Selon les chiffres d'OpinionWay Maroc et Saga publiés en 2024, 43% des jeunes marocains passent entre 3 et 5 heures par jour sur les réseaux sociaux. Autrefois, c'était la télévision qui formait l'imaginaire collectif. Aujourd'hui, ce sont TikTok et Instagram qui redessinent les repères culturels, dès le plus jeune âge. Les enfants grandissent face à des écrans, et les jeunes y réinventent leur identité marocaine. TikTok et Instagram ne sont plus de simples plateformes de divertissement pour la jeunesse marocaine. Depuis plusieurs années, et surtout depuis la pandémie, ces espaces numériques sont devenus des terrains d'expression identitaire, où les jeunes redéfinissent ce que signifie être marocain dans un monde globalisé. À travers des vidéos courtes, des tendances locales ou des récits du quotidien, ils s'approprient de nouveaux codes culturels tout en réaffirmant leur appartenance à une identité hybride. Tout d'abord, l'usage massif des réseaux sociaux témoigne d'un basculement culturel majeur. En effet, dans un communiqué conjoint, relayé par la presse, d'OpinionWay Maroc et Saga publié le 15 mars 2024, 43 % des Marocains âgés de 18 à 29 ans passent entre trois et cinq heures par jour sur les réseaux sociaux. Instagram reste la plateforme préférée de plus de la moitié d'entre eux, mais TikTok connaît une ascension spectaculaire, atteignant 12,4 millions d'utilisateurs adultes au Maroc, selon les chiffres de DataReportal de 2024. Cette présence quasi permanente sur les réseaux n'est pas anodine : elle correspond à une quête d'affirmation de soi, de reconnaissance sociale et de connexion avec la communauté, y compris celle de la diaspora marocaine. Ces plateformes ne servent plus uniquement à consommer du contenu, mais deviennent des laboratoires d'auto-production culturelle où chacun peut se mettre en scène, raconter son vécu ou revendiquer ses valeurs. Lire aussi : Le Maroc de demain a le visage de sa jeunesse Darija et amazigh menacées ? Par ailleurs, l'un des phénomènes les plus marquants est la réhabilitation de la darija dans le langage numérique. Autrefois considérée comme vulgaire ou simplement informelle, elle devient aujourd'hui un outil de distinction sociale et un marqueur de modernité. Les jeunes marocains, en particulier les créateurs de contenu, en ont fait un véritable levier de proximité et d'humour. Le passage de la darija à l'écrit se généralise dans les campagnes publicitaires, les vidéos éducatives ou encore les concepts diffusés par des médias marocains. Ce mouvement n'est pas seulement esthétique, mais il traduit une volonté d'authenticité, de parler vrai, d'être en phase avec la réalité du terrain. En parallèle, l'amazigh bénéficie d'une visibilité grandissante depuis son officialisation en 2011. Grâce aux efforts de l'Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), à la diffusion d'émissions en tifinagh et à l'essor de contenus amazighs sur les réseaux, cette langue trouve une place légitime dans le paysage culturel numérique. En revanche, cette révolution numérique n'est pas sans effets secondaires, notamment au sein des familles marocaines. L'omniprésence des écrans modifie en profondeur les dynamiques familiales. D'après des enquêtes relayées par les médias, 60 % des jeunes utilisent les réseaux pour maintenir le contact avec leur famille éloignée, ce qui contribue à préserver les liens malgré la distance géographique. Toutefois, cette connectivité s'accompagne de tensions croissantes dans la sphère domestique. 40 % des jeunes reconnaissent une baisse des échanges directs avec leurs proches, en particulier lors des repas, où 70 % d'entre eux admettent continuer à utiliser leur téléphone. Cette révolution inquiète aussi une partie de la classe politique. Selon des sources, le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaid, a récemment annoncé des discussions avec TikTok pour ouvrir un bureau au Maroc, dans l'objectif de mieux encadrer les contenus et de défendre les valeurs locales. Le débat sur une potentielle interdiction de la plateforme revient régulièrement, notamment après des polémiques sur des contenus jugés immoraux ou nuisibles. Une identité en mille questions La transformation culturelle portée par les réseaux sociaux n'est pas sans conséquences négatives. Si TikTok et Instagram ont permis à de nombreux jeunes de s'exprimer librement et de valoriser leur créativité, ils ont aussi introduit une forme d'uniformisation globale qui affecte progressivement l'identité marocaine. En effet, on observe de plus en plus chez les jeunes l'adoption de comportements, de tenues vestimentaires, de modes de vie et même de manières de parler directement inspirés d'influences étrangères. Des expressions anglo-saxonnes remplacent des mots en darija, les fêtes importées comme Halloween ou la Saint-Valentin sont célébrées avec plus d'enthousiasme que certaines traditions locales, et les styles vestimentaires adoptés sur Instagram (parfois très éloignés des normes culturelles marocaines) deviennent la norme pour une frange importante de la jeunesse. Ce glissement progressif, alimenté par des algorithmes qui valorisent les tendances internationales au détriment des références locales, fragilise les repères culturels traditionnels. Selon les médias, nombre de familles expriment leur inquiétude face à cette perte de singularité et à la montée d'un mimétisme culturel qui risque de diluer l'identité marocaine au profit d'un modèle globalisé, souvent détaché des réalités sociales et historiques du pays.