Il est considéré partout que les résultats d'élections communales ne sont qu'un test et n'influent en rien sur une carte politique, encore moins sur la composition d'un gouvernement. Ces élections sont locales, par définition. Il n'y a pas de raison pour qu'il en soit autrement au Maroc. C'est d'autant plus vrai que l'authenticité du dernier scrutin découle du suffrage direct, et non du choix des “grands électeurs” pour porter Tel ou Tel à la tête d'une mairie. Ceci d'autant plus qu'en examinant les résultats on constate qu'il n'y a pas de changements significatifs apportés à la carte politique. Les électeurs sont restés pratiquement fidèles à leurs choix des législatives, aussi bien ceux qui y croyaient - avec pour chacun ses raisons - que ceux qui n'y croyaient pas et s'étaient abstenus. Les choses auraient dû en rester là. C'était sans compter avec les ambitions profondes des groupements politiques et des individus. La campagne électorale était parfois d'un tel niveau qu'il est permis de se demander quelles pouvaient être les motivations des votants. On cite un exemple venant de la capitale économique, qu'il ne faut pas se hâter de considérer comme anodin. Un sémillant ministre en exercice avait imprimé sur tous ses documents électoraux : “candidat à la mairie”. C'était manifester du mépris pour ses électeurs, parce qu'il n'était candidat qu'au poste de conseiller à la commune choisie. Il avait confondu candidature et ambition lointaine. C'était d'autant plus navrant et maladroit qu'il ne s'agit pas d'un militant de la dernière heure, et sauf informations contraires, n'avait jamais bénéficié par le passé d'une quelconque sollicitude administrative. En agissant de la sorte, bien que tête de liste, il avait escamoté deux étapes, d'abord conseiller puis président de commune. Car enfin, si les électeurs avaient réellement pris connaissance des prospectus – certains ont dû le faire- c'est légitimement qu'ils auraient pensé que décidément rien n'a changé, “c'est joué d'avance”, comme on l'a entendu dire un peu partout. Ce n'était pas le cas, comme on l'a vu par la suite. On peut en déduire que les électeurs ont fait preuve de maturité politique, croient en la démocratie en votant et même en s'abstenant. Ce ne sont pas les électeurs qui en sont venus aux injures et aux violences physiques. Certes, cela s'est vu dans l'enceinte parlementaire même de pays où la démocratie représentative est fortement enracinée. Ce n'est pas une excuse, cependant. Le Maroc se proclame exemplaire, il doit donner l'exemple d'un pays mûr. Depuis des années on nous rebat les oreilles avec la formule “expérience démocratique”. Au vu de ce qui s'est passé et qui n'a étonné que les naïfs, on est fondé à se demander qui doit bénéficier de cette expérience. Les électeurs ont démontré qu'ils n'en avaient pas besoin, même ceux qui auraient commercialisé leurs votes, justement parce que ces transactions venaient de candidats à des responsabilités. Visiblement, ce sont les dirigeants qui devraient bénéficier de cette expérience. Dans ce cas, il faudrait leur organiser des cours du soir, et qu'ils connaissent eux aussi leur “chemin vers la lumière” démocratique. Ou alors qu'ils organisent eux-mêmes leur expérience. En vase clos. Tiens, au sein de leurs partis. Le champ d'expérience est tout trouvé. Par ailleurs, ce ministre en exercice qui ambitionnait d'être maire, n'a pas été avare de révélations au cours de son dernier meeting politique et musical. Il avait promis de faire de grands sacrifices. Une fois élu maire –ce qui ne concernait pas ses auditeurs- il aurait renoncé à tous les avantages. Et il en avait donné la liste. Tiens, il y a donc des avantages ? Mais alors, tout s'éclairerait ? Ce remue-ménage, ces injures, ces anathèmes et ces coups de poing, l'argent qui aurait circulé, c'était donc pour accéder à ces avantages ? Certains mêmes affirment qu'il y aurait des privilèges. Décidément, on en apprend tous les jours. Et de la bouche d'un ministre en exercice. Pour en revenir à la carte politique dessinée par le dernier scrutin, répétons-le, il n'y a pas de grands changements. Toutefois, des mairies ayant échappé à tel ou tel parti on parle, ici ou là, de changement de majorité qui devrait mener à un changement de gouvernement. Il faut cependant remettre les choses à leur place. La formation d'un gouvernement ne dépendant pas de la volonté des partis, on peut parier qu'après l'agitation il y aura accalmie, dès qu'on sentira les fauteuils vaciller. Mais faisons comme si. S'il y a une nouvelle majorité, celle-ci doit le prouver. Par exemple, à la rentrée parlementaire en rejetant la loi de Finances 2004, ce qui équivaudrait à une censure du gouvernement actuel. Cela devrait entraîner des dissolutions et de nouvelles élections, ce qui serait conforme aux règles démocratiques. Cela ne s'est jamais vu au Maroc, sauf dans le cas d'une motion minoritaire, qui ne tire pas conséquences. Il n'empêche que l'élection des maires a bouleversé plus d'un. Quoiqu'on est à peu près certain du sort heureux de l'évanescent ministre en exercice, candidat malheureux à une mairie, bien qu'il était apparu fort chagrin à la télévision. Il a toujours le moyen de graver son nom dans l'histoire du Maroc. Il peut y figurer comme l'homme qui a fait le premier pas pour abolir les avantages et les privilèges si par extraordinaire cela existait. Tout simplement en renonçant aux siens. Dans la fonction qu'il occupe.