Depuis 2022, une coalition inédite d'acteurs – ONG, collectivités locales, institutions publiques et réseaux de coopératives – s'est engagée dans un chantier qui pourrait bien transformer en profondeur la place des femmes dans l'économie locale. À l'initiative de l'ONG belge Echos Communication, avec le soutien du Conseil régional de l'Oriental et de la coopération belge, le projet PEG (Promotion de l'Egalité de Genre) s'efforce d'en finir avec l'invisibilisation des femmes rurales en misant sur un modèle novateur : le coaching territorial. Doté d'un budget d'un million d'euro, co-financé par Le Direction générale Coopération au développement et Aide humanitaire (DGD) de Belgique, mis en œuvre par l'ONG Belge Echos Communication et ses partenaires, il cible trois zones pilotes : la région de l'Oriental au Maroc, la Boucle du Mouhoun au Burkina Faso et le département de Kaolack au Sénégal. Depuis des décennies, les études s'accumulent et les constats se répètent. Dans l'Oriental, moins d'une femme sur quatre participe à la vie économique. Le taux d'analphabétisme dépasse 45 % dans plusieurs provinces. Les élues restent ultraminoritaires dans les conseils communaux et régionaux. Pourtant, dans les champs, les ateliers de couture, les unités de transformation ou les marchés, les femmes produisent, organisent, entreprennent, souvent sans reconnaissance, sans statut et sans perspectives. « Nous étions seules, livrées à nous-mêmes, sans orientation ni accompagnement pour structurer notre projet », confie Ouadi Hafsa, présidente de la coopérative Dar Zin, qui transforme les produits du terroir à Berkane. Derrière son calme apparent, elle raconte la difficulté à franchir les premières étapes : comprendre les marchés, formuler une vision, mobiliser ses partenaires. « L'absence de cadre, d'expertise accessible, a longtemps rendu les choses confuses », ajoute-t-elle. Le projet PEG ne s'est pas contenté d'ajouter une énième formation à une liste déjà longue. Il a d'abord écouté, observé et cartographié. Grâce à un outil de diagnostic original – le sociogramme territorial – chaque province a été passée au crible : qui sont les actrices déjà mobilisées ? Quels réseaux existent ? Où sont les blocages ? Où sont les opportunités ? Le coaching territorial, une méthode enracinée C'est là que la méthode se distingue. Depuis 2016, dans l'Oriental, une équipe de coachs certifiés par le Centre d'Excellence Coaching Territorial d'Oujda anime une dynamique participative unique en son genre. Loin des approches descendantes, ce dispositif aide les acteurs locaux à se saisir eux-mêmes des leviers de transformation, à partir de leurs réalités et de leurs ressources. En mai 2023, lors du Salon régional de l'économie sociale et solidaire à Oujda, plus de 400 femmes de toute la région ont pris part à des ateliers de cartographie, de coaching et de dialogue. Ouadi Hafsa y était. « Nous avons appris à poser les bonnes questions, à écouter nos partenaires, à mieux communiquer », explique-t-elle. « Cela a changé notre manière de travailler, de collaborer avec d'autres coopératives, d'oser aller vers des collectivités avec des propositions concrètes. » Des réseaux se sont tissés, des ponts se sont construits entre des coopératives parfois isolées depuis des années. Des synergies inattendues ont émergé : mutualisation des ressources, projets conjoints, appui à la commercialisation. « Nous avons pu créer des liens solides avec plusieurs coopératives, mieux comprendre leurs domaines d'intervention, leurs besoins, et construire ensemble des solutions adaptées », souligne Ouadi Hafsa. Des avancées tangibles, des résistances tenaces Les résultats, bien que fragiles, sont visibles. À Berkane, Dar Zin a décroché un marché régional pour ses produits transformés. D'autres coopératives, dans le textile ou l'artisanat, commencent à s'inscrire dans des circuits économiques élargis. Les collectivités, de leur côté, s'ouvrent lentement à l'intégration de l'approche genre dans leurs plans de développement. Mais le chemin reste semé d'embûches. Les résistances culturelles, notamment dans les zones rurales conservatrices, freinent l'engagement des femmes. Le manque de mobilité, la précarité économique, l'accès limité au financement, le déficit de reconnaissance institutionnelle, sont autant de barrières persistantes. « Les blocages sont encore nombreux, surtout quand il s'agit d'accéder à des financements ou de convaincre les autorités locales de nous considérer comme des partenaires économiques à part entière », témoigne une autre membre de la coopérative. Le projet PEG a mis en évidence la nécessité d'une coordination plus forte entre institutions publiques, notamment pour garantir la pérennité des actions engagées. Une stratégie qui dépasse les frontières Signe d'une ambition plus large, le projet s'étend au Sénégal (Kaolack) et au Burkina Faso (Boucle du Mouhoun), dans une logique de coopération Sud-Sud. Des femmes leaders des trois pays se sont rencontrées, ont partagé leurs expériences et envisagent de structurer un réseau régional d'économie sociale et solidaire féminine. Pour