Akhannouch: L'extension de l'usine de Stellantis à Kénitra permettra de doubler la capacité de production    Dans un télégramme émouvant, le roi Mohammed VI rend hommage à Ahmed Faras et souligne sa place symbolique dans l'histoire du football marocain    Al Barid Bank et Barid Cash lancent une solution innovante pour démocratiser les paiements électroniques    Chambre des représentants: Examen en commission du projet de loi sur la réorganisation du CNP    Soutenabilité budgétaire : Les finances publiques en consolidation au S1 2025    Sahara, presse, retraites, MRE... Le PPS salue, dénonce et alerte    Vaccination : 14 millions d'enfants toujours non protégés    Algérie : l'ancien maître de la DGSI emporté par la machine qu'il servait    Deux lionceaux euthanasiés au zoo de Cologne après avoir été délaissés par leur mère    Frappes israéliennes contre le QG de l'armée syrienne, Damas dénonce une « escalade dangereuse »    Le Royaume-Uni autorise à nouveau les compagnies pakistanaises dans son espace aérien    Foot : Décès de l'ancien international marocain Ahmed Faras    Mondial 2026 : La FIFA prévoit de multiplier les pauses fraîcheur    CAN féminine (Maroc-2024): la Marocaine Ghizlane Chebbak dans l'équipe type de la phase de groupes    Nottingham Forest cible Bilal El Khannouss    Al Hilal proche de prolonger Yassine Bounou jusqu'en 2027    JO 2026: Les médailles des Jeux d'hiver Milan-Cortina dévoilées    Trop de liberté tue la liberté : Le cas Jerando    Droits des filles : les femmes du PJD accusées de banaliser le discours de Benkirane    Accidents de la circulation : 24 morts et 2.944 blessés en périmètre urbain durant la semaine dernière    Le temps qu'il fera ce mercredi 16 juillet 2025    Températures prévues pour jeudi 17 juillet 2025    "Vulgarité et médiocrité" : Le PJD s'en prend une nouvelle fois à El Grande Toto    CAF / FRMF : Une session de recyclage pour la mise à jour de la licence CAF Pro organisée à Rabat (mardi 15/07/25)    Politique monétaire : Un verdissement, sous conditions « strictes » ! [INTEGRAL]    Akhannouch: La réforme fiscale, un levier stratégique pour la soutenabilité des finances publiques    Du voisinage à l'alliance : le Maroc appelle à un partenariat euro-méditerranéen efficace fondé sur une vision commune    Coopération sanitaire renouvelée entre le Maroc et la Chine : Rencontre de haut niveau entre le ministre marocain de la Santé et le maire de Shanghai    Coopération aérienne maroco-française : Clôture d'un exercice conjoint illustrant l'harmonie opérationnelle entre les forces aériennes    La police marocaine interpelle à Casablanca un ressortissant français recherché pour blanchiment et trafic international    La diplomatie royale trace la voie de la réconciliation : la visite de Zuma au Maroc incarne un tournant historique dans les relations entre Rabat et Pretoria    Interview avec Faraj Suleiman : « La musique doit laisser une empreinte »    La pièce marocaine "Jidar" en compétition au Festival international du théâtre libre à Amman    La chanteuse marocaine Jaylann ciblée par une vague de racisme après son hommage au Maroc    Le FC Nantes signe l'expérimenté attaquant marocain Youssef El Arabi    Alerta meteorológica en Marruecos: Ola de calor de hasta 47°C esta semana    Amman organise une mission économique à Rabat pour approfondir les relations commerciales avec le Maroc    Khalid Zaim : «Notre principal défi réside dans la commercialisation»    Crédits et dépôts : la dynamique bancaire confirme sa résilience    14 juillet à Fès : quand l'histoire et la culture tissent les liens franco-marocains    Les lauréats de l'édition 2025 d'Inwi Challenge récompensés à Rabat    Plaidoyer international pour les Marocains expulsés d'Algérie : «50 ans et après : Non à l'oubli !»    Le président du CESE reçoit une délégation de l'organisation de libération de la Palestine    La reactivación del Comité de Liberación de Ceuta y Melilla llega al Parlamento español    La relance du Comité de libération de Ceuta et Melilla arrive au Parlement espagnol    Consécration : Abdelhak Najib honoré à Kigali pour la paix et le dialogue des cultures    L'UNESCO inscrit les tombeaux impériaux de Xixia au patrimoine mondial... La Chine poursuit la valorisation de son héritage civilisationnel    Festival des Plages 2025 : Maroc Telecom donne le coup d'envoi    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Un destin miraculeux (6)
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 19 - 03 - 2004

Au-delà des antagonismes, le poète Alî Ahmad Sa'îd Esber, alias Adonis, mènera de front deux actions extrêmes: accomplissement intérieur et réalisation extérieure. Bonnes feuilles de l'excellent ouvrage de Michel Camus, intitulé : «Adonis le visionnaire».
