De l'humour à couper le souffle ! Pour son avant-première, la pièce de théâtre «Jedba» a tout simplement ébahi l'assistance, de par la générosité et le talent de ses comédiens, en pleine éclosion. Montée sur un module très consommé par le répertoire du théâtre national, cette nouvelle production s'alignait, cependant, dans un classique novateur, axé essentiellement sur le raffinement de l'interprétation, la subtilité de la réplique et la cohérence de la structure dramatique. Dans l'immense enceinte du théâtre Mohamed V à Rabat, vendredi dernier, la troupe «Al Hal», enchantait un public surabondant, obnubilé, d'emblée, par l'aimant du charme et la magie de la finesse. Et pourtant, l'histoire du texte, sans beaucoup d'histoires, égrenait des saynètes simplistes du vécu quotidien. En fait, la thématique paraissait anodine, mais, au fil du temps, on se rendait compte qu'à travers des échanges fortuits, on soulevait des problématiques d'une si profonde complexité, notamment l'éducation, le métier de l'enseignant, le rapport conjugal, le conflit des générations, le statut de la femme, le traitement des servantes... C'est dire combien il importe d'évoquer les gros problèmes de société, à l'aide de simples jeux de scène, savamment tissés dans le texte et le message. Il n'est pas du tout aisé de s'y prendre avec une telle maestria fluide et inventive. Mais, quand on table sur la sensation de Kenza Fridou, le charisme d'Abdelkebir Rgagna et la fluorescence de Hind Dafer, on ne peut qu'enfanter une esquisse de haute facture, dans l'univers de la comédie fringante. Sans jamais tomber dans la dérision ni la démesure ni encore la médiocrité, cette trouvaille retenait en haleine toute la foule euphorisante, profondément acquise à la prestation des artistes, l'intimité du verbe et la véracité du traitement. Tout au long du spectacle, Fridou s'érigeait en faiseuse de magnificences radieuses, par le truchement de la maniabilité de sa silhouette longiligne, le ricochet de son rythme cohérent et la sensualité de son expression feutrée, sachant alterner à merveille l'omnipotence conjugale (cruauté envers l'époux), la jouvence maternelle (tendresse à l'égard de la fille) et la malice tombeuse (rapprochement du fiancé). Rgagna, quant à lui, évoluait avec un tel magnétisme qu'il imprimait à toute la pièce, si joviale et radieuse, un tempérament de ce qu'on pourrait appeler «noce théâtrale» de bien de chez nous. Ses aspects corporels et vestimentaires, si brillamment recherchés, marquaient ses allures espiègles et furtives de beaucoup de punch. Pour sa part, Dafer qui incarnait la vogue générationnelle, injectait dans tous ces mouvements épatants et harmonieux, une ferveur tonitruante, faisant plaisir à toute une souche juvénile, pleine de fougue et de défiance. Devant toutes ces suavités qui déferlaient avec aisance et volupté, la salle archicomble affichait une liesse indescriptible, au baisser de rideau. « Jedba » gagna donc son pari. Celui de théâtraliser, à la fois avec raison et cœur. La raison de faire résonner le mal de société et le cœur de faire rire les sens face aux rancœurs. « Le rire est le propre de l'homme », disait l'autre.