Dans quelques mois, la ville de Belém, au nord du Brésil, accueillera la trentième Conférence des Nations unies sur le climat. Comme à chaque édition, les délégations des Etats du monde entier s'y rendront pour réaffirmer leur engagement en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique. Le Maroc, fidèle à sa diplomatie environnementale, y prendra naturellement part. Il ne s'agit pas là d'une nouveauté, mais d'un prolongement logique d'un positionnement déjà affirmé depuis plusieurs années. Ce qui interroge, cependant, ce n'est ni la participation elle-même, ni la légitimité du Maroc à siéger à la table des négociations. Ce qui retient l'attention, en revanche, c'est le coût annoncé de cette opération : 8,9 millions de dirhams, débloqués pour organiser la présence nationale à ce sommet international. En soi, la dépense pourrait paraître secondaire dans l'océan des finances publiques. Une broutille, face aux enjeux climatiques mondiaux. Et pourtant, ce chiffre en dit long. Il raconte une forme d'indécence budgétaire et illustre un éloignement croissant entre les priorités d'un gouvernement qui veut briller à l'international et les besoins criants d'une population qui souffre en silence. Une présence prestigieuse... mais à quel prix ? Au-delà du montant, c'est la symbolique qui interroge. À l'heure où une part importante de la population marocaine compose avec une inflation persistante, où les produits de première nécessité connaissent des hausses continues, où les classes moyennes s'effritent et où les jeunes diplômés, pourtant bardés de compétences, peinent à trouver leur place dans le tissu économique, la communication autour de cette participation à la COP30 provoque un certain malaise. Il ne s'agit pas ici de céder à une forme de populisme financier, encore moins de remettre en cause l'engagement du Royaume en matière de développement durable, mais plutôt de questionner le sens profond de ce type de dépense, dans un moment où chaque dirham d'argent public devrait être orienté vers la réparation du tissu social. Ce malaise n'est pas nouveau. Il s'est déjà manifesté lors des précédentes éditions de la COP. En 2023, à Dubaï, la délégation marocaine comptait pas moins de 823 membres. Un chiffre qui, à lui seul, a suscité interrogations et critiques, y compris au sein de l'Hémicycle. Fatima Tamni, une députée de l'opposition avait alors mis en lumière un chiffre accablant : plus de 80 % des personnes présentes n'auraient eu aucune mission officiellement définie. Ce constat, s'il est avéré, traduit une dérive que l'on croyait révolue, celle d'une participation de façade, lourde sur le plan logistique mais creuse sur le fond, où l'invitation à la COP devient une forme de tourisme vert aux frais du contribuable, une récompense symbolique, déconnectée des enjeux techniques du climat et de la transition. Indécence arithmétique et légitimité politique Ce qui est en jeu ici dépasse le simple cadre budgétaire. C'est une question de hiérarchie des priorités, de cohérence entre discours et pratique. Le Maroc, on le sait, s'est engagé dans des chantiers importants : Ouarzazate et son complexe Noor incarnent cette volonté de se projeter vers un avenir énergétique plus propre. Des plans sectoriels ont vu le jour, des stratégies territoriales sont en gestation. Mais pendant que les responsables investissent des millions pour faire valoir leur parole dans les forums internationaux, sur le terrain national, dans le sud-est du pays, des villages entiers manquent d'eau potable, dans les montagnes, les écosystèmes s'effritent, dans les villes, la canicule devient meurtrière. Et dans les campagnes, des milliers d'agriculteurs peinent à survivre, victimes de sécheresses à répétition. Les secteurs vitaux comme la santé, l'éducation ou l'emploi manquent cruellement de moyens. Le chômage des jeunes diplômés reste alarmant, malgré les promesses. LIRE AUSSI : Le président de la COP29 appelle à une adhésion massive à la Déclaration sur l'eau Ce sont ces urgences-là que la politique climatique