Dans « L'autre chemin vers le Moi», publié en 19991 dans le n° 16 de la revue Détours d'écriture, avant d'être intégré dans La Prière et l'Epée, Adonis nous précise qu'il a écrit la plus grande partie des chants de Mibyar le Damascène en 1960-1961 « sous le ciel gris mais illuminant de Paris ».
Il a trente ans. Il a obtenu du gouvernement français une bourse d'études d'un an. L'écriture de ce recueil remet en question toute la poétique de la langue arabe. « Tu ouvres un espace nouveau », lui écrira plus tard Guillevic. Certes, mais Adonis apporte la nouveauté d'une écriture créatrice : avancée révolutionnaire par rapport au statu quo de la poésie arabe.
Damascène c'est-à-dire celui qui est de Damas : nom dérivé du latin Damascus vanant du grec Damaskos vanant lui-même de l'hébreu Dammesek.
Dans la genèse, l'intendant d'Abraham est appelé Dammesek Eliezer. Peut-être est Eliezer était-il de Damas qui passe pour avoir été le berceau du monde. Ce fut un lieu mythique. Quant au roi Mihyar, Adonis fait de lui son dieu et son confident comme Nietzsch de Zarathoustra.
Mihyar, « Chevalier d'étranges paroles », « prophète du voyage et des paroles errantes », c'est en quelque sorte le double d'Adonis, celui qui écrit par sa main et parle par sa bouche. Mihyar, c'est la mythobiographie de l'âme d'Adonis. Son identité est infinie. Mihyar est son « jumeau », « son saint barbare », « Prophète et semeur de doute », « Maître des ombres » et « des ténèbres », «Prince du vide » :
Je ne connais pas de limites
Pas de rivage dernier
À ses yeux, le poison est un remède, le jour est la nuit, la pierre un miroir, la foudre son épouse, la raison une folie, le refus son évangile, la mort une amie. Les Chants de Mihyar viennent d'une « terre enivrée » née de l'imaginaire métaphysique d'Adonis. S'il se sent en exil chez lui, à Beyrouth, comme il le fut à Damas, ainsi –dans l'univers des métamorphoses de Mihyar- est-il à l'étranger chez lui. Si les cinq sens sont les prisons de l'âme, Adonis s'en échappe en transfigurant l'univers sensible.
Ses images sont d'une telle richesse et d'une audace qui rappelle ici et là les Chants de Maldoror qu'il est impossible de les décrire. Aucun commentaire, fût-il incommensurable, ne pourrait en épuiser la corne d'abondance. Dans sa préface à «Désert», André Velter évoque la grandeur de Mhyar en un très beau raccourci : Adonis improvise les psaumes d'un homme qui fait du temps son désert et de l'espace sa folie. Avec Mihyar, il va au cœur du chant, dilapidant les héritages, effaçant les frontières, écoutant le soleil, caressant l'ombre, accueillant la lumière des nuits et s'arrêttant pour renaître au bord d'une source de sang.
À première vue, il est surprenant que cet immense poème dionysiaque aux mille parfums d'Orient soit né sous le ciel gris de Paris. Mais ce chant, on sent bien qu'Adonis le porte dans son sang. À l'âge de trente ans, il est habité par l'union des contraires :
Nous mourrons si nous ne créons pas les dieux
Nous mourrons si nous ne les tuons pas
« Nouveau Noé » cherchant « un dieu nouveau », il chante la clarté de l'errance, « le retour du soleil », «la roche amoureuse », tout en célébrant les noces de la naissance et de la mort traversées –et l'une et l'autre- par l'infinité de la vie. C'est un voyage initiatique dans la «Vallée de l'Etonnement ». Il a tourné le dos à la lumière du monde pour partir vers une autre lumière, certes invisible et informelle, mais source cachée du jour et de la nuit.
« Tue-moi, ô vérité », écrit-il dans son avant-dernier poème, pour renaître en elle, délivré de soi. «Poème des mystères et des racines», il chante l'agonie du monde et la naissance d'un monde nouveau à bâtir sur l'âme :
Tels sont nos chemins-
Nous épousons la foudre,
Nous lavons la pourriture de la terre
Que nous remplissons du cri des choses nouvelle.
Telles sont nos frontières-
Nous sommes plus verts que la mer,
Plus jeunes que le jour.
Le soleil entre nos doigts est un dé vert.
