Après le succès de la première édition consacrée à la réforme de la Moudawana, les Assises du féminisme reviennent cette année avec une nouvelle thématique axée sur les inégalités économiques. Initié par l'Association pour la Promotion de la Culture de l'Egalité (APCE), l'événement s'est tenu le 17 mai à Rabat sous le thème « Les inégalités économiques et leur impact sur le statut et la condition des femmes au Maroc ». L'autre urgence de la parité « Le choix de cette thématique spécifique s'inscrit dans la continuité de notre appel au changement. Cette nouvelle édition des assises du féminisme vise en effet à approfondir la compréhension des obstacles économiques spécifiques auxquels les femmes marocaines sont confrontées, à analyser leur impact selon les catégories sociales et géographiques (rural/urbain), et à élaborer des stratégies pour renforcer leur autonomie économique », explique à L'Observateur du Maroc et d'Afrique, Aïcha Zaïmi Sakhri, présidente de l'association pour la promotion de la culture de l'égalité (APCE). Un choix thématique pertinent selon les organisateurs et « qui s'impose vu le 137e rang (sur 146 pays) occupé par le Maroc selon le Global Gender Gap Report 2024 du Forum économique mondial. Le Maroc a en effet reculé d'un point par rapport à 2023 avec un score global de 0,628 », déplore Zaïmi Sakhri. Un recul qui est par ailleurs confirmé par les chiffres des dix dernières années. La participation des femmes au marché du travail au Maroc a stagné à des niveaux très faibles. En 2013, le taux d'activité des femmes était de 25,3 %. Ce chiffre a régulièrement baissé pour atteindre 19,9 % en 2023, tandis que le taux d'activité des hommes est resté élevé à 70,4 %. Une situation qui reflète des disparités importantes et persistantes entre les sexes, exacerbées par le niveau d'éducation. Le taux d'activité des femmes sans diplôme reste particulièrement bas (17,7 % en 2023), mais s'élève à 43,2 % chez celles ayant un diplôme de l'enseignement supérieur. « Le niveau d'instruction élevé ne se traduit pas nécessairement par une meilleure inclusion économique, car les femmes diplômées sont paradoxalement fortement touchées par le chômage », s'accordent les intervenants lors des Assises. Barrières Rassemblant des participants de différents horizons, l'événement a réunit des acteurs du féminisme et des défenseurs des droits des femmes toutes générations confondues. Associations, acteurs institutionnels, progressistes, spécialistes et praticiens issus de diverses disciplines ainsi que des juristes, médecins, islamologues, historiens, anthropologues, économistes, gestionnaires, écrivains, artistes, analystes et experts ont été de la partie pour débattre des dynamiques et des moyens pour instaurer une véritable égalité homme-femme. Des regards croisés et une vision plurielle d'une parité réelle susceptible de réduire les injustices et les violences économiques basées sur le genre. « L'un des freins les plus importants à l'entreprenariat féminin reste la problématique du financement. Nous sommes toujours à la même place en train de dire les mêmes choses concernant le « stand by » économique des femmes. Or ces dernières sont si précieuses pour l'économie nationale. C'est un énorme potentiel qui reste en friche à cause d'une bancarisation limitée, une relation compliquée avec les banques et un accès très limité au financement », analyse de son côté Leila Doukkali, présidente de l'AFEM (Association des femmes cheffes d'entreprises du Maroc). Déconstruire les obstacles Intervenant sur la thématique de la déconstruction des obstacles légaux structurels et culturels à l'égalité des sexes, Doukkali soulève le poids des milieux patriarcaux qui limitent l'inclusion économique des femmes : milieu familial, professionnel, société ... pour la présidente de l'AFEM, la situation précaire des femmes est le résultat direct de cette « prise en otage », de cette tutelle des parents, du mari et même des enfants. Pour en sortir, elle recommande la création « d'une institution consacrée à l'émancipation et la parité pour mettre à profit le potentiel féminin