marocaine doit affronter avec rigueur et méthode. D'ailleurs, l'article 35 de la Constitution rappelle que le développement durable est un impératif transversal ; il commande de calibrer toute action publique à l'aune de son impact socio-économique concret. Ce sont ces réalités qui devraient être au centre de notre politique climatique. Et non pas les pavillons éphémères, les cocktails d'ambassade, ou les selfies diplomatiques dans les couloirs des COP. Pour 8,9 millions de dirhams, combien de puits aurions-nous pu creuser ? Combien d'écoles rurales aurions-nous pu équiper ? Combien de familles aurions-nous pu aider à s'adapter au dérèglement climatique ? L'angle mort de la transparence La question est donc simple, mais centrale : à quoi sert cette grande mobilisation à l'international, si elle ne s'accompagne pas d'un retour tangible pour les territoires ? Pourquoi faut-il déplacer tout ce contingent ? Le développement durable, tel qu'inscrit dans notre cadre constitutionnel et institutionnel, ne peut pas être une politique d'image. Il doit se traduire par des projets concrets, des retombées locales, une appropriation citoyenne. L'écologie ne peut être réservée aux grandes salles de conférence ou aux pavillons officiels, elle doit vivre dans les douars, dans les quartiers populaires, dans les exploitations agricoles et les écoles rurales. Ce sont ces espaces-là qu'il faut équiper, moderniser, protéger. Dans ce débat, une dimension mérite d'être rappelée : celle de la transparence. Lorsque des millions de dirhams sont engagés pour des missions à l'étranger, la moindre des choses est d'en rendre compte avec précision. Qui part ? Pour quoi faire ? Avec quel mandat ? Et selon quelle évaluation ex post ? Tant que ces questions restent sans réponse, tant que les délégations s'organisent selon des logiques peu lisibles, la défiance persistera. Et avec elle, l'idée, malheureusement répandue, que l'on privilégie encore trop souvent le symbole à l'efficacité. Sans ces garde-fous, la diplomatie verte risque de basculer dans la cosmétique institutionnelle. Force donc est de souligner qu'il ne s'agit pas de s'opposer à la présence du Maroc à la COP30, ni de remettre en cause l'utilité d'un engagement diplomatique soutenu sur le climat. Rappelons-le, la COP relève d'un cadre multilatéral incontournable ; le Maroc fut hôte de la COP 22 et pionnier du Plan national climat. Il s'agit, plus simplement, de rappeler que cette présence ne saurait être dissociée des exigences de redevabilité, de lisibilité et d'impact. L'internationalisation de la politique climatique du Royaume n'aura de sens que si elle s'arrime aux attentes légitimes des Marocains, en particulier les plus exposés à la vulnérabilité écologique. Sinon, elle risque d'être perçue, à tort ou à raison, comme une manœuvre d'habillage, un verdissement de façade, sans lien avec les réalités locales. Il est sain qu'une députée comme Fatima Tamni ose poser la question : à quoi servent ces dépenses ? Et qui en décide ? Dans une démocratie digne de ce nom, une telle dépense, surtout dans un domaine aussi stratégique que le climat, devrait faire l'objet d'un débat parlementaire transparent, avec un suivi, des résultats, et des comptes rendus publics. Car la véritable transition écologique ne se joue pas à Belém. Elle se joue dans nos douars, nos quartiers, nos vallées. Elle ne se fera pas avec des badges VIP, mais avec des décisions courageuses, qui placent le citoyen, la nature et la justice sociale au cœur des priorités. Ceci dit, la COP 30 peut, et doit, être une opportunité. Mais le succès ne se mesurera ni au nombre des badges, ni à la taille du pavillon national. Il se jugera à la capacité de l'exécutif à articuler projection internationale et cohésion sociale, conformément à l'esprit de l'article 31 de la Constitution, qui érige la justice sociale en principe cardinal. À défaut, la fracture symbolique entre les élites de la diplomatie durable et les citoyens de la précarité environnementale continuera de s'élargir. Et avec elle, la défiance.