XVII. Tombeau pour New York
Comme l'écrit Anne Wade Minkowski dans sa « Note préliminaire» à ce recueil d'Adonis publié en français en 1986 :
Il est difficile pour les Occidentaux d'imaginer l'ébranlement qu'a pu provoquer chez le public arabes (et on sait la place importante que tient le poésie dans la vie quotidienne des Arabes) l'abandon total de la rime, même interne ou fragmentaire, de la métrique, même interrompue, de la forme – serait-ce une forme inhabituelle mais préservant un alignement régulier des vers sur la plage. Les Chants de Mihyar le Damascène, avec leur alternance de « psaumes » au souffle puissant et de courts poèmes en demi-teintes, font presque figure de classiques par rapport aux interrogations heurtées, aux énoncés lancés dans un désordre apparent, aux rythmes rapides révélateurs d'urgence, constituant la trame de ces textes que l'on hésite à qualifier de poèmes en prose, tant il est vrai qu'ici les cloisonnements disparaissent, ne laissant la place qu'à la primauté du verbe.
Cette poétique de rupture fut publiée à Beyrouth entre 1969 et 1971, bien avant les années d'enfer qui transformèrent la ville en squelette de Dionysos jusqu'à la rendre méconnaissable. En 1971, Adonis fit un séjour aux Etats-Unis où le Syria-Lebanon Award of the International Poetry Forum lui fut décerné à Pittsburgh. Après le chant d'amour de Mihyar, le chant de haine. «Tombeau» est écrit entre le 25 mars à New York et le 15 mai 1971 à Bikfaya.
Adonis ne porte pas les Etats-Unis d'Amérique dans son cœur. Cette prétendue civilisation le révulse. Sa vision de New York, « General Motors de la mort », est apocalyptique au sens cataclysmique du mot, et non pas au sens étymologico-mystique de « révélation ». Après des envolées lyriques sur l'enfer de New York, la Grande Idole de Wall Street, les ordures de Harlem, les poissons de Central Park, les crimes de Nixon (« combien d'enfants as-tu tués aujourd'hui ? »), il met l'orgueilleuse Métagalopolis en équation : New York + New York = tombeau ou toute chose en provenance de tombeau.
New York-New York = le soleil.
Dans «Tombeau pour New York», Adonis est animé par une sorte de fureur prophétique. C'est un poème politique qui s'en prend, moins à Manhattan –« une jambe dans le ciel, l'autre dans l'eau »- qu'à New York comme symbole de l'âge américain. Les espaces magiques de Greenwich Village, de SoHo (South Houston), de TriBeCa (Triangle Below Canal Street) ou de Chinatown, Adonis n'en parle pas.
Ce n'est pas le Chelsa Hotel où vécurent Jackson Pollok, Sarah Bernhardt et Tennessee Wiliams qui retient son attention, mais le `Lincoln Center ou le Chrysler Building. Ses images explosives dénoncent le pouvoir de l'argent, le visage d'IBM, la guerre, l'impérialisme américain et « toute chose à vendre: le jour et la nuit la pierre de la Mecque et l'eau du Tigre».
Par moments, on croirait entendre Alln Ginsberg. Au fond, Adonis écrit à New York un poème proche de l'écriture de la beat génération, un poème enflammé dont la matière première volcanique charrie des noms comme Cuba, Castro, Guevara, Marx, Lénine, Mao Tsé-toung, Hanoï, Hô Chi Minh, Dayan, Jérusalem, le Nil, mais aussi des noms de poètes comme Whitman, Cavafy, Seféris, Niffarï, Gibran et Yves Bonnefoy.
Tous emportés par le torrent de ses images, « par le char de l'eau originelle, le char des images qui blessent Aristote et Descartes », précise-t-il au terme de son poème qui s'achève en s'ouvrant sur des métaphores magiques :
« là où l'écriture devient palmier et le palmier tourterelle ». Poème baroque et unique dans son genre.
Écrit à Beyrouth en automne 1970, Prologue à l'histoire des Iâ'ifa «se réfère, selon la note d'Anne Wade Minkowski en bas de page, « aux rois des petites dynasties qui se partagèrent le pouvoir en Espagne dans la première moitié du Xème siècle, après la chute de l'émirat fondé par les Omeyyades ».
Prétexte pour lier « l'étrange à l'étrange » en évoquant le sommeil des hommes, le déclin, le « temps des cendres » et les métamorphoses de Beyrouth, de Damas devenu « Beyrouth la veille », d'Oran, de Gaza, de Jérusalem ou de Haïfa et de Kâzimiyyah- faubourg de Bagdad.
• «Adonis le visionnaire»,
Michel Camus, Edition du Rocher, 14,94 euros


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.