Le gouvernement compte revoir de fond en comble le mécanisme de subvention de la farine de blé tendre pour mettre fin à l'anarchie qui gangrène le système. À l'étude, une suppression du soutien de l'Etat avec, en prime, une hausse du prix réglementé (actuellement fixé à 2 DH/kg). Les minoteries, elles, revendiquent des mesures d'accompagnement pour faire passer la pilule. Après les produits pétroliers, la farine sera-t-elle retirée des produits subventionnés ? En tout cas, la réflexion est bel et bien lancée au sein de l'Exécutif. Selon nos informations, il s'agit de revoir tout le mécanisme de subvention de la farine de blé tendre et ceci en agissant sur deux volets : une suppression de la subvention qui s'élève à près de 1,5 MMDH et l'augmentation du prix de vente du kilo actuellement fixé à 2 DH. Une décision, qui si elle est prise, risque de chambouler la donne pour la profession : «Une telle décision n'aura aucun impact sur le consommateur. En revanche, les minoteries, en particulier celles installées dans des régions reculées, risquent d'en faire les frais. Cette mesure doit être décidée en concertation avec la profession», indique un professionnel. Le gouvernement n'a pas encore tranché. La forte sensibilité nationale autour de la sécurité alimentaire en céréales justifie le maintien de mécanismes de régulation sur toute la chaîne de valeur des produits de cette filière, depuis la production agricole jusqu'au consommateur final. L'ONICL joue un rôle central dans cette régulation. Cela en dépit des dysfonctionnements qui gangrènent tout le système et qui ont été pointés du doigt par plusieurs organismes. Un système qui «laisse grandes ouvertes les pratiques de rente et de fraude», avait conclu le Conseil de la concurrence dans une étude réalisée en 2012. À cela s'ajoute l'absence de ciblage des populations concernées et un manque de visibilité dans le mécanisme d'importation. Un coup de pied dans la fourmilière est donc le bienvenu ! Facture salée Cependant, la réduction des dépenses demeure l'une des raisons principales derrière cette opération. Les farines subventionnées sont issues du blé tendre produit localement ou importé. En 2012, le montant des subventions y afférentes s'est établi à 3 MMDH, répartis presque à égalité entre la farine nationale de blé tendre, soumise à contingent et le soutien du blé tendre destiné à la fabrication des farines panifiables. Le soutien accordé au blé tendre a connu en effet une nette augmentation ces dernières années. «L'augmentation de la compensation enregistrée depuis 2007 est due principalement à la prise en charge par l'Etat, à travers divers programmes, des conséquences de la flambée des cours internationaux. La part des importations du blé tendre oscille entre 30% et 80%, en fonction du volume de la production nationale», constate la Cour des comptes dans son rapport sur le système de compensation au Maroc. Face à des campagnes agricoles moyennes et une demande qui ne cesse d'augmenter, le Maroc a mis le paquet sur les importations ces dernières années pour répondre aux besoins. Durant la campagne 2013/2014, le niveau des importations de blé tendre placerait le Maroc en 7e position mondiale en quantités globales importées. Si on pondère ce classement par le nombre d'habitants, le Maroc serait le deuxième importateur mondial après l'Algérie. L'évolution des cours internationaux a peu d'effet sur les quantités importées, mais elle impacte directement la charge de compensation. En 2012, les importations de céréales se sont élevées à près de 59 millions de quintaux dont 49% de blé tendre. Le calcul de la charge de compensation à l'importation, lui, est effectué par rapport au prix formulaire de 260 DH le quintal. Un niveau de soutien qui permet de fixer le prix du kilo de la farine à 2 DH et de maintenir le prix du pain à 1,20 DH. Néanmoins dans la pratique, ces tarifs ne sont pas toujours respectés ! Anarchie des prix En principe, l'Administration fixe, pour chaque campagne, les conditions d'achat, de vente et d'utilisation du blé tendre destiné à la fabrication de la farine subventionnée par l'Etat. Toutes les étapes sont réglementées par la loi : conditions d'approvisionnement des minoteries industrielles, barèmes de bonification ou de réfaction à appliquer suivant la qualité, conditions de rémunération des frais de magasinage, montant de la marge de rétrocession allouée aux commerçants en céréales et légumineuses ainsi qu'aux coopératives de commercialisation de ces produits et à leurs unions, de même que les éléments entrant dans le décompte des prix de revient de la farine subventionnée... Néanmoins, «les dysfonctionnements du marché local impactent négativement les prix à la consommation. Les prix de vente officiels ne sont pas toujours respectés en raison des difficultés de contrôle du marché du détail», indique le rapport de la Cour des comptes. Et d'ajouter : «Le circuit de distribution des farines subventionnées n'est pas totalement maîtrisé. Il l'est encore moins quand il s'agit de FNBT ( farine nationale de blé tendre) dont les prix échappent à tout contrôle dès la sortie des minoteries. Les prix de vente de ce produit ne sont pas toujours respectés par les opérateurs économiques, notamment dans les zones excentrées». Ces dysfonctionnements sont connus et reconnus au sein de la profession. Selon une étude sur les perspectives d'évolution du secteur meunier, commanditée par la Fédération nationale de la minoterie en 2012, «les prix pratiqués sont systématiquement supérieurs à ceux convenus et ceci en raison de l'importance de la demande en farine subventionnée qui est toujours supérieure à l'offre». Des distorsions sur les prix sont observées et confirmées par cette étude qui estime que le prix de la farine de blé tendre réellement payé par le consommateur se situe entre 2,60 et 3 DH/kg au lieu d'un prix officiel de 2 DH/kg. Selon les calculs fournis par cette étude, on devrait avoir en principe une farine sortie usine «nue» à 182 DH/q, un coût d'emballage de 10 DH/q, un prix sortie moulin «farine emballée» à 192 DH/q, une marge du grossiste variant entre 68 et 108 DH/q, un prix pour le consommateur de 260 à 300 DH/q. Dans tous les cas, compte tenu des prix réellement pratiqués, qui varieraient entre 260 à 300 DH le quintal, du prix officiel fixé à 200 DH/q et de la subvention arrêtée à 143,37 DH/q, le montant réel de la subvention dont bénéficie le consommateur s'établirait entre 43,4 DH/q et 83,4 DH/q, soit l'équivalent de 379 à 728 MDH. Pistes de réformes Le rapport de la Cour des comptes sur le système de compensation a émis plusieurs recommandations pour remédier aux dysfonctionnements de la subvention de la farine. Il s'agit de «renforcer le contrôle des prix de la farine nationale de blé tendre afin que les populations cibles bénéficient pleinement des subventions supportées par l'Etat et éviter qu'une partie ne soit déviée au profit des opérateurs et des intermédiaires», de «sécuriser les approvisionnements en recourant à des achats massifs, en période de détente sur les cours, sous la supervision d'un Comité de veille de la compensation». Il est recommandé aussi d'«améliorer les conditions de collecte et de développement des infrastructures de stockage» et de «continuer l'effort d'optimisation pour contingenter les quantités de la farine nationale de blé tendre en ciblant davantage les bénéficiaires sur la base de critères d'éligibilité répondant à la finalité du système».