Depuis son annonce il y a deux jours, ce verdict controversé ne cesse de provoquer les réactions. Rendu par le tribunal de première instance de Mechra Bel Ksiri, le dit jugement condamne à deux mois de prison ferme l'homme accusé d'avoir violemment agressé Khadija, à l'aide d'une bouteille brisée. Entre surprise, indignation et incompréhension, un mouvement de solidarité s'est vite constitué avec la victime désormais connue sous le nom stigmatisant de « Khadija 88 points de suture ». « Agression barbare » Montant au créneau, le bureau régional de la Fédération des Ligues des Droits des Femmes (FLDF) pour la région Rabat-Salé-Kénitra a dénoncé un verdict « choquant et indigne de la justice marocaine ». S'exclamant dans un communiqué publié ce mercredi 28 mai 2025, l'ONG a qualifié l'acte « d'agression barbare et odieuse ». Une affaire qui selon la FLDF « a bouleversé l'opinion publique par son caractère extrêmement violent». Pour rappel, Khadija, artiste populaire, accuse son agresseur de l'avoir attaquée au visage avec une bouteille d'alcool brisée. Une agression qui lui a causé de profondes blessures nécessitant 88 points de suture. Mais c'est surtout la peine prononcée à l'encontre de l'accusé qui fait réagir l'organisation féministe. « Ce jugement constitue une défaillance dans la réalisation de la justice, une injustice envers la victime et un encouragement à la violence à l'égard des femmes et des filles », dénonce la fédération dans son communiqué. Protéger Khadija De son côté l'Association Tahadi pour l'Egalité et la Citoyenneté a dépêché mardi 27 mai, une délégation à Kénitra pour s'enquérir de l'état de Khadija, immédiatement après l'annonce du jugement. « Une visite qui a été essentiellement motivée par la diffusion d'une vidéo montrant la victime en état de détresse extrême à l'annonce du verdict », explique-t-on auprès de l'association. D'après Bouchra Abdou, directrice de l'ATEC, cette dernière aurait proposé à Khadija un accompagnement et un soutien juridique et psychologique. « On lui a désigné un avocat membre du collectif de défense de l'ATEC, ainsi que les services d'une psychologue pour un suivi rapproché de son état », détaille la même source. Concernant le jugement « controversé », l'ATEC préfère modérer en affirmant n'avoir pas encore reçu la copie intégrale du jugement. L'association annonce par ailleurs qu'un suivi juridique sera assuré dès que les détails du verdict seront disponibles. En attendant, l'ATEC interpelle les autorités judiciaires et sécuritaires par rapport à la vague de cyber-violence, de discours haineux et la campagne de diffamation visant Khadija sur les réseaux sociaux. Elle alerte surtout sur les conséquences psychologiques graves que cela pourrait engendrer pour la jeune femme. « Une peine plus juste » Ne lâchant pas du lest, la FLDF espère que la Cour d'appel corrigera ce qu'elle considère comme une erreur judiciaire : « Nous espérons que la justice remettra les choses dans leur juste cadre, en annulant le jugement de première instance et qu'elle prononcera une peine à la hauteur de la gravité de l'acte criminel commis par l'accusé», conclut la FLDF. Un vœu partagé par l'avocate et l'activiste féministe Souad Batal qui toutefois note le caractère « flou » de l'affaire. « D'après les premiers éléments, le jugement s'est appuyé en grande partie sur un témoignage affirmant que Khadija s'est infligée personnellement ces blessures lors d'une dispute avec l'accusé. La peine de deux mois de prison serait le verdict pour incitation à la débauche ou tenue d'un local pour la débauche », estime l'avocate. Cette dernière reconnait ne pas détenir une copie du jugement et qu'elle n'en sait pas long sur ses détails. L'avocate note toutefois le manque de preuves matérielles inculpant ou innocentant l'accusé. « Le jugement s'est basé sur le témoignage de l'amie de la victime qui peut être faux comme il peut être vrai. Ceci dit la justice ne peut se baser sur le témoignage d'une seule personne pour statuer à propos d'une agression aussi violente», insiste l'avocate. Phénomène inquiétant Mais au-delà de l'affaire de Khadija, l'activiste évoque la recrudescence inquiétante de violence et d'agressions à l'arme blanche contre les femmes. Elle dénonce une multiplication inquiétante des attaques au couteau contre les femmes, perpétrées par des personnes étrangères mais aussi par les compagnons ou les ex-conjoints. « Des violences domestiques qui prennent ces derniers temps les allures de représailles visant les visages et l'intégrité physique des victimes parfois devant leurs propres enfants. À la FLDF nous recevons chaque jour des cas graves », note l'avocate. Des actes qui ont de lourdes conséquences psychologiques, sociales et professionnelles, comme le note Souad Batal. « Avec un visage mutilé, au-delà de la gravité de la blessure physique, c'est l'identité même d'une femme qui en est touchée. Ces femmes sont défigurées, elles perdent leur emploi à cause des séquelles physiques visibles et à cause de la stigmatisation sociale », déplore Souad Batal qui pointe les limites du texte juridique pour lutter efficacement contre ce type de violence. « Des failles énormes de la législation pénale marocaine et de son application notamment dans le cas de ces agressions qui sont souvent qualifiées comme violences légères ou simples délits. Ce qui engendre des verdicts et des peines légères », explique l'avocate en se joignant à la FLDF en réclamant une réforme en profondeur du Code pénal pour mieux lutter contre ces violences et pour faire face aux nouvelles formes de criminalité (y compris numériques).