Les services britanniques évaluent le nombre des convertis à l'islamo-intégrisme dans la seule ville de Londres et sa région à 15.000 ! La diaspora indo-pakistanaise et afghane est passée par là. La frontière franco-italienne est invisible. A peine quitte-t-on la côte française où s'alignent les résidences touristiques surplombant les plages bordées de restaurants, on se retrouve à Vintimile, sur le sol italien. Des centaines d'immigrés africains et maghrébins jouent aux hommes-boutiques. Ils vendent toutes sortes d'objets signés par les labels les plus prestigieux. Ces marchandises d'imitation viennent par conteneurs entiers d'Asie. La mafia n'est pas étrangère à ce business pourtant prohibé par les instances dirigeantes de l'Union Européenne. C'est au sein de cette faune de vendeurs à la sauvette que j'ai rencontré Paulo, un primo-musulman qui s'est choisi le surnom kilométrique de Mohammad-Ali Al Mountassir Billah. Né dans un quartier infra-urbain de la grande ceinture napolitaine, d'une liaison fracassante entre une prostituée et un proxénète qui n'a jamais accepté de le reconnaître, Paulo dut se chercher un destin moins souillé. C'est au contact de Tunisiens et de Marocains engagés dans la «daâwa» qu'il s'est procuré une nouvelle identité et un sens à son existence. «L'islam m'a désintoxiqué, au sens propre comme au sens figuré. J'avais sombré dans la drogue et l'alcool jusqu'au jour où j'ai mis les pieds dans une salle de prière aménagée par un «mohcine» (bienfaiteur) tunisien. La prière et les sorties sur le chemin de Dieu (al khorouj fi sabil Allah) m'ont sauvé de la déchéance. Mon voyage au Pakistan en compagnie des frères en Dieu m'a rendu ma confiance en Allah le Tout-Puissant et en moi-même. D'ailleurs, mes frères en Dieu et moi-même partageons le fruit de notre labeur et vivons en communauté à Vintimile». Paulo Al Mountassir Billah me donna rendez-vous pour partager le dîner avec ses «frères». A la nuit tombée, il m'entraîna vers un squat où s'entasse une douzaine de jeunes dont les visages semblent mangés par l'errance. Parmi eux, je repérai un autre Italien fraîchement converti. Une gigantesque assiette en métal remplie à ras le bord par la semoule d'orge agrémentée d'huile d'olive est servie. Les «bismillah» et les cuillers se précipitèrent aussitôt à la conquête du plat céréalier. Les souvenirs d'Afghanistan fusent. Mais les récits évitent soigneusement de faire quelque allusion que ce soit aux entraînements effectués à Kandahar ou dans ses faubourgs populeux. Je ne résistai point à la tentation de poser la question qui fâche: «Quels entraînements avez-vous subi là-bas ?» La réponse ne vint qu'au bout de trois longues minutes. Un verset coranique m'est jeté à la figure comme un verdict : «Préparez-leur ce que vous pouvez en force et attelages de chevaux. Vous en terrifierez l'ennemi d'Allah et le vôtre». Littérature obscurantiste Probablement tunisien, celui qui semble être le «cheikh» de la smala se lance alors dans une diatribe fulgurante contre les fauteurs d'injustices subies par les Musulmans à travers le monde. Il conclut son serment enfiévré par cette injonction : «Ecrivez dans votre article que la promesse de la victoire sur les mécréants et leurs alliés sionistes se réalisera bientôt par la volonté d'Allah. Les jours de l'Occident sont comptés. Quant à nous, si nous sommes encore vivants, nous jouirons de la victoire de l'islam sur ses détracteurs, et si nous mourrons, c'est au paradis que nous nous retrouverons inch'Allah??!» Les yeux du «Cheikh» sont sortis depuis plusieurs minutes de leurs orbites. Une cascade de hadiths majoritairement apocryphes était venue au secours d'un discours exclusiviste, franchement raciste et antisémite. Je ne pouvais plus oser mot face à cette mitraille obscurantiste. Je demandai la permission de me retirer. L'appel à la prière est prononcé d'une voix tonitruante par l'un des «frères». D'une voix autoritaire, le «cheikh» me convia à la «salat». Prétextant