En marge de la séance d'ouverture de la Global Growth Conference 2025, Chakib Alj, président de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM), a livré un diagnostic lucide et sans concessions des défis économiques auxquels l'Afrique fait face. Son intervention s'est inscrite dans un moment crucial de remise en question des modèles classiques de croissance, à l'heure où l'économie mondiale vacille sous le poids d'une inflation persistante, de tensions géopolitiques aigües, de ruptures des chaînes de valeur et d'une pression croissante pour engager une transition énergétique durable. « Le Maroc, sous le leadership de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l'assiste, s'est résolument tourné vers son continent, l'Afrique, tout en s'imposant comme un pionnier des énergies renouvelables », a rappelé Chakib Alj en introduction, saluant au passage l'Institut Amadeus et son président Brahim Fassi Fihri pour l'organisation de cette rencontre internationale de haut niveau. Mais c'est surtout la nécessité d'un changement de paradigme en matière de financement et de croissance que le président de la CGEM a mis en avant. « L'Afrique a les atouts, les ressources et l'énergie démographique pour réinventer sa trajectoire », a-t-il affirmé, chiffres à l'appui : plus de 1,5 milliard d'habitants aujourd'hui – dont 60 % ont moins de 25 ans – et près de 60 % des terres arables non exploitées dans le monde. Le continent possède également 60 % des meilleures ressources solaires mondiales et un potentiel hydroélectrique équivalant à sept fois la capacité installée en Europe. Ce potentiel, pourtant, reste sous-exploité. « L'Afrique ne capte que 3 % des flux d'investissements directs étrangers mondiaux et souffre d'un déficit de financement structurel estimé à 100 milliards de dollars par an », a-t-il dénoncé. Un paradoxe insoutenable à ses yeux, qui appelle une réponse vigoureuse et coordonnée. Le financement, pour Chakib Alj, doit dépasser les approches traditionnelles. Il doit être « plus diversifié, plus agile, plus complémentaire ». Il a cité l'exemple du Fonds Mohammed VI pour l'Investissement, qui prévoit un apport initial de 5 milliards de dollars pour générer un investissement total de 15 milliards, comme modèle à répliquer à l'échelle continentale. Alj a également plaidé pour une mobilisation accrue des marchés de capitaux africains, notant que la capitalisation boursière reste inférieure à 50 % du PIB dans la majorité des pays africains, contre 120 % dans certaines économies de l'OCDE. Dans ce panorama de refondation, les instruments innovants comme les obligations vertes jouent, selon lui, un rôle déterminant. « Elles sont particulièrement adaptées à notre continent, riche en projets de transition énergétique. » Sur ce terrain précisément, Chakib Alj considère que l'Afrique ne peut plus rester un acteur périphérique de la transition. « Ce n'est plus un débat idéologique, mais une urgence climatique. » Le Maroc, selon lui, a tracé la voie : 45 % de sa capacité énergétique installée provient déjà des énergies renouvelables, avec un objectif de 52 % à atteindre dès 2027, soit trois ans avant la date initialement prévue. Cette performance vaut aujourd'hui au Royaume la 8e place mondiale dans le Climate Change Performance Index 2024. Mais l'ambition va au-delà du solaire ou de l'éolien. Le président de la CGEM a mis en avant le programme « Maroc Hydrogène Vert », notamment les projets de Dakhla, comme un levier stratégique pour transformer le pays en exportateur net d'énergie verte. Selon certaines projections, les technologies power to X – dont l'hydrogène vert est la figure de proue – pourraient représenter 10 % de la consommation mondiale d'énergie d'ici 2050. Un marché à plusieurs trillions de dollars. Lire aussi : MRE : au cœur du tourisme marocain, mais en marge de sa rentabilité Pour Chakib Alj, il s'agit dès lors de partager ce chemin avec l'ensemble du continent, dans une dynamique d'intégration et de co-développement. « Il ne suffit pas d'installer des panneaux solaires. Il faut industrialiser localement les chaînes de valeur énergétiques, former des talents, mutualiser les réseaux, connecter les marchés et surtout garantir l'accès à une énergie verte compétitive aux industries africaines ». Or cette vision implique des réformes de fond. Il a insisté sur la nécessité de créer un cadre juridique clair et prévisible, ainsi qu'un climat des affaires favorable. « Les investisseurs cherchent trois choses : de la visibilité, de la sécurité et un retour sur investissement ». Le président de la CGEM a également évoqué plusieurs chantiers urgents que le Maroc et d'autres pays africains doivent engager : adapter la formation des jeunes aux réalités du numérique et de la transition énergétique, réformer le code du travail pour l'aligner sur les évolutions technologiques (notamment l'intelligence artificielle et le télétravail), et instaurer un choc de simplification administrative pour libérer l'énergie entrepreneuriale. Dans une perspective plus large, Chakib Alj appelle à activer concrètement la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) et à ouvrir les marchés, afin de permettre aux entreprises africaines de changer d'échelle.