Quatre mois, presque jour pour jour, après le septième congrès, l'USFP est en face d'une éventuelle zone de turbulence. Au cœur du quiproquo, le secrétaire d'Etat à la Jeunesse : Mohamed El Gahs. Rappel des faits. L'USFP vivra-t-elle, encore une fois, une enième déchirure ? Ce n'est pas jouer les cassandres, ni les oiseaux de mauvais augure que de poser la question. Le malaise couve, depuis quatre ans, presque jour pour jour déjà. Depuis la tenue, les 10, 11 et 12 juin 2005, du septième congrès, le "phénomène El Gahs" ne cesse de s'enfler et, chaque jour davantage, ravive les inquiétudes au sein du parti socialiste aux mille remous. Pas plus que la semaine dernière, le secrétaire d'Etat à la jeunesse et non moins membre du bureau politique a fait plus de trois sorties médiatiques. L'une plus explicite, et surtout plus fracassante, que l'autre. Action réfléchie ou simple réaction "épidermique" suscitée par des ambitions "amplifiées" ? En fait, il faut remonter à l'été 2005 pour y voir plus clair. Que ce soit lors des septièmes assises du parti de Bouabid ou juste après, le nom de l'ancien protégé de Mohamed Elyazghi revient sans cesse. Ce fût d'abord en termes, conflictuels certes, mais habituels de conclaves dits historiques. "Une liste noire", prétendument peaufinée avec le maître d'œuvre du congrès Elyazghi lui-même avait circulé. El Gahs y siège en bonne place. Coup tordu ? Coup bas ? Manœuvre ? Une chose est sûre : dans un coup de théâtre, Mohamed Elyazghi monte au créneau, une première dans les annales du parti socialiste marocain, pour "mettre fin à cet amalgame" et condamner "l'usage à des fins désavouées de son nom." A vrai dire, se souvient un congressiste, c'est Khalid Alioua, lui-même victime de la machination qui a tout suscité. Allant droit au but, il a mené le bal, certes. Il n'en demeure pas moins, qu'El Gahs, en sort gagnant. Le vote, pour élire les membres du conseil national, le réconforte dans son " star mania ". "Star" du congrès, il l'était jusqu'à l'élection du bureau politique. Entre temps, la presse y met du sien et en fait, à la fois, l'heureux et la victime. Heureux, car, nombre de publications le donnent pour le meilleur élu. Victime, sa réussite n'a pas été "officialisée". Donc, il y a anguille sous roche. Ou c'est, à tout le moins, ce que semble défendre ses inconditionnels. Lors de l'élection du bureau politique, il a été jusqu'à inciter les membres du conseil national, fraîchement élus, à changer une des résolutions-clé : renouveler le 1/4 de la direction. El Gahs fait le jeu de "la base" et celle-ci le suit. Résultat : tous les membres de l'ancienne direction sont reconduits, les nouveaux-venus, eux, sont très rares. Echec et mat : au lieu d'un casting où il est en position de chef de file, il se trouve en minorité. Le lendemain, la presse tire dans le tas. "L'USFP rate son rendez-vous avec l'histoire", titre "A.L.M". Simple sympathie ? L'édito est cependant très explicite : El Gahs aurait été le Zapatero du parti socialiste. Le vent en poupe depuis le 6ème congrès, M.E.G y songeait-il ? "Au sein du bureau politique, commente ce responsable socialiste qui requit l'anonymat, on le savait dévoré par le feu de l'ambition". Mais de là à songer à " tuer le père, il y a un pas qu'il ne devrait pas franchir", renchérit un autre observateur. Tuer le père Il faut remonter le temps pour saisir la portée de ce clin d'œil freudien. 1993, Casablanca. "Libération", l'hebdo francophone de l'USFP dont le patron n'est autre que Mohamed Elyazghi, passe au quotidien. "Un coup de chance", se rappelle Mohamed El Gahs à qui on a fait appel pour assurer la "direction de la rédaction". "Il a carte blanche", dira Elyazghi aux rares journalistes de l'époque. Depuis lors, le nom d'El Gahs y est assimilé. De journaliste, il s'évertue à coudre des habits d'homme politique. Avec la bénédiction, et surtout le parrainage de son mentor ; Mohamed Elyazghi. En 2001, il a été élu membre du Comité administratif, avant de décrocher un siège au Parlement, en 2002. Avec l'avènement du gouvernement Jettou, il est nommé secrétaire d'Etat à la Jeunesse. Il soigne son image et affiche de plus en plus ses ambitions ; mais l'on est encore loin du "Cas El Gahs". Depuis juin 2005, date du dernier congrès, El Gahs croit bien faire en "volant de ses propres ailes". Homme de presse, il sait comme quiconque que ce qu'il appelle son destin passe par l'écrit et l'image. "En fait, croit savoir ce membre du conseil national, ses premiers vrais messages, il les a envoyés via Tel Quel ". De quoi s'agit-il en fait ? "Du portrait que lui a brossé l'hebdo, continue la même source, on retient surtout une phrase assassine où un