Fruit de quatre années de recherche et du travail de seize institutions européennes, la carte numérique Itiner-e, publiée le 6 novembre 2025 dans la revue Scientific Data, offre une reconstitution inédite du réseau routier de l'Empire romain. Près de 300.000 km de voies ont été géolocalisées, révélant l'ampleur logistique d'un empire qui s'étendait de la Bretagne romaine aux côtes marocaines de Maurétanie Tingitane. L'Empire romain se dévoile comme jamais auparavant : un maillage de près de 300.000 kilomètres de routes, parcourant trois continents et reliant des territoires aussi éloignés que l'actuelle Angleterre, la Syrie, ou le nord du Maroc. C'est ce que révèle Itiner-e, un projet scientifique inédit dirigé par l'Université d'Aarhus (Danemark) et l'Universitat Autònoma de Barcelone, dont les résultats viennent d'être publiés dans la revue Scientific Data (groupe Nature).
Cette base de données géographique de 299.171 kilomètres redessine littéralement la carte des communications romaines. Le réseau, deux fois plus vaste que ce qu'indiquaient les estimations précédentes, couvrait environ quatre millions de kilomètres carrés et reliait entre elles les provinces de l'Empire — des rivages atlantiques du Maroc aux plaines du Levant, en passant par la péninsule Ibérique, les Alpes, la Grèce, l'Asie Mineure et l'Egypte.
La carte Itiner-e met en lumière la densité du réseau routier antique au nord du Maroc, alors intégré à la province de Maurétanie Tingitane. Les principales cités romaines — Tingis (Tanger), Lixus (Larache), Volubilis et Sala Colonia (près de Rabat) — y apparaissent reliées par des voies structurantes.
Certaines longeaient le littoral atlantique entre Tanger et Larache, d'autres pénétraient vers l'intérieur via Volubilis et le piémont du Moyen Atlas. Des segments plus diffus sont également repérés autour de Tétouan et dans le Rif, confirmant le rôle stratégique du nord marocain comme pont entre l'Afrique et l'Hispanie romaine.
Ces routes assuraient la circulation des produits agricoles et artisanaux — huile d'olive, blé, métaux, poteries — vers les ports du détroit de Gibraltar, d'où partaient les navires à destination de la péninsule Ibérique. Certaines de ces anciennes voies, note l'étude, coïncident encore aujourd'hui avec des pistes rurales ou tracés régionaux, signe d'une continuité remarquable de l'aménagement du territoire sur près de deux millénaires. Un projet scientifique et technologique d'envergure
Pour reconstituer ce réseau, les chercheurs ont combiné sources historiques et technologies modernes : textes antiques tels que l'Itinéraire d'Antonin (IIIe siècle) et la Table de Peutinger, relevés topographiques, images satellites et systèmes d'information géographique (SIG). Chaque tronçon de route a été géoréférencé, classé selon son degré de certitude, et documenté à partir d'un corpus croisant données archéologiques et bibliographiques.
Sur les 14.769 segments recensés, seuls 2,7 % sont attestés par des vestiges directs — pavages, bornes milliaires, restes d'ouvrages — tandis que près de 90 % résultent de reconstitutions fondées sur des indices archéologiques ou textuels.
L'étude distingue également deux catégories de voies : environ 103.478 km de routes principales, supports de l'administration impériale et des mouvements militaires, et 195.693 km de routes secondaires, dévolues à la circulation locale et régionale.
Au-delà de la prouesse technique, Itiner-e illustre la dimension logistique du pouvoir romain : l'Empire s'étendait sur des territoires immenses mais reliés par un maillage cohérent de routes, infrastructures et relais. Ces axes servaient au déplacement des armées et des fonctionnaires, mais aussi à la diffusion des idées, des marchandises et parfois des épidémies, comme la peste antonine dont les chercheurs ont pu retracer la propagation le long de ces voies.