En 2024, le Maroc affiche une conformité totale grâce à une administration performante et un solide réseau international, respectant intégralement le cadre OCDE. Pendant ce temps, le récent rapport de cette organisation, sur la transparence fiscale, révèle une Afrique à deux vitesses. Détails. Le récent rapport de l'OCDE sur l'échange de renseignements concernant les décisions fiscales (cadre de transparence), déclassifié en décembre 2025, offre un état des lieux précis des avancées et des lacunes dans la mise en œuvre de l'Action 5 du plan BEPS. Pour les experts en fiscalité internationale, ce document est plus qu'un simple audit ; c'est une cartographie de l'engagement des Etats à lutter contre l'érosion des bases d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) par la transparence. Alors que plusieurs juridictions, notamment africaines, peinent à mettre en œuvre leurs obligations, le Maroc se distingue par une conformité totale, soulignant son intégration avancée dans le système fiscal international. L'analyse du rapport de l'OCDE, notamment en ce qui concerne le Maroc et son environnement régional, révèle des implications concrètes pour tous les acteurs économiques. Mais avant, entendez par «l'Action 5 du projet BEPS», l'un des quatre «standards minimums» que les plus de 145 membres du Cadre inclusif s'engagent à mettre en œuvre. Son volet «cadre de transparence» impose l'échange spontané et obligatoire de renseignements sur cinq catégories de décisions fiscales spécifiques à un contribuable, notamment les décisions relatives à certains régimes préférentiels ; les accords préalables unilatéraux en matière de prix de transfert ou autres décisions unilatérales transnationales sur les prix de transfert ; les décisions prévoyant un ajustement unilatéral à la baisse des bénéfices imposables ; les décisions relatives aux établissements stables ; ainsi que les décisions relatives aux intermédiaires entre parties apparentées. L'objectif est clair : donner aux administrations fiscales des informations récentes pour évaluer les risques d'érosion de la base d'imposition et de transfert de bénéfices (BEPS). Comme le souligne le rapport, «La disponibilité d'informations opportunes et ciblées sur ces décisions (…) vise à permettre aux administrations fiscales de cerner rapidement les domaines à risque», sans créer un fardeau administratif excessif. L'examen par les pairs annuel, mené par le Forum sur les pratiques fiscales dommageables (FHTP), évalue rigoureusement la mise en œuvre selon quatre piliers : le processus de collecte des renseignements, l'échange effectif des données, les statistiques et la transparence sur les régimes de propriété intellectuelle. Ce que révèle le tableau mondial Le tableau mondial dressé par le rapport de l'OCDE révèle des progrès significatifs mais également des lacunes persistantes, créant un paysage fiscal international à plusieurs vitesses. L'évaluation de 139 juridictions met en lumière une activité soutenue du cadre de transparence, avec un cumul de plus de 28.500 décisions fiscales concernées rendues depuis 2010 et plus de 64.000 échanges de renseignements effectués à fin 2024, dont 5.500 pour la seule année d'examen. Une large majorité des juridictions, au nombre de 113, se conforme intégralement aux exigences et n'a reçu aucune recommandation, tandis que sept autres n'en ont reçu qu'une seule, témoignant d'une adoption généralisée du standard minimum. Cependant, ce panorama positif est nuancé par la formulation de 46 recommandations d'amélioration. Un constat frappant réside dans la répétition, voire la stagnation, des lacunes identifiées pour un groupe de pays, particulièrement en Afrique. Le Bénin, le Burkina Faso, le Congo, le Gabon et la Mauritanie font face à des recommandations récurrentes, souvent inchangées depuis les examens de 2017, 2018 ou 2020. Des manquements qui portent principalement sur l'absence ou l'incertitude quant à la mise en œuvre effective d'un processus de collecte permettant d'identifier les décisions pertinentes et les juridictions partenaires pour l'échange. Ils ont également trait à des déficiences dans l'établissement du cadre juridique interne nécessaire à l'échange spontané ou à la mise en place des procédures administratives pour renseigner et transmettre les modèles standardisés dans les délais impartis. Par