Les amendements adoptés à la Chambre des conseillers, dans le cadre du vote du PLF 2026, montrent une volonté de concilier deux impératifs légitimes : renforcer les recettes publiques et préserver la compétitivité du tissu entrepreneurial. Eclairage. Suivez-nous sur WhatsApp Suivez-nous sur Telegram Dès la publication du PLF 2026 en octobre, plusieurs spécialistes de la matière fiscale se sont accordés pour dire que l'extension de la retenue à la source (RAS) au secteur privé est l'une des mesures phares du projet de Loi de finances, adopté cette semaine, par la Chambre des conseillers. Pour rappel, cette extension consistait, entre autres, à soumettre à la RAS en matière de TVA toutes les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 MDH (y compris les établissements de crédit et les compagnies d'assurance). Ce dispositif a fini par être amendé au niveau de la Chambre des conseillers. L'option finalement adoptée et marquée du sceau de la progressivité concentre la RAS en matière d'IS et de TVA sur les entreprises dont le chiffre d'affaires (hors TVA) dépasse 500 MDH (applicable dès juillet 2026), puis 350 MDH (en janvier 2027) et 200 MDH (seuil applicable en janvier 2028). Au regard de ce qui précède, il est plus que légitime de s'intéresser à l'impact de ces nouveautés sur les objectifs initiaux de l'instauration de la RAS par l'Exécutif, à savoir la modernisation du recouvrement, l'élargissement de l'assiette, la sécurisation de la ressource fiscale et la formalisation d'une partie du secteur formel. Sur ce volet, Zakaria Fahim, expert-comptable et parton du cabinet BDO Maroc, sollicité par La Vie Eco, apporte plusieurs éléments de réponse. Des mesures qui vont dans le bon sens «Les amendements de la RAS me confirment une chose simple : l'Etat a compris qu'on ne peut pas continuer à élargir la retenue à la source comme on allume un interrupteur du jour au lendemain, sans tenir compte de la capacité d'absorption du tissu productif. La progressivité dans le temps et le ciblage des très grandes entreprises vont dans le bon sens, à condition de ne pas oublier ceux qui sont en bout de chaîne : les PME, les TPE et les indépendants», admet le commissaire aux comptes. Concernant les finances publiques, les modifications précitées auraient peu d'impact sur les objectifs initiaux de l'extension de la RAS au secteur privé. D'ailleurs, selon notre expert, l'objectif des amendements est clair : sécuriser et lisser la ressource fiscale, mieux tracer les flux, réduire la fraude et les comportements opportunistes. Le pari sur les entreprises robustes Fahim est formel : en concentrant la RAS sur les acteurs dont le chiffre d'affaires dépasse 500 MDH, puis 350 MDH, ensuite 200 MDH, le législateur s'appuie sur des entreprises qui ont des systèmes d'information robustes, des directions financières structurées et une capacité de mise en conformité bien supérieure à la moyenne. Notons que l'avantage pour le Trésor public, c'est aussi plus de prévisibilité, moins d'arriérés et une meilleure capacité à piloter la trajectoire budgétaire. Ceci dit, notre source alerte sur l'impact indirect de cette mécanique sur le tissu entrepreneurial. «En transformant les grandes entreprises, banques, assurances et grands groupes privés en "collecteurs d'impôt", on déplace une partie de la charge administrative et de la pression de conformité vers l'amont, mais celle-ci finit toujours par se diffuser vers l'aval : les sous-traitants, les prestataires, les TPE», prévient-il. D'ailleurs sur ce point, de l'avis de plusieurs fiscalistes, des mesures doivent être prises afin d'éviter de recréer, selon eux, ce que l'on observe déjà au niveau d'autres dispositifs à améliorer en termes de calibrage : une incitation à rester dans l'informel ou à fragmenter artificiellement l'activité pour contourner les seuils, au lieu de grandir sereinement. Quatre prérequis au succès de l'extension de la RAS Selon le patron du cabinet BDO Maroc, pour que cette réforme atteigne ses objectifs sans casser la dynamique entrepreneuriale, quatre conditions doivent être réunies. Il s'agit de la neutralité en trésorerie pour les entreprises, la simplicité et digitalisation du dispositif, la protection explicite du maillon faible de la chaîne de valeur et la clause de revoyure et évaluation d'impact. Concernant la neutralité en trésorerie pour les entreprises, puisque la RAS génère des crédits récurrents d'IS ou de TVA, il faut des mécanismes simples, rapides et digitalisés de restitution ou de compensation. Cela empêcherait de transformer les entreprises en caisses d'avance de l'Etat, ce qui est très dommageable pour les PME à faibles fonds de roulement. Pour ce qui est de la simplicité et de la digitalisation du dispositif, l'extension de la RAS doit s'accompagner de la réduction de la complexité déclarative. «Un système lisible, intégré, appuyé sur des plateformes digitales et des échanges de données automatisés, est indispensable pour éviter d'augmenter le "coût de conformité" des entreprises», recommande notre expert. La protection explicite du maillon faible de la chaîne de valeur implique que le dialogue avec les instances professionnelles doit intégrer la réalité des TPE-PME, pas uniquement celle des grands groupes. De plus, il est opportun de mesurer l'effet de cette réforme sur les délais de paiement, la négociation commerciale et l'accès au financement. Enfin, à propos de la clause de revoyure et évaluation d'impact, notons qu'il est essentiel de prévoir une évaluation régulière : impact sur les recettes, mais aussi sur la trésorerie des entreprises, le formel vs l'informel, l'investissement et l'emploi. Ces amendements montrent une volonté de concilier deux impératifs légitimes : renforcer les recettes publiques et préserver la compétitivité du tissu entrepreneurial.