les partenaires du projet, l'enjeu est clair : faire de l'Oriental un laboratoire vivant d'une égalité de genre ancrée dans les réalités locales, capable d'inspirer d'autres territoires marocains et africains. Le Conseil régional de l'Oriental, l'Agence de Développement de l'Oriental et les partenaires internationaux y voient une opportunité stratégique pour repositionner la région comme pionnière d'un développement inclusif et durable. « Ce que nous vivons aujourd'hui n'est qu'un début », soutient Ouadi Hafsa, le regard déterminé. « Mais c'est un début qui nous donne confiance, qui nous prouve que, même à partir d'un petit atelier, nous pouvons changer les choses, pour nous, pour notre région, et pour toutes celles qui, demain, oseront à leur tour franchir le pas. » Une révolution silencieuse portée par les femmes Ce qui se joue aujourd'hui dans la région de l'Oriental dépasse largement les frontières administratives d'un territoire longtemps relégué aux marges du développement national. À travers le projet PEG, une dynamique collective s'est enclenchée, posant les bases d'une transformation économique et sociale portée par les femmes elles-mêmes, avec les femmes, pour les femmes. Loin d'un modèle imposé de l'extérieur, cette expérience s'appuie sur des ressources locales, sur une méthode éprouvée de coaching territorial, et sur une volonté de faire émerger des solutions construites collectivement. Les résultats, encore fragiles, témoignent pourtant d'un potentiel immense : celui de territoires capables de se réinventer à partir de leurs propres forces vives. La réussite du projet PEG dans l'Oriental, bien qu'encore en chantier, ouvre des perspectives prometteuses pour d'autres régions du Maroc et au-delà, dans une logique de coopération Sud-Sud qui redonne du sens à la solidarité internationale. Le chemin est encore long, les résistances nombreuses, les défis immenses. Mais une chose est désormais certaine : les femmes de l'Oriental ont pris la parole, elles se sont organisées, elles se sont mises en marche. Et il sera difficile de les arrêter. L'Oriental, donne une nouvelle place aux femmes dans le développement local Porté par une méthode originale de coaching territorial, le Projet de Promotion de l'Egalité de Genre (PEG), déployé dans la région de l'Oriental a permis de transformer en profondeur la place des femmes dans les dynamiques locales, en renforçant leur leadership, leur pouvoir économique et leur présence dans les instances de gouvernance. À travers cet entretien, Mme Fatiha Dani, Point Focal projet PEG – Région de l'Oriental, revient sur les leviers activés, les résultats obtenus et les défis à venir pour inscrire durablement cette dynamique au cœur des politiques publiques régionales. Comment le coaching territorial, développé dans la région de l'Oriental, a-t-il transformé concrètement la place des femmes dans les dynamiques locales de développement depuis le lancement du projet PEG ? L'usage du coaching territorial, dans le cadre du projet PEG, au niveau de la région de l'Oriental a opéré une transformation progressive mais significative du rôle des femmes dans les dynamiques locales. Grâce à un accompagnement structuré et à des programmes de renforcement des capacités, les bénéficiaires ont su s'approprier pleinement leur rôle au sein des instances décisionnelles locales. Il s'agit, bien sûr, des femmes présidentes et membres au niveau des bureaux des coopératives et associations qui ont bénéficié de la caravane d'accompagnement des organisations de la société civile via le coaching territorial. En plus du développement des compétences, le renforcement du leadership féminin via la formation, entre autres, aux techniques de plaidoyer et de gestion de projets, le projet PEG a permis de renforcer la mise en réseau des actrices locales et a favorisé la création de dynamiques entre différents secteurs d'activité. Ce maillage territorial a amplifié la portée des actions initiées par les femmes et a permis une reconnaissance accrue de leur contribution dans des domaines tel que celui de l'Economie Sociale et Solidaire, et a consolidé l'acte associatif et la gouvernance locale. Le recours au coaching territorial, en tant qu'outil novateur, a permis, également, aux femmes bénéficiaires l'acquisition des techniques de recherche des sources de financement de leurs projets pour assurer la pérennité de leurs organisations, sans oublier la visibilité médiatique des femmes, pour certains projets innovants, mettant en avant des réussites féminines locales, brisant les stéréotypes. L'usage du coaching territorial a contribué à l'autonomisation économique des femmes en leur fournissant un accompagnement sur mesure, pour renforcer leurs compétences, leur confiance, leur capacité à gérer leurs ressources et à prendre des décisions stratégiques, dans un contexte qui valorise leur leadership et leur participation active dans leur espace territorial. Le coaching territorial, dans le contexte et la philosophie du PEG, et en tant que dispositif ayant la capacité de renforcer le rôle de la femme dans le développement économique et