L'Algérie, qui n'est engagée dans aucune guerre, figure pourtant au troisième rang mondial des pays dont les dépenses militaires absorbent la part la plus élevée du produit intérieur brut, selon un récent rapport de la Fondation Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS). Seules l'Ukraine et Israël, en situation d'affrontement ouvert, devancent Alger dans ce classement. Une telle affectation de ressources publiques à l'armement, en temps de paix, nourrit des interrogations croissantes au sein des milieux diplomatiques européens. Dans son étude, la KAS relève que «le plus redouté des concurrents du Maroc reste son voisin immédiat, l'Algérie, dont l'appareil militaire, abondamment financé par les recettes gazières, constitue une menace constante». Ce contexte régional nourrit une tension stratégique persistante entre les deux Etats, aggravée par l'absence de tout dialogue politique de haut niveau depuis plusieurs années. En retour, le Maroc poursuit une transformation discrète mais résolue de ses capacités de défense, selon une logique de haute technologie, de mobilité accrue et d'efficacité opérationnelle. Un repositionnement militaire structuré autour de la technologie L'un des derniers jalons de cette évolution est la réception, le 5 mars 2025, de plusieurs hélicoptères de combat AH-64E Apache, fournis par les Etats-Unis. Ces aéronefs, réputés pour leur autonomie et leur précision en zone désertique, illustrent la volonté marocaine d'adapter son dispositif aux configurations géographiques du théâtre sahélo-maghrébin. Selon le ministère chargé de l'administration de la défense nationale, cette livraison s'insère dans un contrat global visant à équiper les Forces armées royales (FAR) de plates-formes offensives interopérables. La coopération militaire entre Rabat et Washington s'est également traduite, en mai dernier, par l'approbation d'un contrat de fourniture de 600 missiles sol-air FIM-92K Stinger Block I, pour un montant estimé à 825 millions de dollars. Ce dispositif, destiné à renforcer la défense aérienne rapprochée, complète les systèmes déjà en service, notamment les radars longue portée, les canons bitubes tractés et les batteries à lancement vertical. Dans le domaine des drones, le Maroc s'est tourné dès avril 2021 vers la Turquie, en commandant treize Bayraktar TB2 pour un montant de 70 millions de dollars. Six appareils supplémentaires ont été acquis dans le cadre d'un accord ultérieur. Ces véhicules aériens télépilotés disposent d'une autonomie de vingt-sept heures, d'un rayon d'action de cent cinquante kilomètres et d'une capacité d'emport de bombes guidées par faisceau laser. La KAS souligne que «la dimension tactique de ces drones dépasse la simple surveillance, en permettant des frappes de précision sur des objectifs mobiles». Appuis terrestres renforcés par l'artillerie à longue portée Sur le plan terrestre, les FAR poursuivent la mise à niveau de leur artillerie mobile. En 2022, elles avaient déjà acquis 36 obusiers Caesar de fabrication française. Ce dispositif a été récemment complété par l'achat de plusieurs unités de l'Atmos 2000, un canon de 155 mm développé par Israël, capable de tirer à plus de 40 kilomètres avec des munitions à allonge. «Cet obusier se distingue par sa rapidité de déploiement, sa grande mobilité et son adaptation au relief escarpé du sud marocain», précise l'étude. Le Maroc a également passé commande d'avions de chasse F-16 Block 70/72, dont la livraison est attendue pour 2027. Ces appareils multirôles de dernière génération seront équipés de radars à balayage électronique de type AESA (Active Electronically Scanned Array), permettant la détection simultanée de cibles aériennes et terrestres dans un rayon de plus de 120 kilomètres. «Les FAR investissent dans des systèmes de précision capables de fonctionner en conditions extrêmes. Il ne s'agit ni de quantité, ni d'effet d'annonce, mais d'une restructuration doctrinale centrée sur la réactivité, la couverture tactique et la projection rapide», note encore la KAS. Un dispositif militaire centré sur la veille et la dissuasion Dans son ensemble, le programme de transformation des FAR traduit une orientation stratégique orientée vers la veille avancée, la dissuasion active et la défense de l'intégrité territoriale. Cette posture se nourrit d'une lecture continue des menaces pesant sur la région, notamment les incursions terroristes venues du Sahel, les activités des groupes armés dans les zones frontalières, et la fragilité persistante des structures étatiques au sud du Sahara. Au-delà des acquisitions spectaculaires, le Maroc s'efforce de bâtir un appareil militaire cohérent, fondé sur des chaînes de commandement rationalisées et des technologies embarquées. Les systèmes israéliens, américains et turcs – drones, artillerie mobile, radars – sont intégrés à un réseau défensif à géométrie variable, capable de s'adapter à une pluralité de menaces. «À travers une armée agile, renseignée et dotée d'équipements intelligents, le Maroc entend garantir sa souveraineté dans un environnement incertain», conclut la Fondation Konrad-Adenauer-Stiftung. Face à une Algérie surarmée où les achats relèvent autant du signal politique que de la planification militaire, Rabat poursuit une démarche rigoureuse et méthodique, centrée sur l'efficacité plutôt que sur l'accumulation, dans le respect le plus strict de ses engagements internationaux.
