Le Haut commissaire au plan, Ahmed Lahlimi, peut désormais jubiler, ou presque. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié, hier à Paris, son nouvel indicateur de référence censé mesurer «le mieux vivre des sociétés», le Bonheur intérieur brut (BIB). Certes, il ne s'agit pas encore d'un remplacement du fameux indice de développement humain (IDH), qui attise ces dernières années la colère des autorités marocaines, principalement le HCP, en raison du classement peu reluisant qu'il a réservé au Maroc, mais cela sonne comme une victoire pour les experts marocains qui depuis appellent à l'adoption d'un nouvel critère qui prendra en compte les réels progrès réalisés par chaque pays, notamment sur le plan de l'amélioration qualitative et quantitative des conditions de vie des citoyens. C'est désormais chose faite avec le BIB, qui viendra remplacer le PIB dans la mesure des progrès des sociétés. Le changement de ce paradigme a été légitimé par un constat clair, ou du moins une simple interrogation. Les conditions de vie des individus s'améliorent-elles cependant au même rythme que la croissance ? Pas si sûr, ont estimé les chercheurs de l'OCDE, qui dix ans durant se sont penchés sur la question. Il a fallu la crise économique de 2008 et ses conséquences pour qu'ils accordent leurs violons sur le fait que les moyens traditionnels utilisés pour mesurer la santé économique globale d'un pays et qui sont fondés sur les statistiques macroéconomiques (comme le PIB), «n'étaient pas à même d'appréhender la réalité de la vie des individus dans un monde globalisé et complexe». En effet, alors que l'économie mondiale globalement se relevait tout juste de la crise, certaines économies émergentes affichaient «une croissance à deux chiffres» et au niveau des pays industriels, «l'expansion économique précédant la crise s'est accompagnée dans nombre de cas d'un creusement des inégalités sociales». Si donc l'argent ne fait pas le bonheur, comment peut-on rendre une vie meilleure ? Le progrès a-t-il le même sens pour tous les individus, dans tous les pays et toutes les sociétés ? Telles sont alors les questions qui ont surgi et conduit par la suite à l'établissement du BIB, lequel se base sur une série de 11 critères englobant la mesure d'une «vie meilleure». Pour l'OCDE, qui a initié le projet, «Mesurer le progrès des sociétés», il faudrait encourager l'élaboration «d'indicateurs économiques, sociaux et environnementaux de base pour mesurer le bien-être des sociétés». Un défi permanent en réalité puisque dès 1962, peu après la naissance de l'OCDE, l'économiste américain et prix Nobel d'économie 1971, Simon Kuznets, avait souligné qu'il «faut garder à l'esprit les distinctions entre quantité et qualité de croissance, entre coûts et rendement, et entre court et long termes. Des objectifs de croissance plus forte devraient préciser la nature et le but de cette croissance». Le BIB qui servira de base au nouveau classement des pays OCDE sera progressivement étendu aux autres régions du monde dès 2012, date à laquelle le Maroc pourra, peut-être, réellement mesurer les progrès réalisés à travers l'INDH que les autres indicateurs comme l'IDH, semblent ignorer, dixit Lahlimi. Croissance verte La présentation du nouvel indicateur sera faite en marge du Forum annuel de l'OCDE, coïncidant cette année avec son 50e anniversaire. À cette occasion, plusieurs rapports ont été publiés, fruit de longues années de recherche, afin de soutenir la reprise économique et le développement de par le monde et en fonction des enjeux actuels. Dans son rapport «Pour une croissance verte», l'OCDE a ainsi souligné le fait que les défis actuels auxquels le monde fait face légitiment l'idée que « nous ne pouvons plus continuer avec les mêmes idées et les mêmes politiques qu'avant 2008». Pour l'OCDE, les décideurs publics sont, aujourd'hui, confrontés à «un taux de chômage record, à des déficits budgétaires insoutenables et à une croissance lente, tandis que les préoccupations environnementales et climatiques prennent de plus en plus d'importance». D'où le nouveau concept de «croissance verte», qui est un modèle permettant de «poursuivre une croissance et un développement viables à la fois sur le plan économique et écologique». Le projet définit, ainsi, de nouvelles sources d'activités, d'emplois et de technologies écologiques, tout en gérant «les changements structurels associés à la transition vers une économie plus verte». Un projet sur lequel le Maroc est déjà bien avancé à travers le Plan Maroc Vert, dont les axes stratégiques convergent dans la même direction. Les experts de l'OCDE se sont également penchés sur la problématique de l'emploi et de la formation surtout pour les jeunes. Les conclusions qui ont été déclinées à ce sujet ont préconisé l'adoption, urgente, de «politiques efficaces et innovantes pour relancer la création d'emploi», notamment à travers l'instauration de conditions favorables à l'entrepreneuriat, ce qui, selon l'OCDE, «peut passer par des avantages fiscaux accordés aux entreprises ou encore l'octroi d'aides à l'embauche pour des entreprises qui recruteraient des travailleurs sans emploi depuis plus d'un an». Un point qui ne manquera pas d'intéresser les autorités marocaines et surtout le patronat, engagés dans l'adoption d'un pacte pour l'emploi. Le Maroc sur la bonne voie ? Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'au regard des pistes que recommande l'OCDE pour la croissance mondiale, le Maroc est sur la bonne voie. Les réformes politiques et surtout les différentes stratégies sectorielles (Maroc Vert, Maroc Numéric 2013, Halieutis, Pacte pour l'émergence industrielle...) sur lesquelles table le royaume pour son émergence économique à l'horizon 2020, sont autant de leviers permettant de réussir le pari. Il est vrai qu'il reste encore des ajustements à apporter, afin de dynamiser le potentiel national. Il s'agit particulièrement de l'assainissement des finances publiques, dans le sens de réduire le déficit public et de la réduction des disparités entre hommes et femmes dans tous les secteurs. L'OCDE préconise également de promouvoir des mesures adéquates pour restaurer la confiance des citoyens. Des pratiques comme la fraude fiscale et la corruption, «qui privent l'Etat de recettes, faussent l'activité économique et alimentent les inégalités et le sous-développement» doivent ainsi être éradiquées. Pour garder la confiance de leurs électeurs, «les gouvernements doivent être capables de convaincre les citoyens que leurs affaires sont dans de bonnes mains», souligne l'organisation. Et de conclure que «la confiance et la bonne gouvernance sont indispensables pour permettre à nos économies d'aller de l'avant».