Certaines poignées de main ne scellent pas un accord, elles déplacent des plaques tectoniques. Ce 15 juillet 2025, à Rabat, lorsque Jacob Zuma a traversé le seuil du ministère marocain des Affaires étrangères, l'ancien président sud-africain n'a pas seulement franchi une porte ; il a fait basculer un récit que l'Algérie croyait gravé dans le marbre. Dans le salon d'honneur, il est entré avec le pas assuré de ceux qui ne s'excusent jamais d'avoir changé de cap. À ses côtés, Nasser Bourita, droit comme un méridien, gardait ce calme concentré du joueur d'échecs qui déplace une tour sur un échiquier mouvant sans jamais effleurer la ligne rouge immuable du Royaume. Il y a un an, l'image paraissait impensable. Aujourd'hui, elle s'impose comme un fait brut : le Maroc vient de remporter un point stratégique dans la bataille des récits sur le Sahara. Zuma, forgé par les chutes et les résurrections, n'a pas traversé la Méditerranée pour collectionner une photo de plus. Il est venu proclamer, devant micros et caméras, ce que tant de chefs d'Etat murmurent encore en coulisses : l'autonomie proposée par Rabat est la seule issue crédible à un conflit figé dans des nostalgies géopolitiques d'un autre siècle. Le geste de Zuma n'est pas un simple ralliement, c'est une rupture générationnelle. Celui qui faisait jadis de la solidarité avec le Polisario un étendard anti-impérialiste tend aujourd'hui la main à un Maroc qu'il décrit comme acteur de paix et de stabilité. Sous les lambris du ministère, il ne parle pas en retraité désenchanté mais en chef du MK, la troisième force politique sud-africaine. Et son soutien résonne comme une gifle pour Pretoria, mais surtout pour Alger. L'axe sacralisé Alger-Pretoria, pilier du soutien au Polisario, se lézarde sous le regard d'un continent qui ne veut plus défendre des causes sans futur. L'onde de choc dépasse les murs du ministère. Car ce que valide Zuma, c'est la désacralisation d'un front anti-marocain que l'Algérie pensait verrouillé. Des décennies durant, l'axe Alger-Pretoria constituait un pilier inébranlable du soutien au Polisario, au sein de l'Union africaine comme dans les enceintes internationales. Il devient aujourd'hui un anachronisme, drapé d'un internationalisme hors d'âge. La souveraineté nationale ne se négocie pas à la carte, et l'Afrique moderne, celle qui veut parler d'intégration, de stabilité, de co-développement, ne peut plus se permettre de défendre des causes sans solution ni légitimité historique. D'entrée de jeu, le Maroc n'exhibe pas sa victoire ; il poursuit sa méthode, patiente et constante. Pourtant, à Rabat, chacun comprend que le rideau vient de se lever sur un nouvel acte diplomatique. Zuma n'a pas seulement tendu un miroir à ses anciens alliés ; il a signé l'avènement d'un réalisme africain qui ne regarde plus le Sahara comme une relique idéologique, mais comme un territoire vivant, arrimé à une souveraineté que de plus en plus d'Etats assument désormais à voix haute. Zuma brise le front sud-africain Il y a à peine huit mois, le député sud-africain Obed Bapela (ANC), traversait discrètement la Méditerranée pour rencontrer le Maroc. À son retour, il fut sanctionné. Pas pour avoir trahi un principe, mais pour avoir fissuré une doctrine. L'ANC avait senti le sol bouger sous ses pieds, et comme souvent quand le sol tremble, les vieux partis serrent les poings plutôt que d'ouvrir les yeux. Mais cette fois, ce n'est plus un parlementaire isolé, c'est un ancien chef d'Etat, auréolé d'un nouveau poids politique. Un poids lourd, un survivant. Et il ne vient pas en suppliant, il vient en déclarant. Jacob Zuma, à Rabat, n'a ni flanché ni flouté son propos : le plan d'autonomie marocain est désormais l'option la plus sérieuse, la plus réaliste, la plus digne. LIRE AUSSI : Le Sahara, l'ONU et le devoir de vérité Aujourd'hui, le tabou sud-africain s'est brisé sans bruit. Et dans ce fracas contenu, un autre verrou a sauté, celui de l'impunité idéologique de l'ANC. Car le monopole moral de