et veiller à la promotion et la mise en pratique de l'égalité économique » insiste Doukkali. En plus des difficultés d'accès au financement, l'entrepreneuriat féminin reste limité, en raison de l'accès à la propriété foncière. Selon les indicateurs des ODD, le Maroc fait partie des pays où l'égalité des droits fonciers pour les femmes est encore limitée. Seulement 30 % des personnes ayant des droits garantis de propriété foncière sont des femmes. Cela s'explique par des freins culturels et sociaux, notamment dans les zones rurales où les traditions patriarcales persistent, restreignant l'accès des femmes à la terre, en particulier par l'héritage. Entraves culturelles S'attardant sur les causes des régressions soulevées par les différents rapports, Neila Tazi, conseillère parlementaire, déplore les mentalités récalcitrantes. « Trop de machisme et pas assez de mobilisation ni d'implication dans les débats de la parité et l'égalité. Résultat : Un changement lent et des rapports internationaux qui ne comprennent pas pourquoi la situation des femmes marocaines et leur inclusion économique ne suit pas la cadence générale du développement », constate Tazi. Des paradoxes confirmés par les chiffres éloquents. En effet, le taux de chômage féminin reste élevé avec 13,5 % en 2023, contre 7,8 % pour les hommes. En milieu urbain, la situation est plus critique, avec 21,8 % de femmes au chômage, contre 10,3 % chez les hommes. Parmi les femmes en chômage, 88 % sont diplômées, et une majorité d'entre elles (environ 75,9 %) est au chômage depuis plus d'un an, illustrant la difficulté d'accéder à des emplois stables, même avec un niveau d'éducation élevé. Femme rurale, double fardeau " Ces inégalités économiques sont encore plus flagrantes dans les zones et les régions reculées. Dans la province d'El Houceima, les taux du chômage féminin sont beaucoup plus importants que ceux des hommes. L'accès à l'emploi, à l'entreprenariat et même à la fonction publique ( surtout la limitation de l'âge maximal) est plein d'entraves accentuant davantage les écarts homme-femme et la précarité socio-économique des femmes de la région », explique à L'Observateur du Maroc et d'Afrique Hanane Fakiri, président de l'Association de la femme pour le développement et la solidarité de la province d'Al Hoceima. Opérant auprès des femmes des zones rurales du Rif et des coopératives, l'activiste note l'impact des obstacles socioculturels sur l'inclusion féminine. « Si nous plaçons d'énormes espoirs sur la Moudawana pour impulser le changement en termes de droits à l'héritage, partage de patrimoine matrimoniale, l'Etat devrait par contre jouer un rôle dans l'encouragement de l'entreprenariat féminin par l'accès au financement, l'encouragement à l'investissement dans la région, l'aide à la commercialisation de la production pour les coopératives féminines, l'accompagnement des jeunes entrepreneuses », réclame la jeune activiste. Politiques inclusives Un exemple des différents obstacles systémiques à la participation économique dans le secteur formel qui mènent beaucoup de femmes à investir dans l'activité informelle en compromettant leurs chances dans une véritable « autonomisation économique », comme l'estime Fakiri « Ces Assises se veulent une plate forme pour un échange fructueux, une fenêtre ouverte sur le terrain, sur le vécu des femmes non seulement dans les grandes villes mais aussi des les localités reculées. C'est un débat qui tient compte des particularités des régions et de la situation de la femme marocaine sur l'ensemble du territoire national », nous explique Aicha Zaïmi Sakhri. Mais au-delà de l'identification des barrières à l'autonomie économique des femmes qu'elles soient socio-culturelles, économiques (ségrégation professionnelle, secteurs précaires..) ou encore institutionnelles et législatives, « cette 2ème édition vise à formuler des recommandations concrètes : à destination des décideurs politiques, pour améliorer l'accès des femmes au marché du travail, assurer l'égalité salariale, et promouvoir des politiques d'emploi inclusives », conclut la présidente de l'APCE.