La corruption dans le football national est une réalité. Tout le monde sait mais tout le monde se tait. mardi 10 mai à la Chambre des représentants. Adil Maâti, membre du groupe constitutionnel unifié, interpelle le ministre de la Jeunesse et des Sports au sujet des matchs de football arrangés : «Le sport est gangrené par la corruption. La Hawla Wala Kowata Illa Billah». Le ministre a promis d'ouvrir une enquête. Quelques jours plus tard, on annonce que ce fut fait, et que la Fédération examine les accusations dont font l'objet certains clubs et certaines personnes. L'affaire a éclaté au début du mois courant lorsque des joueurs du MAT (Moghreb de Tétouan) ont tenu une conférence de presse à Casablanca en présence de plusieurs joueurs, anciens et en exercice, dont Noureddine Naybet, conseiller de Ali Fassi Fihri, président de la FRMF (Fédération royale marocaine de football). Sommés par le président de l'équipe, Abdelmalek Abroun, de payer des amendes d'un total de 5 millions de dirhams, quatorze joueurs ont décidé de faire le grand déballage. Une monnaie courante Lors de cette conférence de presse, lesdits joueurs lâchent une bombe. «Le président de l'équipe nous a interdit de jouer contre l'Oympique de Safi pour que ce dernier gagne et sauvegarde sa place parmi l'élite», ont-ils révélé. Le match remonte à la fin de la saison dernière. L'Olympique de Safi était opposé au Moghreb de Tétouan, et était dans l'obligation de gagner. Faute de quoi il dirait adieu à l'élite, et l'Ittihad Zemmouri de Khemisset (IZK) sauverait sa place. L'Olympique s'impose (2-0), et c'est Khemisset qui est relégué à la deuxième division. A l'époque, le président de l'IZK, Ahmed Guertili, avait crié sur les toits que son équipe était victime de «combine». Il a cependant fini par se résigner. Ahmed El Guertili est le trublion du football national. Il n'a pas dans sa poche sa langue qui n'est pas de bois. L'homme ne rate aucune occasion de tirer à boulets rouges sur les responsables fédéraux. Les déclarations surprenantes des joueurs du Moghreb de Tétouan lui ont apporté de l'eau au moulin. Et il est sorti de ses gonds. M. El Guertili a donc décidé d'aller loin en portant l'affaire devant la FIFA (Fédération internationale de football association). «C'est dire que les Marocains ne savent pas laver leur linge sale en famille», a dit un commentateur de la place non sans une pointe d'ironie. Il n'en demeure pas moins que les révélations des joueurs de Tétouan sont si graves que, dans un Etat de droit, elles auraient défrayé jusqu'à la chronique judiciaire. Lesquels joueurs, devant l'immobilisme de la fédération, ont écrit une lettre au roi Mohammed VI dans laquelle ils rappellent ces faits pour le moins répréhensibles. «Il est vrai que la corruption dans le monde du foot est monnaie courante au Maroc», a déclaré au Temps Moncef Lyazghi, chercheur en sport et par ailleurs auteur du livre «La makhzénisation du sport au Maroc». En effet, les matchs arrangés et la corruption sont une pratique courante dans le football marocain. Pas une saison ne passe sans que des cas flagrants défraient la chronique. Et cela ne date pas d'aujourd'hui. «Il est toutefois curieux que les instances sportives nationales ne réagissent pas aux accusations graves qui circulent et dont font écho les médias», poursuit M. Lyazzghi. Dans «La makhzénisation du sport au Maroc», l'auteur rapporte des anecdotes à peine croyables. Le 7 mai 1970, l'Ittihad de Khemisset que présidait à l'époque Mahmoud Archane, alors inspecteur de police (actuellement président du Mouvement social et démocratique) jouait pour l'accession en première division. L'équipe était en concurrence avec le Wydad de Fès. Le goal-average étant déterminant, les deux équipes se sont livrées à un festival de buts qui dépasse l'entendement. Tandis