1.300 personnes du monde des assurances en Afrique se sont réunis à Marrakech à l'occasion de la 41ème assemblée générale de la FANAF. Au coeur des débats : quel subtil équilibre trouver entre régulation et croissance ? Compte-rendu. "Indigestion réglementaire" : cette formule de Richard Lowe, PDG du groupe Activa et figure incontournable de l'assurance en Afrique, prononcée à la tribune de la 41ème AG de la Fédération des sociétés d'assurances de droit national africaines (FANAF), fait mouche. Certes, certains en coulisse la trouvent exagérée, mais elle a néanmoins le mérite d'illustrer l'extrême préoccupation des assureurs africains, pour ne pas dire leur agacement, face à la «déferlante» réglementaire qui s'abat actuellement sur le secteur. Il faut dire que depuis la crise financière de 2008, l'heure n'est plus au laxisme en termes de surpervision et de contrôle des acteurs du marché financier, dont les compagnies d'assurances font évidemment partie. L'heure est, au contraire, à davantage d'exigences, notamment en termes de transparence, de protection des assurés et surtout de fonds propres, comme l'a souligné Romain Paserot, secrétaire général adjoint de l'IAIS, l'Association internationale des superviseurs d'assurance. Le secteur des assurances, comme l'a rappelé Hassan Boubrik, président de l'ACAPS, est devenu l'un des plus régulés au monde, de par la nature même de son activité, qui est par essence exposée aux risques. L'Afrique, dont le Maroc, n'échappe pas à ce tour de vis planétaire. Le Royaume, en créant l'ACAPS, a déjà considérablement consolidé son cadre réglementaire et s'apprête à se mettre en conformité avec les normes internationales de solvabilité basées sur les risques, très exigentes en fonds propres. Les pays de la zone CIMA (Conférence interafricaine des marchés d'assurance) s'y mettent également. L'an dernier, elle a adopté de nouvelles exigences en matière de capital minimum qui font grincer les dents les assureurs du continent (voir encadré). Si personne parmi les assureurs ne remet en question la nécessité de cette mise à niveau du cadre réglementaire, il n'en reste pas moins vrai qu'elle impose de nouvelles contraintes structurelles, opérationnelles et financières à des compagnies africaines, dont la plupart (hormis quelques géants) sont en phase de décollage et évoluent dans de petits marchés. Une réglementation excessive n'est-elle pas contre-productive et n'étouffe-t-elle pas les compagnies locales, les laissant à la merci des grands groupes étrangers ? Cela alors même que Mohamed Hassan Bensalah, président de la Fédération marocaine des sociétés d'assurances et de réassurance (FMSAR), a déclaré dans son allocution d'ouverture, que le temps était venu de «créer des champions continentaux à capitaux africains qui vont rivaliser avec les grands noms de l'assurance mondiale». C'est là précisément tout l'enjeu de cette conférence de Marrakech. Où placer le curseur entre réglementation et croissance ? Quel dosage pour un développement du secteur sur des bases saines, sans le brider ni le laisser hors de contrôle ? C'est ce juste équilibre entre croissance et réglementation que les conférenciers de Marrakech sont appelés à trouver. Proscrire le copier-coller des réglementations En tout cas, l'erreur à proscrire, comme l'a souligné dans son allocution d'ouverture Mohamed Hassan Bensalah, c'est de procéder à un simple copier-coller des textes existants dans les pays occidentaux. «Une réglementation aux standards européens n'est certainement pas adaptée à la réalité de nos marchés», assure-t-il. Il préconise d'y aller «progressivement pour mettre en place des règles qui puissent protéger les intérêts des assurés, tout en protégeant la solvabilité des compagnies, sans pour autant brider les capacités d'investissement dans un continent encore largement sous-assuré». «Le taux de pénétration de l'assurance ne dépasse les 3% que dans quelques rares pays du continent», rappelle Bensalah. Le potentiel de développement de ce secteur est extrêmement prometteur. Un tel potentiel pourrait s'exprimer pleinement si trois conditions sont remplies: adapter le prix des prestations aux réalités locales, améliorer le capital confiance à l'égard du consommateur, et aussi s'appuyer sur les nouvelles technologies pour sortir des réseaux classiques afin de toucher un plus grand public. Les régulateurs sont justement attendus à ce niveau-là : faire en sorte de libérer le potentiel de production, en imposant de nouvelles assurances obligatoires (il en existe plus de 100 en France), en favorisant le digital, en instaurant le paiement comptant des primes, ou encore en créant un cadre juridique adéquat pour la couverture des catastrophes naturelles et l'assurance agricole. Boubrik en convient. L'une des missions dévolues à une autorité de régulation est de favoriser la croissance du secteur. Il reconnait également qu'un excès de régulation peut conduire à une hausse des coûts pour les assurés. Mais il affirme également qu'une réglementation insuffisante conduit à des crises majeures comme celle de 2008. Finalement, il nous résume assez bien la situation : «la régulation n'est pas une science, mais un art». L'art du dosage et de la subtilité. «Tous les pays d'Afrique ne sont pas au même niveau de développement. De ce fait, le niveau des fonds propres exigé ne peut être le même pour tous les pays», indique-t-il. Quant à la solvabilité basée sur les risques, Boubrik a tenu à rassurer les assureurs : «La solvabilité basée sur les risques ne doit pas être vue comme un fardeau». Elle aurait au contraire des effets structurants bénéfiques à long terme pour le secteur. ■ Une vague d'acquisitions et de consolidation en vue Selon Richard Lowe, PDG du groupe Activa et du réseau Globus, la «déferlante réglementaire» a un impact non négligeable sur le développement du secteur et pourrait avoir de fâcheuses conséquences. Non sans rappeler «l'impérieuse nécessité de renforcer le contrôle et la supervision des acteurs de la finance», il déplore toutefois que certaines exigences s'affranchissent des réalités du marché africain. Il prend à titre d'exemple l'adoption l'an dernier par la CIMA de nouvelles exigences en capital minimum : celles-ci ont été relevées pour les compagnies de la zone CIMA d'un milliard à 5 milliards de Francs CFA, et de 800 millions à 3 milliards de FCFA, selon le type d'assureur. Cette mesure «se traduira probablement soit par des acquisitions, soit par des fusions ou alors carrément par des fermetures», estime Lowe. D'autant que la grande majorité des compagnies du continent est de petite taille ou de taille modeste. «L'objectif du régulateur est sans doute d'amener à une consolidation des marchés avec la création de sociétés plus solides financièrement, susceptibles d'avoir des rétentions de prime plus importantes», poursuit-il. Et de mettre en garde contre la tentation du copier-coller des normes internationales. «Il nous faut une régulation qui prenne en compte l'environnement réglementaire mondial mais en termes de convergence et de tendance», souligne-t-il. Par ailleurs, «les marchés étant de tailles très diversifiées, n'y avait-il pas besoin de créer deux ou trois niveaux de capital minimum en fonction de la taille des marchés ?», s'interroge-t-il. Il faut savoir en effet, que dans certains pays d'Afrique, le total des primes émises dépasse à peine ce niveau de fonds propres! Autre question soulevée par Lowe : «Une compagnie d'assurances non Vie et une compagnie d'assurances Vie ont-elles besoin du même minimum de capital ? Il est nécessaire de faire la distinction entre les deux».