La guerre des tranchées à laquelle se livrent les syndicats prend de plus en plus une tournure dramatique pour l'économie. À la fin du premier trimestre de cette année, le nombre des grèves a enregistré une hausse de 77,78% par rapport à la même période de l'année 2010, passant de 45 à 96 mouvements. Cette hausse a engendré une perte de 31.330 journées de travail. Bien évidemment, en l'absence de statistiques, le coût des grèves n'a jamais été chiffré. Si toutes les centrales syndicales sont concernées par ces mouvements de grève, la CDT, classée quatrième en termes de représentativité, s'est bien distinguée cette année. À Meknès, Tétouan et Mohammedia, le syndicat dirigé par Noubir Amaoui a été derrière les débrayages qui ont fortement altéré la trésorerie de la société Tecmed (voir page 10). «Virulence antiéconomique» À Settat, la CDT est également très active ces derniers temps. Son antenne régionale dirige depuis plus de deux mois une série de grèves et de sit-in. Cristalstrass, Roca, Bel Dinde, ou encore Settavex... les quatre entreprises ont toutes été secouées par des conflits sociaux les opposant aux syndicalistes de la CDT. Le spécialiste espagnol de la fabrication de porcelaine sanitaire Roca, qui négocie actuellement une sortie de crise avec ses ouvriers, a été confronté à un blocage de la production depuis le 3 novembre dernier, ce qui lui aurait coûté plus de 40 millions de DH. Une situation que la maison mère, elle-même en difficulté, ne pourrait pas tolérer. Les observateurs estiment que si le conflit perdure, il pourrait conduire à la fermeture de la filiale marocaine, avec une perte de 460 emplois, que la maison mère pourrait facilement encaisser, puisqu'elle s'est engagée depuis l'année dernière dans une restructuration en opérant une chirurgie lourde, notamment au niveau de ses RH, avec la suppression de 500 emplois en Espagne. Pour rappel (www.leschos.ma), la grève et le sit-in durent depuis plus de 50 jours. Non loin de l'entreprise espagnole, une autre société ibérique est dans la même situation. Settavex, spécialiste du textile, est depuis le début de ce mois en conflit direct avec le bureau syndical de la CDT avec, pour résultat, des sit-in ouverts avec arrêt quotidien d'une heure de la production à partir de 14 heures. Selon la CDT de Settat, les débrayages font suite à «la rupture des négociations relatives aux conditions du travail». L'entreprise fait travailler plus de 600 ouvriers. Bien évidemment, ces arrêts de production quotidiens auront un lourd impact sur la trésorerie de l'entreprise. En outre, cette dernière pourrait ne pas profiter du retour des grands donneurs d'ordre sur le marché marocain, après une crise qui a duré des années. Bel Dinde(Koutoubia) n'est pas non plus épargnée. La CDT qui tente d'y installer un bureau syndical conduit un sit-in ouvert depuis plus de 20 jours et 80% des ouvriers (plus de 140) y participent. Enfin, Cristalstrass, dont le management vient de signer un protocole d'accord, il y a près de 20 jours avec la CDT, a dû faire face à un conflit social appuyé par des sit-in quotidiens qui ont duré plus d'un mois. «À mon sens, il s'agit plus d'un marquage territorial opéré par ce syndicat qui veut prendre de vitesse les autres syndicats», note un opérateur de la région. Cette thèse est confortée par le fait que les syndicats n'étaient pas présents au niveau de la zone industrielle de Settat, un vide qui attise les convoitises. D'ailleurs, la CDT a su souffler à l'UMT son positionnement dans deux sociétés de la région. Selon l'antenne régionale de la centrale, il y a eu démission collective des bureaux syndicaux de l'UMT dans Roca et Puman. «Leurs représentants ont par la suite rejoint les rangs de la centrale de Amaoui», affirme le secrétaire général de la CDT Settat, Mohammed Bouhadda. Selon un opérateur de la région, «ces mouvements, une sorte de virulence antiéconomique qui prolifèrent suite au laisser-aller constaté depuis le printemps arabe, risque de déstabiliser toute une région stratégique pour l'économie nationale». La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), qui semble être impuissante devant ces grèves, et le contexte politique actuel marqué par les effets du printemps arabe, a d'ailleurs réuni une dizaine d'opérateurs de la région de Settat pour connaître les vraies raisons de cette montée soudaine des mouvements syndicaux. Conclusion, les débrayages qui ne sont conduits que par la CDT, pourraient selon le patronat conduire à la fuite des investissements. «On arrivera au degré zéro investissement», indique-t-on auprès de la CGEM. D'ailleurs, des industriels espagnols qui opèrent dans la ville de Settat ont déjà manifesté leur ras le bol des grèves répétitives. Pis encore, certains d'entre eux n'excluent pas une éventuelle fermeture de leurs usines. Grosses pertes à Tanger Med La liste des entreprises marquées par le débrayage de la CDT est longue. En mars dernier, Poste Maroc en avait aussi payé les frais, suivie par Maroc Telecom et de l'Office national des aéroports, entre avril et juin de la même année, sans oublier les ministères. Par ailleurs, les sit-in ne sont pas limités aux seules entreprises concernées. Dans certains cas, dont celui de Roca notamment, ces sit-in ont également touché les bâtiments des autorités locales. Ceci étant, la question qui se pose est de savoir, si les syndicats, notamment la CDT n'ont pas choisi le mauvais moment pour manifester à leur manière, leurs revendications, sachant que la période actuelle est très critique. En Tunisie, Yasaki vient de fermer son usine à cause des grèves répétitives qui sont la conséquence de la mauvaise appréhension de la démocratie. Certes, les droits des salariés doivent être protégés, mais l'outil industriel ou de production qui assure ces salaires doit l'être également. Autrement, on devra faire face aux faillites des entreprises, un schéma qui, dans des moments de crise comme c'est le cas actuellement, serait vite adopté par les entreprises étrangères. Récemment, sous le poids des grèves répétitives, plusieurs sociétés opérant dans le port de Tanger Med ont procédé au transfert de leurs activités vers des ports espagnols. Ce n'est pas tout, les débrayages ont réduit l'activité commerciale du port de 70% durant le mois d'octobre. Une situation qui a amplement profité aux ports espagnols concurrents. Celui d'Algésiras, par exemple, a enregistré une augmentation de 71% en termes de trafic de conteneurs, en octobre, par rapport au même mois de l'an dernier. Le port de Malaga, qui vivait presque une situation d'agonie, a su redresser la barre grâce aux grèves dans le port de Tanger Med.