ailleurs, le périmètre de l'examen exclut naturellement 29 juridictions, listées en note, qui ne rendent légalement ou pratiquement pas ce type de décisions, comme le Cameroun, la Côte d'Ivoire ou la Tunisie, et ne font donc pas l'objet d'une évaluation. De même, sept membres du Cadre inclusif, tels que les Bahamas, les Bermudes ou les Îles Caïmans, qui ne prélèvent pas d'impôt sur les bénéfices des sociétés, sont considérés comme étant hors du périmètre d'application du cadre de transparence. Cette dichotomie entre une mise en œuvre robuste et généralisée d'un côté, et des blocages administratifs ou juridiques persistants de l'autre, souligne les défis continus de l'harmonisation effective des pratiques fiscales à l'échelle mondiale. Le cas du Maroc : une conformité exemplaire et continue Le cas du Maroc se distingue nettement dans le rapport de l'OCDE par une conformité exemplaire et continue. Le profil détaillé consacré au Royaume révèle une mise en œuvre robuste et sans faille des termes de référence pour l'année 2024. En effet, aucune recommandation n'a été formulée à son encontre, une performance constante avec les évaluations précédentes. Une réussite qui repose sur plusieurs piliers clairs. Sur le plan légal et pratique, le Maroc est autorisé à rendre des décisions relevant d'une seule catégorie du cadre de transparence, à savoir les accords préalables en matière de prix de transfert unilatéraux transnationaux et toute autre décision unilatérale sur les prix de transfert. Son activité est mesurée et transparente, avec la publication de décisions futures, notamment quatre en 2020, neuf en 2023 et trois en 2024, et aucune décision passée n'étant soumise à échange. Le rapport confirme l'efficacité du processus de collecte mis en place par l'administration fiscale marocaine. Les mesures pour identifier tant les décisions passées et futures que les juridictions partenaires concernées sont jugées «suffisantes pour se conformer au standard minimum», et les mécanismes internes d'examen et de supervision répondent pleinement aux exigences. Le rapport souligne d'ailleurs que «la mise en œuvre par l'administration fiscale marocaine est inchangée et reste donc conforme au standard minimum». Cette stabilité administrative constitue un atout majeur. Concernant l'échange proprement dit, le Royaume dispose non seulement du cadre juridique interne nécessaire, mais s'appuie également sur un vaste réseau international incluant la Convention multilatérale d'assistance administrative et pas moins de 64 conventions bilatérales en vigueur. Une infrastructure qui porte ses fruits : en 2024, 13 échanges d'informations ont été effectués, tous relatifs à des décisions sur les prix de transfert. Ils ont été conduits de manière ponctuelle avec l'Allemagne, la France, l'Italie, le Japon, le Luxembourg, le Royaume-Uni et la Suisse. Aucun retard n'a été enregistré, tous les échanges ayant été réalisés dans le délai de trois mois prescrit. Par ailleurs, aucune demande de suivi n'a été nécessaire, confirmant que la procédure pour renseigner et transmettre les modèles standardisés est «suffisante». Enfin, la conformité du Maroc est facilitée par le fait qu'il «n'offre pas de régime de la propriété intellectuelle pour lequel des exigences de transparence seraient imposées» au titre de l'Action 5, écartant ainsi un potentiel sujet de complexité. Un ensemble cohérent qui place le pays en position de juridiction fiable et prévisible dans l'écosystème de transparence fiscale internationale. Des répercussions tangibles pour les marocains La mise en œuvre effective du cadre de transparence, dont le Maroc est un exemple de conformité, génère des implications concrètes pour l'ensemble des acteurs économiques concernés, tant au niveau national qu'international. Pour les administrations fiscales, la DGI comme ses homologues étrangères, ce mécanisme transforme l'accès à l'information. Le rapport souligne que «le manque de connaissance ou d'information d'une administration fiscale concernant le traitement fiscal d'un contribuable dans une autre juridiction peut affecter le traitement des transactions ou des accords pris vis-à-vis d'un contribuable apparenté résidant dans le pays». Ainsi, la DGI reçoit désormais systématiquement des données sur les décisions prises à l'étranger concernant des groupes ayant des