Et si l'avenir du partenariat entre l'Europe et l'Afrique se jouait sur l'Atlantique ? C'est l'idée défendue par un policy brief publié par le Policy Center for the New South. Le rapport propose de créer un cadre inédit de coopération, calqué sur le Dialogue 5+5 méditerranéen, mais limité à six pays riverains de l'Atlantique : Espagne, France, Portugal côté européen ; Maroc, Mauritanie, Sénégal côté africain. Le Dialogue 5+5, né en 1990 à Rome, a longtemps servi de laboratoire politique entre les deux rives de la Méditerranée. Ni traité, ni organisation, il a permis des avancées concrètes sur des dossiers aussi sensibles que la migration, la sécurité ou le commerce, indique l'auteur. C'est ce pragmatisme, affranchi des lourdeurs bureaucratiques, que Bassou veut transposer à l'espace atlantique. La façade atlantique de l'Afrique de l'Ouest est devenue un nouveau théâtre de la migration irrégulière vers l'Europe. Les routes partant du Sénégal et de la Mauritanie vers les Canaries connaissent une intensification préoccupante, souligne Abdelhak Bassou, auteur du brief. Mais l'Atlantique n'est pas qu'un enjeu sécuritaire : c'est aussi un corridor stratégique pour le commerce, la pêche, les énergies renouvelables et la connectivité portuaire. Pour l'auteur, il est temps que les Etats concernés prennent en main ces questions, sans attendre l'agenda parfois lent de l'Union européenne ou de l'Union africaine.
Les atouts d'un « club restreint » Le format « 3+3 » a un avantage, selon le rapport du moment qu'il rassemble des pays géographiquement connectés et stratégiquement interdépendants. L'Espagne et le Portugal, en première ligne face aux flux migratoires, ont un intérêt direct à renforcer la coopération avec Rabat, Nouakchott et Dakar. La France, déjà engagée en Afrique de l'Ouest, y trouverait également un levier supplémentaire. Un cercle restreint, donc plus réactif, capable de lancer des projets pilotes dans la pêche durable, la logistique ou l'énergie verte, avant d'élargir progressivement le cadre à d'autres Etats atlantiques. "En raison du nombre limité de participants, les groupes minilatéraux peuvent prendre des décisions plus rapidement. Par exemple, le Conseil de l'Arctique, composé de huit pays riverains de la région du même nom, permet de prendre rapidement des décisions sur les questions environnementales et de sécurité concernant cette région sensible", note le document. Cela serait beaucoup plus compliqué dans un forum plus large où des pays non directement concernés pourraient ralentir les processus décisionnels. "Contrairement au multilatéralisme, où les décisions doivent être prises par un large consensus, le minilatéralisme permet une plus grande flexibilité dans la prise de décision et la mise en œuvre de politiques", note par ailleurs l'auteur. Le G7, qui regroupe les sept économies les plus avancées du monde, permet à ses membres de discuter et d'agir rapide ment sur des questions économiques et financières globales, sans les contraintes des processus bureaucratiques qui caractérisent des institutions plus larges comme le G20 ou le Fonds monétaire international (FMI). Le minilatéralisme permet, selin la même, une mise en œuvre plus facile des décisions prises. À titre d'exemple, l'AES (Alliance des Etats du Sahel), une initiative de coopération régionale entre trois pays africains (Burkina Faso, Mali et Niger), se concentre sur la sécurité et le développement dans la région du Liptako-Gourma. Ce cadre permet, au-delà d'une coopération militaire et des actions coordonnées contre les groupes terroristes, d'œuvrer en vue d'une forme d'intégration plus solide : la confédération. En outre, les accords minilatéraux peuvent être modifiés plus facilement en fonction des changements de circonstances. La Troïka européenne (France, Allemagne, Royaume-Uni) a souvent joué un rôle crucial dans les négociations internationales, comme celles sur le nucléaire iranien, où la situation évolue rapidement. Cette exibilité est di - cile à obtenir dans des forums plus larges comme le Conseil de sécurité des Nations Unies. Le minilatéralisme permet de concentrer les ressources et les efforts sur des problèmes ou des régions spécifiques. Un bon exemple est l'Alliance du Pacifique, qui regroupe le Chili, la Colombie, le Mexique et le Pérou. Cette initiative vise à intégrer les marchés et à renforcer la coopération économique entre ces pays d'Amérique latine, leur permettant de mieux pro ter des opportunités économiques que s'ils agissaient seuls ou au sein d'une Organisation plus vaste comme l'OEA, apprend-on de même source. L'auteur insiste aussi sur le fait que le concept repose souvent sur des coopérations pragmatiques, basées sur des intérêts communs plutôt que sur des idéaux universels. Un exemple est le BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine), un groupe de pays en développement qui coopère sur les questions de changement climatique. Ensemble, ils négocient dans les forums internationaux pour défendre les intérêts des pays en développement, en particulier dans les discussions sur le financement climatique et la technologie.
Repenser le partenariat euro-africain Pour Bassou, ce projet est une occasion unique de dépasser la logique "donateur-bénéficiaire" qui marque encore les relations Nord-Sud. L'Atlantique doit devenir un espace de co-développement, où l'Europe et l'Afrique construisent ensemble des chaînes de valeur partagées, des infrastructures communes et une approche concertée des flux migratoires. Les succès du Dialogue 5+5 montrent qu'un minilatéralisme ciblé peut produire des résultats tangibles, loin des grands sommets souvent déconnectés du terrain, précise la même source, ajoutant que le « 3+3 » pourrait bien être l'amorce d'un nouveau chapitre des relations euro-africaines : moins de discours, plus d'actions concrètes. Reste à savoir si les six Etats auront la volonté politique et les moyens d'en faire autre chose qu'une bonne idée sur le papier.