une indisposition, une pierre me fut tendue pour le «tayammoum». La détresse des jeunes abandonnés en Europe par le TGV de la mondialisation constitue un terreau fertile pour le discours radical-islamiste. Ces jeunes au faciès européen peuvent se fondre dans la masse comme des poissons dans l'eau. La haine qui les habite constitue un vecteur redoutable de l'activisme islamiste. D'autant que la littérature jaune est disponible sur tous les marchés populaires des banlieues européennes. Des tonnes de livres et de supports audiovisuels sont vendues sur les étalages. Au vu et au su des autorités. Une littérature obscurantiste et guerrière qui vilipende la modernité, la démocratie, la tolérance et l'ensemble des valeurs universelles. Sur le web, les sites islamistes servent d'espace de promotion de cette pandémie mentale qui menace la quiétude et la prospérité des peuples vivant entre Tanger et Lahore. Du Détroit de Gibraltar à l'Indus ! Jean, alias abdoullah Le gitan devenu islamiste Jean Piednoël est né dans le XVIIème arrondissement de Paris. Son père gitan est mort alors qu'il n'avait que dix ans. Sa mère est partie avec un autre homme, le confiant, ainsi que sa sœur Johanna, à sa tante. Celle-ci vit à Dreux, une ville emblématique qui fit la gloire du Front National dans les années 80 et où les étrangers constituent plus de 60% de la population. C'est au milieu de cette population étrangère, essentiellement maghrébine, que le jeune Jean fera son apprentissage de la haine de la société française. Tous ses amis étaient des beurs musulmans. Les effluves d'amour prônés par le catéchisme imposé par sa tante se sont peu à peu évaporés au contact d'un monde dur, déserté par la tendresse depuis la mort de son Tzigane de père et le départ de sa mère. Les mots arabes se sont peu à peu glissés dans un parler qui s'est aiguisé au contact des tours en béton. Dès l'âge de 15 ans, Jean a commencé à faire des va-et-vient entre Dreux et la banlieue parisienne. Il a sillonné cette dernière en compagnie d'autres jeunes en rupture de rang. La haine des institutions, de la justice, de la police et des règles a eu raison de sa tête d'insurgé. De commissariat de police en commissariat de police, de cabinet de juge des mineurs en cabinet de juge d'application des peines, il finit par choisir le camp des exclus et des parias. Condamné pour escroquerie à trois ans ferme assortis d'interdiction de séjour dans la région parisienne, il se fit convertir à l'islam par son compagnon de cellule. Aujourd'hui, à 27 ans, il ne jure que par Abou Al Haïtham, son maître et ancien compagnon de cellule. Son livre de chevet ne le quitte jamais : «L'islam, âme de l'humanité», un pamphlet écrit par un certain Andy Thomas, devenu Abdullah Bilal Omowale. L'auteur du pamphlet a été condamné à mort en 1975 pour avoir pris part à un mouvement de rébellion dans l'Île de Trinidad dans les Caraïbes. C'est en prison qu'il commit son pamphlet où christianisme et judaïsme sont fustigés tout au long des deux cents pages du livre. Edité à Lyon par la librairie Tawhid, ce livre a été vendu à des dizaines de milliers d'exemplaires. Dans le snack halal attenant à la grande mosquée d'Evry, Jean, alis Abdoullah, ne tarit pas d'éloges sur celui qu'il appelle son «cheikh» Abou Al Haïtam. Celui-ci lui apprit des dizaines de sourates et autant de hadiths. Il lui a surtout appris de traiter les non-Musulmans en brebis égarées à remettre sur le droit chemin et, en cas d'échec, en ennemis. Face à moi, il a consenti à parler uniquement «pour porter très haut la parole d'Allah». Il s'est même prêté à la séance photo pour la même raison. «Je suis prêt à sacrifier ma vie pour cela», m'asséna-t-il. Le regard enflammé, il me dit sa volonté de partir en Irak pour combattre aux côté des sunnites «décimés par milliers par les Américains avec la complicité des égarés chiîtes». Un jeune homme de vingt-sept ans que la nébuleuse islamo-terroriste peut embrigader du jour au lendemain.