liens avec le Maroc. De quoi lui permettre d'affiner considérablement son analyse des risques, en particulier sur les questions de prix de transfert, et permettre un ciblage plus précis des contrôles. Réciproquement, la divulgation automatique de ses propres décisions renforce sa crédibilité et instaure une relation de confiance basée sur la réciprocité avec ses partenaires. Pour les multinationales opérant au Maroc, cette transparence institutionnalisée impose une évolution profonde de leur gouvernance fiscale. Elle sonne le glas des stratégies fondées sur l'asymétrie d'information. Toute décision, notamment un accord préalable sur les prix de transfert, doit désormais être anticipée dans la pleine conscience qu'elle sera divulguée aux fiscs des pays des parties liées. Cette réalité exige une cohérence absolue des positions défendues à travers les différentes juridictions, soutenue par une documentation robuste et une substance économique tangible. Comme le rappelle l'avant-propos du rapport, «les stratégies de planification fiscale qui s'appuient sur des règles périmées ou sur des dispositifs nationaux mal coordonnés seront caduques». La pression est donc accrue pour fonder toute décision sur le principe de pleine concurrence et une justification économique solide, la documentation pouvant indirectement passer sous le regard d'autres administrations via l'échange. Sur le plan macroéconomique, la conformité exemplaire et continue du Maroc contribue significativement à la qualité de son climat des investissements. En démontrant son alignement sur les standards internationaux les plus exigeants en matière de transparence, le Royaume renforce son attractivité et sa crédibilité auprès des investisseurs internationaux. Il promeut une image d'environnement régulé, prévisible et intégré aux circuits du droit fiscal international, réduisant ainsi les risques réputationnels pour les entreprises qui y sont établies. Une posture qui s'inscrit directement dans l'objectif fondamental du projet BEPS, à savoir que «les bénéfices sont imposés là où les activités économiques sont réalisées et là où la valeur est créée». En contraste, la situation des juridictions faisant l'objet de recommandations persistantes, dont plusieurs pays africains, révèle des défis capacitaires et expose à des risques asymétriques. Leur difficulté à mettre en place les processus de collecte et d'échange crée un déséquilibre dans le flux d'informations, ces pays bénéficiant potentiellement des données envoyées par d'autres sans pouvoir assurer une réciprocité effective. À terme, cette lacune pourrait les exposer à des pressions accrues de la part des partenaires et des organisations internationales, et nuire à leur compétitivité dans un environnement mondial où la transparence devient un critère non négociable de fiabilité et de coopération. L'écart se creuse ainsi entre des juridictions comme le Maroc, qui transforment la conformité en avantage stratégique, et d'autres qui peinent à s'engager dans ce cycle vertueux. Le Maroc tire son épingle du jeu, et après ? Le rapport OCDE 2024 confirme que le «cadre de transparence» de l'Action 5 est devenu un pilier opérationnel de la lutte contre le BEPS, avec un volume significatif d'échanges. Si des lacunes persistent, particulièrement dans plusieurs pays africains, la performance du Maroc est remarquable. Elle témoigne d'une administration fiscale organisée, disposant des compétences techniques et des processus nécessaires pour satisfaire à des obligations internationales complexes. Pour les entreprises, cette transparence accrue, incarnée par la diligence du Maroc, signifie une ère de surveillance renforcée mais aussi de meilleure prévisibilité, où la cohérence, la documentation solide et l'alignement sur la substance économique deviennent des impératifs incontournables dans la gestion de leur fiscalité internationale. L'échange de renseignements sur les décisions fiscales n'est pas une formalité bureaucratique, mais un outil puissant qui redessine le paysage de la fiscalité internationale, obligeant à la cohérence et à la justification économique réelle. Dès lors, on comprend aisément que le Maroc, par sa conformité rigoureuse, montre qu'il a compris cet enjeu et se positionne en acteur responsable dans ce nouvel équilibre mondial. Bilal Cherraji / Les Inspirations ECO