Sous la chaleur implacable de l'été, Abderrahman Talbi scrute les rangées ordonnées de plants de cannabis, alignés avec soin sur les coteaux arides de Bab Berred. Deux années après avoir rejoint la filière autorisée, il se dit soulagé d'avoir tourné la page de la clandestinité : «Je peux dire aujourd'hui que je suis cultivateur de cannabis sans crainte», a-t-il déclaré à Reuters. «La tranquillité d'esprit n'a pas de prix.» L'exemple de M. Talbi illustre ce que les autorités marocaines espéraient accomplir lorsqu'elles ont, en 2022, légalisé la culture du cannabis à des fins strictement médicales et industrielles. Le royaume est devenu le premier pays du monde arabe à adopter une régulation en ce domaine, sans pour autant lever l'interdiction de l'usage récréatif. La régulation avance, mais l'économie souterraine prospère «La légalisation de l'usage récréatif ne sera envisagée que dans un cadre médical», a déclaré à Reuters Mohammed El Guerrouj, directeur général de l'Anrac. «Le but est de développer l'industrie pharmaceutique au Maroc... pas d'ouvrir des cafés.» D'après Reuters, environ cinq mille cultivateurs ont intégré la filière légale en 2025, contre seulement quatre cent trente un an plus tôt. La production encadrée aurait atteint près de quatre mille deux cents tonnes, soit quatorze fois le volume de la première récolte. Pourtant, la culture illégale continue de dominer : selon les données du ministère de l'intérieur, elle s'étendait encore sur plus de vingt-sept mille hectares l'an dernier, contre cinq mille huit cents hectares enregistrés par l'Agence nationale de régulation des activités relatives au cannabis (Anrac). Le déséquilibre entre les deux systèmes se reflète aussi dans les profits. Toujours selon Reuters, le kilo de plante brute vendu légalement par les coopératives est payé environ cinquante dirhams, avec des délais de règlement parfois longs, tandis que la résine écoulée sur les circuits illicites peut atteindre deux mille cinq cents dirhams le kilo. «Sur le marché noir, c'est plus rapide et plus rentable, même si le risque est grand», confie un producteur anonyme cité par Reuters. Les autorités, quant à elles, durcissent le ton : en 2024, les saisies de résine ont atteint 249 tonnes en neuf mois, soit une hausse de quarante-huit pour cent par rapport à l'année précédente, selon le ministère de l'intérieur. Des procédures jugées trop lourdes La loi impose à chaque agriculteur de rejoindre une coopérative agréée, seule habilitée à transformer ou vendre la production. Chaque étape, du semis à la vente, exige une autorisation spécifique de l'Anrac, ce qui décourage nombre de paysans, rebutés par une procédure jugée tatillonne. Certains défenseurs de la réforme estiment qu'une légalisation élargie à l'usage récréatif permettrait de tarir la source de la contrebande et de valoriser davantage la production locale. Mais cette perspective ne fait pas consensus.