On entend souvent que l'Afrique est un immense marché d'avenir. Mais derrière les chiffres, une question persiste : ce milliard de personnes est-il réellement accessible pour les investisseurs et les entreprises ? La réponse n'est pas binaire. À l'horizon 2025, les dépenses de consommation du continent devraient franchir le seuil des 2 100 milliards de dollars. Mais cette trajectoire prometteuse masque une concentration géographique et des fragilités structurelles. Le Maroc, entre dynamique régionale et vulnérabilités internes, illustre les enjeux d'une économie de consommation africaine encore en construction. L'Afrique fascine autant qu'elle interroge. Forte d'une population de plus de 1,4 milliard d'habitants, elle constitue l'un des marchés de consommation à la croissance la plus rapide au monde. Le continent, longtemps perçu comme réservoir de matières premières, s'affirme désormais comme un espace économique où la demande intérieure devient moteur de croissance. Pourtant, derrière les chiffres flatteurs se dessine une réalité moins homogène, marquée par de fortes disparités géographiques, des déséquilibres sociaux persistants et des trajectoires économiques différenciées. Le cap symbolique de 2 100 milliards de dollars de dépenses de consommation attendu en 2025 ne doit pas occulter une concentration saisissante. Trois géants — le Nigeria, l'Egypte et l'Afrique du Sud — concentrent à eux seuls plus de la moitié de cette manne. La croissance, elle, se concentre à 65 % dans vingt marchés clés, accentuant une hiérarchisation du développement économique. Si ces grandes économies dominent encore l'échiquier continental, une redistribution silencieuse des rôles est à l'œuvre : la dynamique de l'Afrique de l'Est et de l'espace francophone s'intensifie, au détriment relatif des locomotives historiques que sont l'Afrique du Sud et le Nigeria. Lire aussi : L'Afrique à l'épreuve de la justice fiscale Ce basculement reflète des évolutions structurelles. D'un côté, l'instabilité politique et les faiblesses industrielles minent les capacités de rebond de certains pays d'Afrique australe et de l'Ouest anglophone. De l'autre, les politiques d'émergence, la stabilité relative et l'ouverture aux investissements étrangers soutiennent la montée en puissance de pôles alternatifs, de Dakar à Nairobi, en passant par Casablanca. L'alimentation reste, sans surprise, le premier poste de dépenses. Elle capte en moyenne un tiers du budget des ménages, et jusqu'à 40 % dans les économies en développement. Toutefois, l'émergence d'une classe moyenne urbaine, jeune et connectée, bouleverse les priorités. Les dépenses dites non essentielles progressent rapidement : les services financiers numériques — notamment le mobile money — favorisent l'essor de l'e-commerce, dont la part dans les ventes au détail pourrait atteindre 10 % dans plusieurs grandes économies du continent d'ici à 2025. Les secteurs du bien-être, de la beauté et des services à la personne suivent cette courbe ascendante, avec un marché estimé à 10 milliards de dollars sur la même période. Le Maroc, un laboratoire d'équilibres fragiles À l'échelle régionale, le Maroc se positionne en acteur à part entière de cette dynamique. Les prévisions pour 2025 annoncent une croissance du PIB revue à la hausse, atteignant 4,5 %, portée par la reprise agricole et un contexte monétaire stabilisé. L'inflation, contenue autour de 1 %, confère un pouvoir d'achat relativement stable, permettant aux dépenses des ménages d'atteindre près de 983 milliards de dirhams — soit environ 103 milliards de dollars — en progression de 3,7 % en valeur. Le royaume capitalise sur une stratégie d'ouverture économique affirmée. La modernisation des circuits de distribution, la montée en puissance des centres commerciaux et de la grande distribution, ou encore la percée de l'e-commerce transforment profondément l'environnement de consommation. Parallèlement, les investissements directs étrangers ciblent des secteurs stratégiques, tels que les data-centers, l'industrie automobile ou encore l'aéronautique, renforçant l'ancrage du pays dans les chaînes de valeur mondiales. Néanmoins, cette dynamique reste traversée par de profondes disparités. L'accès au financement demeure inégal, en particulier pour les ménages ruraux. La confiance des consommateurs, fragile, pâtit de tensions sociales latentes et d'un taux de chômage structurellement élevé, oscillant entre 12 et 13 %. S'ajoutent à cela les effets récurrents de la sécheresse, qui affectent la stabilité des revenus agricoles et, par ricochet, la consommation domestique. Le modèle marocain, bien que résilient, reste exposé aux chocs exogènes, aux fluctuations des marchés mondiaux et à la pression du climat. Avec MAP