Bien que le Maroc affiche l'une des croissances les plus soutenues de la région MENAAP, il compte le taux de participation des femmes au marché du travail le plus faible. Malgré des avancées économiques notables et un niveau d'éducation féminine en forte progression, les femmes demeurent largement sous-représentées dans l'emploi, révélant un paradoxe structurel aux répercussions sociales et productives majeures. Pourtant l'intégration des femmes apparaît désormais comme l'un des leviers les plus puissants pour stimuler une croissance inclusive et durable. Le Maroc se distingue aujourd'hui comme l'une des économies les plus dynamiques de la région MENAAP (zone incluant le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, l'Afghanistan et le Pakistan). Selon Le dernier bulletin économique de la région, réalisé par la Banque mondiale et intitulé «Emploi et Femmes : Talents inexploités, croissance non réalisée», la croissance s'est accélérée au cours de l'année. Elle est portée par l'investissement public, l'augmentation des flux d'IDE et la préparation de grands événements sportifs internationaux, notamment la Coupe d'Afrique des Nations 2025 et la Coupe du monde 2030. Cette dynamique s'accompagne d'une amélioration du climat économique, d'une reprise dans plusieurs secteurs moteurs et d'une stabilisation des équilibres macroéconomiques. Après une croissance moyenne de 3,8% entre 2023 et 2024, le PIB réel a progressé de 4,8% au premier trimestre 2025. Cette performance s'explique par le rebond de l'agriculture grâce à de meilleures conditions climatiques ainsi que par le dynamisme du tourisme et du secteur de la construction. À noter par ailleurs l'essor remarquable de l'industrie automobile et des nouvelles filières émergentes telles que l'hydrogène vert. L'investissement joue désormais un rôle central dans la croissance, soutenu par les entreprises publiques d'infrastructure et par l'afflux d'investissements étrangers, ce qui renforce les capacités productives du pays et prépare le terrain à des projets d'envergure internationale. Sur le plan macroéconomique, les équilibres restent globalement maîtrisés. L'inflation demeure modérée, autour de 1,6%, ce qui a permis un assouplissement de la politique monétaire. Les réserves de change couvrent plus de cinq mois d'importations, un niveau jugé confortable. Le déficit budgétaire devrait se réduire progressivement pour se stabiliser autour de 3,2% du PIB à moyen terme, tandis que la dette publique converge vers 65% du PIB, traduisant une volonté de consolidation budgétaire sans compromettre les investissements prioritaires. Une situation paradoxale Cependant, cette dynamique économique contraste avec la situation du marché du travail des femmes, qui constitue l'un des défis majeurs du développement du pays. Malgré une dynamique économique en croissance, le taux de participation féminine au marché du travail a reculé sur deux décennies, passant de 29% en 2000 à 20% en 2022, l'un des niveaux les plus bas de la région. Même parmi les femmes diplômées de l'enseignement supérieur, la participation a diminué, baissant de 70% au début des années 2000 à 60% en 2018. Les jeunes femmes, pourtant plus éduquées que les générations précédentes, participent moins au marché du travail, ce qui révèle un véritable paradoxe éducatif. Plusieurs facteurs structurels expliquent cette situation. Le manque de services de garde d'enfants accessibles et adaptés est identifié comme l'obstacle principal à l'emploi féminin. Les normes sociales continuent également de jouer un rôle déterminant, notamment en renforçant l'idée selon laquelle les femmes, en particulier après le mariage ou lorsqu'elles ont de s enfants en bas âge, doivent privilégier les responsabilités domestiques. À cela s'ajoutent les discriminations à l'embauche, plus fréquentes dans le secteur privé, ainsi qu'une forte concentration de l'emploi féminin dans la fonction publique, où les opportunités restent limitées et très concurrentielles. Le rapport souligne par ailleurs un écart important entre les opinions individuelles et les normes perçues. Plus de 80% des Marocains déclarent soutenir le travail des femmes, mais une part importante pense que la société y est opposée. Cette mauvaise perception des normes sociales constitue un frein puissant au changement. Selon les experts de la Banque mondiale, bien que les chiffres restent inquiétants, la dynamique affiche une tendance prometteuse. La perte de vitesse engendrée demeure principalement due à la sécheresse, car la perte a été plus accentuée au niveau des zones rurales. Pour que la croissance soit durable et inclusive, la Banque mondiale recommande de consolider les normes sociales, de renforcer les incitations à l'embauche dans le secteur privé, de moderniser la réglementation du travail afin de faciliter l'intégration professionnelle des femmes et de mener des campagnes visant à corriger les perceptions sociales erronées. Le Maroc dispose aujourd'hui d'une fenêtre d'opportunité importante, consistant à intégrer davantage les femmes dans le marché du travail. Cela permettrait non seulement de réduire la pauvreté et d'améliorer le niveau de vie, mais aussi de stimuler la productivité et d'accélérer la transformation économique du pays. Un potentiel à exploiter Toutefois, cette problématique n'est pas propre au Maroc. Elle s'inscrit dans une dynamique plus large observée dans l'ensemble de la région MENAAP. Malgré des trajectoires économiques contrastées entre pays exportateurs et importateurs de pétrole, la faible participation des femmes au marché du travail demeure un frein structurel partagé, dont l'impact sur la croissance est désormais clairement documenté. Dans ce contexte, l'intégration des femmes dans la population active apparaît comme l'un des leviers de croissance les plus puissants. Une augmentation, même modérée du taux de participation féminine, pourrait relever significativement le revenu par habitant de 20% à 30% dans des pays comme l'Egypte ou la Jordanie, d'après les estimations de la Banque mondiale. La région se distingue ainsi par le plus fort potentiel de gains économiques associés à l'emploi des femmes parmi toutes les régions du monde. Pourtant, une femme sur cinq seulement participe aujourd'hui au marché du travail dans la région, ce qui reste largement en deçà de la moyenne mondiale. Ainsi, la transformation des perceptions sociales devient aussi importante que les réformes institutionnelles. En valorisant pleinement le capital humain féminin, la région peut non seulement réduire la pauvreté, mais accélérer sa transition économique dans un contexte de mutation démographique rapide. Maryem Ouazzani / Les Inspirations ECO