de ses proches déclare sans ambages que Mohamed Elyazghi manque de courage politique". Paradoxalement, c'est ce dernier qui apaise les esprits. "Un parti qui vient de clore ses travaux, et surtout se relooker, ne peut se permettre une nouvelle zone de turbulence" ; explique un membre du parti. Pourtant, le malaise s'installe. Boycottant les réunions de la direction, El Gahs semble faire cavalier seul. Au sein du parti, on ne s'inquiète pas outre mesure. Jusqu'au jour où il se met "à table" avec le Journal. Ses propos, à la limite de l'ironie, suscitent une réelle réaction de désapprobation. "Il y a des vieux qui s'accrochent, et j'en suis fatigué", confie-t-il. Le jeune loup a les dents trop longues : c'est ce que Elyazghi aurait découvert. L'impardonnable est à venir : "l'USFP n'est pas mon mouvement !" Guerre larvée Réellement irrité, le premier secrétaire du parti rappelle son poulain (ex ?) à l'ordre. "Passe encore la critique envers les vieux, mais ne pas être fier de l'USFP, s'emporte-t-il, c'est inadmissible." El Gahs est ensuite prié de publier une mise au point qui ne verra jamais le jour. Entre temps, "Libération" se cherche un autre timonier, surtout que la majorité du "staff" El Gahs a quitté ou est en voie de quitter le navire. Le doute s'installe et l'ambiance s'envenime. "Elles ont cependant ce mérite : les choses s'emballent et le jeu devient plus clair", croit savoir un membre du Conseil national. Et pour cause. Dépoussiérant une contribution qu'il a présentée lors des préparatifs pour ledit congrès, El Gahs publie "un manifeste" pour "une nouvelle école socialiste". Pas moins. ! Est-ce une manière de mettre en cause tous les rapports, motions et autres plates-formes adoptés au cours des assises ? Quoi qu'il en soit, Elyazghi croit y déceler une façon indirecte et singulière de publier une mise au point. Le lendemain, le manifeste est repris simultanément par "Libération" dont El Gahs n'est plus directeur de rédaction et… Al Ittihad Al Ichtiraki. Un ping-pong, dont on retient l'essentiel : déjà vêtu d'une étoffe de "leader", El Gahs joue avec son mentor. Il est donc un sacré adversaire présumé. Pour preuve : ce jour même, un édito signé "la rédaction", fait acte d'un départ collectif. "Clause de conscience", le titre de l'édito évoque surtout le "stalinisme" de la hiérarchie et la fin d'une aventure humaine. Point d'orgue. Le dernier édito des amis d'El Gahs est publié à l'insu du directeur, Elyazghi en personne. "Ingratitude", laisse-t-on entendre. Moins d'une semaine après, les duels feutrés laissent la place à la fronde publique. D'interviews en déclarations, il laisse entendre qu'il est capable d'être " premier secrétaire " dit l'un de ses amis. Stratégie Pour sa part, lui défend surtout " une sensibilité politique majoritaire ". Pour certains, rien n'est improvisé dans ses sorties médiatiques. " La date du conseil national approche (28 octobre), et El Gahs balise au millimètre son escalade. " D'autres y voient une fuite en avant : " Encore faut-il fuir dans le bon sens ", commente un jeune socialiste, non sans ironie. Deux répliques, le cas échéant, prêtent à la méditation. Jeudi dernier, Abdellatif Jebro, chroniqueur célèbre d'Al Ahdath Al Maghribia, n'y va pas de main morte. D'abord, il somme El Gahs, de "quitter le Parlement et le gouvernement tant il est vrai qu'il doit les deux sièges à l'USFP". Ensuite, il lui décoche un dard venimeux. " Nous aussi -écrit Jabro- avons péché en élisant des gens qui n'ont fait preuve, ni d'expérience, ni de patience ni d'humilité ". Deuxième réplique, d'ordre plutôt intellectuel. Elle est signée par Soufiane Khairat. Ex-secrétaire général de la Jeunesse USFP et membre du C.N, Khairat qualifie le "manifeste" de M.E.G d'un positionnement à la fois idéologique et politique ", et où "les propos sont inlassablement tautologiques". Plus, le jeune Khairat trouve que "le manifeste de M.E.G est muet" à propos des revendications démocratiques actuelles de l'USFP. Où ira El Gahs ? Réponse d'un vieux routier du parti : "une chose est certaine, beaucoup de militants ont déjà le sentiment d'être floués". A quelques mois des législatives 2007, toute "mutinerie" aura une incidence fâcheuse sur le moral des troupes et l'image de marque du parti. Chacun en est conscient, bien que les calculs des uns ne sont pas forcément ceux des autres. "Mais avant le verdict des urnes en 2007, la direction est appelée, avertit un militant, à veiller au respect du vote des militants". En clair : " François Hollande, le chef du PS français, a été des plus clairs en déclarant que ceux qui ne respectent pas le vote des militants sont tenus de partir ". That's the question !