A l'occasion du Festival « Visa pour l'image » de Perpignan, Le Soir Echos vous propose de découvrir une photo chaque jour, avec l'éclairage de son auteur. Zoom sur le printemps yéménite, avec la photographe Catalina Martin-Chico. Depuis janvier, la place du changement à Sanaa au Yémen s'est transformée en épicentre de la contestation. Les manifestants affluent, demandant à cor et à cri le départ du président Ali Abdallah Saleh, réfugié depuis début juin en Arabie Saoudite après l'attaque de son palais. Fine connaisseuse du pays, la photographe franco-espagnole Catalina Martin-Chico a suivi le déroulement de la contestation jusqu'en mai. Formée à New York, à l'International Center of photography, sa passion pour la photographie s'est transformée en une nécessité de témoigner. «La mouche m'a piquée, je ne peux pas faire autre chose », nous confie-t-elle. Alors sur le terrain, elle ne recule pas et s'approche au plus près des manifestants, photographiant la répression du mouvement mais aussi la présence des femmes, engagées dans la lutte. Récompensé par le Visa d'or humanitaire du CICR, son travail, « Premier km² de liberté : place du changement, Sanaa», est actuellement exposé au Festival «Visa pour l'image » de Perpignan. Depuis 2008, vous réalisez des reportages photographiques sur le Yémen, un pays peu médiatisé jusqu'au début du mouvement de contestation en 2011. Qu'est-ce qui a retenu votre attention dans ce pays ? Je suis venue un peu par le hasard des rencontres. Je faisais un sujet sur les orphelinats dans le monde. Je préférai travailler sur un pays méconnu. Le Yémen m'est apparu comme un pays assez magique, notamment avec l'histoire de la reine de Saba. Le pays m'a happée par la difficulté d'y travailler et le dépaysement que j'ai ressenti. Dans ce pays, on voyage dans l'espace et le temps. C'est un pays très traditionnel que j'ai voulu explorer. Et plus on reste, plus les portes s'ouvrent. Vous êtes habituée à travailler sur des sujets plus sociaux. Comment avez-vous vécu l'escalade de violence lors des manifestations à Sanaa ? Ce n'était pas calculé. Je suis habituée à des sujets sans violence visuelle. Mon histoire avec le Yémen est une histoire à épisodes. Si ce pays traverse un moment important, c'était logique pour moi d'être présente. Je sentais que ma mission était de témoigner de la violence. Mon approche est toujours de me baser sur les rencontres. J'ai voulu raconter des histoires humaines, des destins, à l'intérieur de la place du changement. Les personnes que je voyais partir le poing en l'air, je les voyais revenir blessées à la Mosquée de l'Université, qui s'est transformée en hôpital des premiers soins. En mai dernier, juste avant que le palais présidentiel ne soit attaqué, le mouvement était très puissant. Les manifestants étaient nombreux et il y avait beaucoup de blessés. Vous avez accordé une attention toute particulière aux femmes yéménites. Quel a été leur rôle dans la révolution? Les femmes ont pris place dans cette révolution. Elles ont manifesté aussi, et certaines ont parfois même passé la nuit dans les tentes. C'est un pays très traditionnel, alors elles avaient un espace un peu séparé des hommes. A un moment, les femmes s'étaient mélangées aux hommes, mais cela a posé problème. Le président avait d'ailleurs dénoncé cette mixité. Elles devaient manifester derrière les hommes. Au début du mouvement, la femme Tawakul Karmal a été un vrai leader qui a lancé la révolution. Je l'ai rencontrée. Connue au Yémen, elle est une leader politique, qui fait beaucoup de meetings. Elle apparaissait dévoilée de visage, avec son mari et ses enfants sur la place du changement. Votre travail a été récompensé par le «Visa d'or humanitaire du Comité international de la Croix- Rouge». Que représente ce prix pour vous ? C'est une forme de reconnaissance du milieu professionnel. J'étais contente d'avoir quelque part rempli ma mission auprès des Yéménites. Ils m'ont favorisé des accès, pour que je témoigne. Je leur rends hommage. En débouchant sur des publications et des expositions, ce prix permet une reconnaissance de mon travail, une mise en lumière du pays et un soutien financier. Votre photographie montre une ambulance la vitre brisée. Racontez-nous l'histoire de cette photo… C'était un jour de manifestation. Je suivais les ambulances et les motos qui amenaient les blessés au dispensaire de la mosquée. A un moment, les ambulanciers m'ont pris par la main pour me montrer les impacts de balles sur l'ambulance. «Regardez les risques que l'on prend pour sauver des vies», m'ont-ils dit. Je ne sais pas s'il s'agit de balles perdues ou si l'on tire sur les ambulances.