Pretoria sur la question du Sahara n'est plus absolu. Le MK, né de ses propres entrailles, assume de regarder l'Afrique avec des lunettes propres. Il refuse de rester figé dans les archives de la guerre froide, et il ose dire que soutenir le front séparatiste, aujourd'hui, ce n'est plus défendre un peuple, c'est défendre une illusion. L'Algérie, elle, a très vite compris ce que signifiait cette visite. Dans les minutes qui ont suivi, ses relais familiers se sont activés, invoquant la « ligne officielle » de Ramaphosa, tentant de minimiser l'impact de cette poignée de main devenue coup de semonce. Mais la fébrilité trahit la nervosité. Car ce n'est pas un diplomate de second rang que le Maroc a reçu. C'est une figure emblématique, un nom pesant, un ex-président encore influent, qui parle en chef de parti, et qui le fait depuis Rabat, face aux caméras, sans détour, sans condition. Le Maroc, pour sa part, n'a rien surjoué. Pas de fanfare, pas de triomphalisme, juste la ligne. La ligne que le Maroc tient depuis des années. Une diplomatie d'endurance, sans esbroufe, qui ne cherche pas l'instant mais l'effet cumulé. Car ce qui s'est produit aujourd'hui n'est pas un coup de communication. C'est un jalon dans une stratégie patiente, méthodique, implacable : bâtir un consensus africain autour d'une solution politique enracinée dans la souveraineté, adossée à la légalité internationale, et tournée vers l'avenir. Et pendant que certains s'accrochaient aux tribunes, le Maroc construisant patiemment sa légitimité. Universités, hôpitaux, mosquées, routes, ambassades, coopération religieuse … c'est avec du concret que le Royaume a inversé les rapports de force au sein de l'Union africaine. Ne jamais sortir du cap, mais toujours y revenir avec des interlocuteurs nouveaux, avec des partenaires parfois inattendus, et avec une constance stratégique qui confine à la rigueur monarchique. Zuma n'a donc pas changé la direction du vent, il a confirmé que le vent a tourné. Il a donné un visage, une voix, une légitimité à ce basculement silencieux. Et l'Algérie ? Elle regarde, elle encaisse, elle conteste mais elle sait. Elle sait que ce revirement ne vient pas d'un petit Etat à la merci du Maroc. Il vient du cœur de ce qui fut son sanctuaire diplomatique africain. Et c'est ce qui fait mal. Car l'impact est double : il est diplomatique, car le récit algérien s'effiloche ; mais il est surtout psychologique, car la fracture vient de l'intérieur. La brèche est ouverte, et Alger le sait. Zuma à Rabat, ce n'est pas une provocation. C'est une conséquence, celle d'une diplomatie marocaine qui ne cherche pas l'affrontement mais l'adhésion. Qui ne voit pas l'Afrique comme un champ de bataille ou un théâtre d'influence, mais comme un terrain d'alliance et de partenariat. Et pendant que certains s'enfoncent dans le ressentiment des postures victimaires, le Royaume avance, silencieusement, stratégiquement et capitalise sur la cohérence. Force donc est de souligner que ce déplacement ne bouleversera pas, demain matin, la position officielle de Pretoria. Mais il a fissuré le socle, et chaque fissure compte. Car ce que pose Zuma, dans cette visite, ce n'est pas une opinion mais c'est une question capitale. Une vraie, lourde et pressante. L'Afrique du Sud peut-elle encore défendre un schéma de partition que l'Afrique moderne ne porte plus ? Les Etats du continent peuvent-ils continuer à soutenir, par réflexe, un séparatisme qui n'a plus d'assise populaire, plus de colonne vertébrale historique, plus de viabilité politique ? Jacob Zuma a répondu. Sans phrases creuses, sans conditionnalité. Et quand il affirme, debout à Rabat, que le Maroc est un acteur-clé de la stabilité africaine, il ne fait que briser le silence que d'autres préfèrent garder. Il ne fait que traduire ce que l'Afrique pense de plus en plus fort, mais que l'idéologie empêche encore de dire. La diplomatie, au fond, est une affaire de signaux. Et celui-ci est clair. Tranchant. Et pour Alger, brutalement limpide.