social, soutient et appuie la mise en œuvre de la budgétisation sensible au genre, et contribue, par conséquent, à faire évoluer les structures organisationnelles et politiques vers un modèle plus équitable, où le développement économique et social de toutes et de tous se conjugue harmonieusement. Dans ce contexte, la budgétisation sensible au genre émerge comme une innovation institutionnelle majeure, aussi bien dans les instances des coopératives que des associations. Face aux obstacles structurels, quels leviers spécifiques le projet PEG mobilise-t-il pour garantir une participation féminine durable, notamment dans les zones rurales ? Face aux résistances culturelles et aux obstacles structurels, le projet PEG a mis en place plusieurs leviers innovants pour pérenniser l'implication des femmes dans la sphère publique et économique. Parmi eux, on peut citer : -L'adaptation des formations aux réalités locales, permettant aux bénéficiaires rurales d'intégrer des modules pratiques en adéquation avec leur environnement et leurs besoins spécifiques. -Préparation des conditions favorables à la participation féminine, notamment en milieu rural, en assurant les services d'hébergement et de transport durant les sessions de formations dédiées à ces femmes, au niveau de la préfecture et des provinces de la région de l'Oriental, en vue de garantir un fort taux de participation. -L'instauration indirecte de dispositifs de mentorat intergénérationnels, où des figures féminines influentes, relevant de certaines coopératives et associations, inspirent les jeunes générations, à travers le partage de leurs expériences couronnée de succès, à s'investir activement dans la vie locale. -La sensibilisation des représentants des institutions et organismes participant dans la caravane d'accompagnement des organisations de la société civile à prêter aide et assistance aux femmes du monde rural et leur accompagnement pour la mise en place de leurs projets (représentants de certaines communes, de certains conseils provinciaux, des divisions de l'action sociale relevant des provinces et préfecture de la région de l'Oriental...). La conception d'un module dédié aux mécanismes de financement de projets, via le coaching territorial, a constitué un levier stratégique pour consolider l'implication féminine dans la sphère socioéconomique. Cette démarche a consolidé l'autonomisation des femmes par l'accompagnement ciblé vers la concrétisation d'objectifs entrepreneuriaux, qu'il s'agisse d'initiatives commerciales innovantes, de coopératives de production à fort ancrage territorial ou de structures associatives à impact social. Ces mécanismes, en plus d'assurer une durabilité de la participation féminine, permettent un changement de mentalités progressif et renforcent la légitimité des femmes en tant qu'actrices essentielles du développement régional. À moyen terme, quels sont les principaux défis à surmonter pour assurer la pérennité de cette dynamique d'égalité de genre au-delà du cadre du projet ? Si le projet PEG a amorcé une dynamique encourageante, sa pérennité repose sur plusieurs défis majeurs : -Une intégration effective dans les politiques publiques : il est impératif que les acquis du projet soient traduits en mesures institutionnelles garantissant une continuité et une reconnaissance officielle du rôle des femmes dans la gouvernance territoriale. -Un accès élargi aux financements autonomes : encourager les coopératives féminines et les entreprises dirigées par des femmes à se structurer en entités économiques viables, bénéficiant de dispositifs bancaires adaptés, d'appui institutionnel d'autres acteurs et bailleurs de fonds et de stratégies d'investissement intelligentes. -Une normalisation sociale de l'égalité de genre : il est crucial que la participation des femmes ne soit plus perçue comme une démarche exceptionnelle, mais comme une réalité intégrée à la dynamique territoriale de manière naturelle et durable. -Des activités de médiation communautaire et des ateliers de déconstruction des stéréotypes : ces activités sont censées sensibiliser et remettre en question les idées préconçues. L'objectif est d'éliminer les obstacles culturels et sociaux qui freinent la participation des femmes au marché du travail. Ainsi, ces initiatives favorisent le pouvoir des femmes et leur implication active dans la vie professionnelle. -Intégration des indicateurs genre dans les différents programmes et plans institutionnels, avec clause de revoyure périodique (tous 3 ans par exemple). – La formation et la certification des « Ambassadrices de l'Egalité » : constituent une stratégie essentielle pour garantir la relève et la pérennité des actions associatives en faveur de l'égalité. -L'établissement d'infrastructures inclusives, telles que des maisons ou clubs féminins offrant garde d'enfants, formation professionnelle et conseils juridiques, constitue un levier efficace pour favoriser la participation des femmes, en particulier en milieu rural. En mobilisant ces leviers, un véritable changement pourra se déclencher favorisant ainsi une égalité de genre pérenne et efficiente.