que l'Ittihad de Khemisset a battu à Oujda l'équipe des fonctionnaires par 17-0, le Wydad de Fès a écrasé le Barid par –tenez-vous bien- 24-0. Des cas flagrants se terminant par des scores fleuves, ont souvent émaillés le football national. Ce joueur qui évolue en deuxième division au sein d'une équipe casablancaise enracinée dans l'histoire du football national, se souvient : «A plusieurs reprises, surtout en fin de saison, je me suis vu proposer des sommes d'argent pour lever le pied. Une fois, on m'a même proposé la somme de 50 000 DH, me disant de tout simplement trouver une excuse pour ne pas jouer le match». Cet ancien joueur qui a requis l'anonymat, nous a révélé que lors d'un match décisif, un de ses coéquipiers a tout fait pour recevoir un carton rouge. «Plus tard, il m'a avoué qu'il avait reçu une somme d'argent conséquente des responsables de l'équipe adverse», a-t-il ajouté. Le grand déballage Les différends entre les acteurs du domaine ouvrent souvent la voie à un étalage de linge sale, les uns accusant les autres de tous les maux. C'est le cas, tout récemment, de Hassan Oughanni et de Abderrazak Khayri, respectivement actuel et ancien entraîneurs de l'Association de Salé. Le premier a accusé ouvertement le second d'avoir «acheté» des matchs lorsqu'il était à la tête de nombreuses équipes. Pis encore, Khayri a avoué lui-même aux médias que quatre équipes qu'il a conduite à la montée en première division ont «acheté» des matchs, et qu'il défie quiconque prétendant qu'une seule formation a jamais accédé à la D1 de «manière propre». Aussi le gardien de but du Moghreb de Tétouan Bistara a été accusé par son président M. Abroun d'avoir «vendu» plusieurs matchs. Ces déclarations et bien d'autres, encore peu amènes, la presse en a fait ses choux gras. Mais curieusement, ni la fédération, ni le ministère de tutelle n'ont réagi, se cantonnant dans un immobilisme boudeur. Le comble : des noms de journalistes circulent comme faisant partie des intermédiaires intervenant en faveur d'un club ou d'un autre ou aux côtés des joueurs pour lever le pied. A l'international, le cas du champion d'Italie, la Juventus de Turin est resté dans les annales. Des écoutes téléphoniques ordonnées par la justice en 2004, ont révélé l'implication du tout-puissant directeur général, Luciano Moggi, dans une affaire de corruption. L'équipe a été reléguée en Serie B et s'est vu retirer deux Scudetti (titre de champion). On se souvient également de l'affaire OM-Valenciennes en France en 1995, laquelle a causé la chute de Bernad Tapie. Au Maroc, cependant, en dépit de toutes les révélations, les responsables restent de marbre. Mais il est vrai que comparaison n'est pas raison. A chaque saison suffit sa peine. Abdelkader El-Aine Le cas Garzitto Fraîchement limogé, en décembre 2010, par le Wydad de Casablanca pour manque de résultats, Diego Garzitto a lancé un pavé dans la marre. Répondant à l'accusation du porte-parole du WAC, selon laquelle il aurait «demandé au joueur Kabous 10% de son salaire s'il voulait être titulaire au sein de l'équipe», il a asséné, dans une déclaration à Radio Mars : «Pour moi, il est interdit de toucher un centime d'un joueur, et je n'ai jamais fait ça de ma vie... J'ai appris plein de choses et je ne peux pas tout dire aujourd'hui… mais bon, quand on sait que l'année dernière on a acheté beaucoup de matchs pour être champion selon la version de deux ou trois personnes que j'ai eu …et voilà». Une déclaration qui a suscité le courroux des Wydadis qui ont décidé de porter plainte. Finalement, l'«affaire» n'a pas eu de suite. Et, bien évidemment, cela n'a pas suscité le moins du monde la réaction de la fédération. Sous d'autres cieux, on aurait remué ciel et terre. La machine judiciaire se serait mise en branle. Professionnalisme, vous dites ?