Directrice générale de MNF Ventures Le mois d'octobre a décidément été celui de levées de fonds impressionnantes. Mais ce n'est pas une montée en puissance ponctuelle, la dynamique persistant depuis plusieurs trimestres. Voici les trois levées de fonds qui ont marqué l'écosystème des startups au cours des derniers mois. Comment distinguez-vous une levée saine ? Quels indicateurs recommanderiez-vous de regarder pour juger de la qualité d'un deal ? Avant d'aborder ces questions, il est nécessaire de rappeler la thèse d'investissement que porte notre fonds MNF Ventures. MNF ventures est le fonds historique du VC qui a débuté ses opérations en 2010 dans le secteur du capital amorçage risque. Nous gérons aujourd'hui deux véhicules d'investissement avec près de 250 MDH sous gestion et 30 lignes de participations. Nous finançons des startups qui opèrent essentiellement dans le secteur des Technologies d'information et nous regardons également des projets dans des secteurs plus généralistes avec un focus important sur la composante innovation portée. Nous intervenons dans des phases de «seed» et pré-serie A, et serie A , selon la phase de développement du projet. Pour ce qui est des levées de fonds, le montant est souvent trompeur : une grosse levée de fonds ne donne pas forcément une indication sur la qualité ou la solidité d'une société. De notre angle en tant que VC, nous jugeons plutôt la qualité d'un deal en fonction d'un combo de critères qui portent notre stratégie d'investissement. Intervenant dans des phases assez précoces de projets, nous regardons dans un premier temps la qualité de l'équipe fondatrice, son expertise, sa complémentarité et sa maîtrise du marché adressé. La levée doit répondre à une opportunité de croissance réelle sans que ça soit une levée «de tendance» avec aucune différenciation ou un avantage concurrentiel clair du projet présenté. Aussi, il est important de s'assurer d'un alignement de visions entre les fondateurs et le fonds ou l'opérateur qui souhaite intégrer le tour de table de la société en question. Nous accordons naturellement une importance réelle aux fondamentaux : construction et taux de croissance du chiffre d'affaires, taux et qualité de la marge, rentabilité à moyen terme, en fonction du secteur adressé. Une levée saine ne doit pas être justifiée par un «runway court» ou un besoin de survie de la société. Elle doit être orientée vers une croissance mesurable. D'autres indicateurs relatifs à la structuration du financement visé sont tout aussi importants comme la syndication des investisseurs du round proposé, l'engagement des actionnaires historiques tout en évitant de s'allier aux côtés d'investisseurs «opportunistes» sans crédibilité opérationnelle. L'écosystème marocain des startups est en pleine accélération. Quels sont les goulets d'étranglement encore critiques que les levées doivent désormais adresser pour que l'écosystème franchisse un palier vis-à-vis des grands hubs africains et internationaux ? Effectivement, le Maroc a franchi un cap sur la scène du VC et devient une place intéressante pour les différents bailleurs de fonds nationaux et internationaux. En témoignent les derniers chiffres de Partech qui le placent en 6e place derrière les big 4 (Nigéria, Egypte, Afrique du Sud, Kenya-Ghana) avec un montant de levées de 82 millions de dollars, affichant une des plus intéressantes progressions sur le continent (+200%). Plus localement, selon les derniers chiffres de l'AMIC, le segment du capital amorçage risque a représenté, en 2024, près de 8% en valeur sur le montant total des investissements du secteur et 42% en nombre (159 actes d'investissement sur l'exercice). Cela constitue un signal clair de la montée en puissance du financement des startups. Le Maroc est passé d'un écosystème naissant à un écosystème en cours de structuration avec des signaux forts, grâce à un mix de plusieurs facteurs : le rôle structurant de dispositifs publics comme le Fonds Innov Invest, l'émergence de programmes d'accélération nationaux et panafricains, la montée en puissance des fonds locaux tant en nombre de deals qu'en taille des tickets d'investissement engagés, l'engagement renforcé des entrepreneurs de la diaspora et l'intérêt croissant des investisseurs régionaux et internationaux pour le Maroc. Cependant, cette place doit être consolidée et de grands challenges restent à relever, que ce soit sur l'accès au financement, la taille des tickets, la culture du risque, la qualité du deal flow et, bien entendu, la question centrale de la liquidité des investissements réalisés et des exits du secteur. Aujourd'hui, les enjeux majeurs à même de dynamiser la place VC marocaine sont d'abord la libéralisation des secteurs stratégiques fortement régulés au Maroc tels que la banque/assurance ou encore le transport urbain, qui est une étape importante à franchir, vu que ce sont ces secteurs qui drainent le plus de financements en Afrique. Ensuite, le cadre réglementaire incomplet par rapport aux instruments financiers communément utilisés dans le secteur comme les SAFE (Safe Agreement for future equity). Ceux-ci permettent à des investisseurs d'intégrer le tour de table d'une startup en reportant le sujet de valorisation, ce qui peut alourdir les discussions lors d'un round d'investissement, ou encore les stocks options destinés aux salariés et aux cadres dirigeants pour leur permettre de se projeter à plus long terme et participer à la création de valeur de la société investie. Vient après l'absence de cadre fiscal adapté au statut de la startup. Aujourd'hui, aucune incitation fiscale n'est proposée à ces jeunes entreprises au cours des premières années cruciales de lancement de leurs projets. Enfin, les startups ont recours dans leur cycle de vie à plusieurs rounds d'investissements. Si les premiers cycles sont largement financés par les fonds VC nationaux, le passage à l'échelle est souvent freiné par l'absence de fonds intermédiaires qui devraient prendre le relais du financement de développement des startups concernés. Quels secteurs vous paraissent aujourd'hui porteurs ? Quels paliers financez-vous ? Au vu de notre thèse d'investissement, nous accompagnons des startups qui sont en mesure de répondre à des problématiques locales susceptibles d'être dupliquées aisément à l'international. Les investissements sont effectués pour mettre en place les moyens nécessaires pour soutenir la stratégie de développement des startups concernées. Selon le secteur adressé, les objectifs sont alignés en intégrant des critères d'impact dans le process de levées de fonds, notamment via des indicateurs ESG durant toute la période d'investissement. Les secteurs les plus porteurs aujourd'hui sont incontestablement ceux soutenus par la tech dans la finance, la santé, l'éducation, la cybersécurité et les énergies renouvelables. Le PLF 2026 apporte une série de mesures fiscales. Pensez-vous qu'il réponde aux attentes fiscales des fonds d'investissement ? Une des revendications majeures de la profession depuis des années a été la demande d'exonération de la TVA sur les frais de gestion. Aujourd'hui, les fonds d'investissement au Maroc paient la TVA sur les frais de gestion (et autres charges d'exploitation) sans pouvoir la récupérer. En effet, en dépit de l'importance des montants investis, ces derniers ne génèrent pas de chiffre d'affaires. Les dividendes ou les cessions à terme de la période d'investissement, seules sources de revenus pour les fonds, ne permettent pas la collecte de la TVA. La taxe sur les frais de gestion est supportée par les fonds d'investissement, et la rentabilité potentielle des investisseurs actionnaires de ces fonds est grevée avant même de réaliser des bénéfices. L'AMIC et tous les opérateurs du secteur ont toujours milité, depuis des années, pour une équité fiscale avec une possibilité de récupération de la TVA sur frais de gestion ou son exonération totale ou partielle. Ce point n'a toujours pas été traité dans ce PLF 2026. Abdelhafid Marzak / Les Inspirations ECO