Sous l'effet de la pression réglementaire, des attentes des investisseurs et de l'évolution des standards ESG, le pilier social s'impose progressivement comme un axe structurant des stratégies des sociétés cotées marocaines. BKGR met en lumière des avancées tangibles, notamment dans la banque, l'énergie et les infrastructures, tout en soulignant les limites persistantes d'un reporting encore hétérogène. Une transition silencieuse, mais désormais déterminante dans la lecture du risque extrafinancier. Longtemps relégué au second plan des stratégies ESG, le pilier social s'impose désormais comme un axe structurant de la lecture du risque extrafinancier. Dans sa note RSE de décembre 2025, BKGR (BMCE Capital Global Research) met en évidence une montée en puissance progressive des pratiques sociales au sein des sociétés cotées, sous l'effet conjugué de l'évolution des attentes des investisseurs, du durcissement des cadres réglementaires internationaux et de la transformation des modèles économiques. Si cette dynamique reste inégale selon les secteurs, elle marque néanmoins un tournant dans la manière dont les entreprises appréhendent le capital humain, l'inclusion et l'impact territorial. Un contexte international et national plus exigeant L'analyse de BKGR s'inscrit dans un environnement mondial en profonde mutation. L'approbation par le Parlement européen du paquet OMNIBUS I, visant à simplifier les obligations de reporting de durabilité et le devoir de vigilance, démontre les tensions actuelles entre allègement réglementaire et préservation des exigences tant sociales qu'environnementales. Parallèlement, la tenue de la COP30 à Belém et l'extension annoncée des mécanismes d'ajustement carbone aux frontières renforcent la pression sur les entreprises exposées aux marchés internationaux. Dans ce contexte, le Maroc se distingue par une trajectoire climatique jugée crédible. Le Royaume s'est hissé à la 6e place mondiale de l'Indice de performance climatique 2026 et a relevé ses ambitions dans le cadre de sa Contribution déterminée au niveau national (NDC 3.0), visant une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 21,6% à l'horizon 2035, voire 53% avec un soutien international. Pour BKGR, ce cadre constitue un socle structurant pour l'alignement progressif des stratégies ESG des entreprises marocaines. Le pilier social s'impose dans les stratégies ESG Au-delà du climat, BKGR souligne que le pilier social devient progressivement un déterminant central des stratégies d'entreprise. L'analyse des rapports ESG publiés par les principaux émetteurs de la place de Casablanca met en évidence une amélioration qualitative des disclosures sociales, en particulier dans les secteurs de la banque, de l'énergie et des infrastructures. Capital humain, santé-sécurité, formation, diversité et inclusion financière ou territoriale s'imposent comme des enjeux matériels de plus en plus documentés. Cette évolution prouve un changement de paradigme. Le pilier social n'est plus abordé uniquement comme un sujet de conformité ou de communication institutionnelle, mais comme un levier de performance durable et de résilience opérationnelle, en lien direct avec la stabilité des modèles économiques. Les banques en première ligne Selon BKGR, le secteur bancaire apparaît comme le plus avancé dans la structuration du pilier social. Les grandes banques cotées communiquent désormais de manière détaillée sur leurs effectifs, la diversité, la formation et l'engagement sociétal. Attijariwafa bank indique ainsi un effectif de 8.317 collaborateurs en 2024, avec une proportion de femmes atteignant 44,6%, tandis que la part des femmes parmi les cadres dirigeants progresse à 18,2%. Le groupe met également en avant un effort soutenu en matière de formation, avec plus de 49.000 jours-homme dispensés sur l'année. De son côté, la Banque centrale populaire fait état d'un effectif supérieur à 8.400 collaborateurs, dont près de 57% de femmes, et d'un budget formation avoisinant 43 millions de dirhams (MDH). Son action est structurée autour d'académies internes dédiées aux métiers bancaires, à la conformité et au digital. Bank of Africa adopte une approche sociétale articulée autour du développement du capital humain, de l'inclusion financière et de l'accompagnement des territoires, en cohérence avec son positionnement panafricain. En 2024, le groupe a consacré plus de 20.000 jours-homme de formation à ses équipes, avec un taux de satisfaction post-formation dépassant 94%, selon BKGR. Industrie et infrastructures, l'enjeu de l'acceptabilité sociale Dans l'énergie et les infrastructures, le pilier social est analysé sous un angle différent. Il est étroitement lié à la santé-sécurité, au développement local et à l'acceptabilité sociale des projets industriels. BKGR cite notamment TAQA Morocco, qui combine formation, prévention des risques et actions communautaires, avec plus de 53.000 heures de formation dispensées en 2024 et un budget sociétal de 8,5 MDH, ayant bénéficié à plus de 20.000 personnes. Dans les infrastructures portuaires, Marsa Maroc se distingue par un reporting RSE détaillé intégrant des indicateurs sociaux relatifs aux effectifs, à la formation et à la sécurité, dans un contexte d'extension des capacités et de modernisation des terminaux. Ces démarches renforcent la lisibilité de l'impact social et l'ancrage territorial des groupes concernés. Des progrès réels, mais une maturité encore incomplète Malgré ces avancées, BKGR souligne plusieurs limites structurelles. Les indicateurs sociaux demeurent difficilement comparables d'un émetteur à l'autre, en raison de périmètres et de définitions hétérogènes. Peu d'entreprises communiquent à ce stade sur des objectifs sociaux chiffrés à moyen terme, qu'il s'agisse de diversité, de formation ou de sécurité. Par ailleurs, le lien entre risques climatiques et enjeux sociaux, notamment en matière de conditions de travail ou de vulnérabilité des territoires, reste encore insuffisamment documenté, alors même qu'il revêt un caractère matériel croissant pour plusieurs secteurs. Un nouveau critère de lecture pour les investisseurs En conclusion, BKGR estime que le pilier social des entreprises cotées entre dans une phase de montée en maturité progressive, portée par les grands groupes bancaires, énergétiques et d'infrastructures. À moyen terme, les sociétés capables de démontrer une trajectoire sociale lisible, appuyée par des indicateurs quantifiés, des séries historiques et une gouvernance dédiée, devraient bénéficier d'un avantage comparatif en matière d'attractivité auprès des investisseurs. Désormais, le défi ne réside plus dans la simple publication de données sociétales, mais dans la capacité des entreprises à démontrer leur contribution tangible à la performance opérationnelle et à la résilience de leurs modèles économiques, conclut BKGR. Sanae Raqui / Les Inspirations ECO