Messieurs Ayad et Bobin, On en arrive donc à la fin. Votre accroche « Paris vaut bien une messe, Casablanca vaut bien une fatwa » est une trouvaille de café du commerce, pas une analyse. Vous parlez « d'entorse au rite » comme si le Maroc vacillait au rythme d'un mouton égorgé ou non. Or, il ne s'agit ni d'anathème ni de théocratie, juste d'un arbitrage d'Etat afin de protéger les plus modestes et éviter l'effondrement d'un cheptel exsangue. Bref, gouverner. Le symbole est pourtant clair. Un Roi qui accomplit le sacrifice pour sa famille et pour la communauté, tout en allégeant la charge de son peuple. C'est du droit musulman pur, appliqué dans la tradition malékite « maslaha » (l'intérêt général) et « daroura » (la nécessité). Feu Hassan II l'avait déjà fait, trois fois, sans que personne ne s'étrangle. Mais vous, vous préférez maquiller la responsabilité politique en « fatwa » exotique. C'est une décision de chef d'Etat responsable face à une crise économique et climatique. Vous appelez ça « mise en scène », nous appelons ça pragmatisme social. Evidemment, vous préférez le folklore du mouton au fait que des familles modestes ont pu préserver leurs revenus. Et c'est tout le drame de votre série, six épisodes promis comme une « plongée au cœur du pouvoir » pour tenir les lecteurs en haleine, et au final vous livrez un ramassis de clichés, d'apartés de salon et de petites images d'opérette. Franchement, si j'avais attendu la fin pour répondre, je ne l'aurais même pas fait, on ne dissèque pas un soufflé déjà retombé, on le jette. L'histoire du titre : science politique ou vieux réflexes coloniaux ? Messieurs Ayad et Bobin, Vous croyez faire œuvre d'érudition en ressortant Lyautey, comme si le « commandeur des croyants » était une trouvaille d'officier colonial. C'est d'une naïveté confondante ! Comme si un maréchal, entre deux défilés militaires, avait inventé une institution enracinée dans la lignée prophétique. Ce titre plonge dans quatorze siècles de légitimité religieuse et dynastique. Lyautey n'a rien inventé, il n'a fait que constater et, comme tout colon, exploiter une réalité plus vieille que lui de plus de mille ans. Croire que ce titre a été « créé » par le protectorat, c'est un peu comme dire que la papauté a été inventée par Napoléon parce qu'il a couronné Pie VII. C'est absurde. Mais voilà, votre enquête carbure au cliché, pas aux faits. Votre manie est toujours la même. Ce que vous appelez « héritage républicain » en France devient « bricolage colonial » au Maroc. Chez vous, c'est de l'Histoire avec un grand H ; chez nous, ce serait un artifice monté dans une caserne française. Votre impartialité est à géométrie variable. LIRE AUSSI : Le Maroc avance, « Le Monde » s'accroche à sa canne 1/6 Quant à votre « contresens » répété « ce n'est pas une fonction religieuse », vous tombez dans le piège de votre propre caricature, merci pour la porte ouverte. Le Roi n'est pas imam du vendredi, il est garant d'un équilibre entre foi et Etat, entre continuité religieuse et stabilité nationale. Une fonction sui generis, unique au Maroc, et qui tient le pays debout là où d'autres se sont effondrés. Alors oui, continuez à brandir Lyautey comme un prestidigitateur qui aurait sorti le titre de son képi. Les Marocains, eux, savent que leur monarchie est l'une des plus anciennes institutions vivantes du monde musulman. Et ça, Messieurs, ce n'est pas un bricolage colonial, c'est une continuité nationale. Théâtre ou gouvernance ? Messieurs Ayad et Bobin, Vous persistez à voir du « décor » là où il y a diplomatie historique. Quand feu Hassan II reçoit Jean-Paul II ou que le Roi Mohammed VI accueille François, ce n'est pas une « mise en scène », c'est un dialogue interreligieux rarissime dans le monde musulman, salué dans le monde entier. Mais dans vos colonnes, ça devient du théâtre. Chez vous, c'est de l'histoire ; chez nous, c'est du folklore. Etrange façon de mépriser l'un des rares espaces où islam et christianisme se rencontrent sans haine. Et venons-en à Addourous Alhassaniya, pour vous, ce n'est que du rituel creux. Pour nous, c'est un espace de réflexion où savants du monde entier viennent nourrir un islam du juste milieu, depuis des décennies. Vous reprochez au Roi de ne pas improviser des sermons, puis vous lui reprocheriez aussitôt de « cléricaliser » le pouvoir s'il le faisait. Contradiction permanente. Quant à la Constitution de 2011, vous brandissez l'absence du mot « liberté de conscience » comme une défaite. Belle malhonnêteté ! la liberté de culte est garantie depuis 1962, Rabat héberge un centre de formation théologique chrétien en partenariat avec Paris et Strasbourg, protège ses minorités juives et chrétiennes, et a ouvert un espace unique en Afrique pour un islam tolérant. Pas assez spectaculaire pour vous ? Sans doute. Mais infiniment plus concret que vos indignations de papier. Terrorisme : vos indignations, nos résultats Messieurs, Vous présentez 2001 comme la « naïveté » d'un Roi qui ne voyait pas la menace. Faux, le Roi Mohammed VI refusait la psychose du post-11 Septembre. Il rappelait une évidence que barbe et voile ne sont pas des crimes, mais des choix individuels. C'était une position de liberté religieuse assumée, pas une preuve d'aveuglement. Ce que vous appelez « illusion », c'était la défense endossée de la liberté religieuse mais aussi une volonté claire de distinguer l'islam de l'islamisme. Vous confondez lucidité et cécité, nuance. Puis viennent Casablanca et Madrid. Et vous jubilez : « le Maroc ne pouvait plus se réfugier » derrière le fameux « ce n'est pas l'islam ». Rappelons que de Bush à Chirac en passant par Zapatero, tout le monde a martelé cette phrase. Chez vous, c'est sagesse ; chez nous, fuite. Voilà votre double standard, encore et toujours. LIRE AUSSI : Quand l' « autre Monde » se prend pour le psy du Palais 2/6 Vous dramatisez ensuite la riposte. Oui, il y a eu fermeté. Et heureusement d'ailleurs. Oui, la sécurité a été renforcée. Et devinez quoi ? C'est précisément ce choix qui a évité au Maroc le chaos syrien, libyen ou algérien. Préférez-vous des Bataclan annuels pour nourrir vos colonnes ? Grâce à cette doctrine, le Maroc est devenu partenaire-clé d'Europol, d'Interpol et des polices européennes dans la lutte antiterroriste. Mais ça, silence radio. Vos « vols secrets de la CIA » ? Vous faites mine de découvrir l'eau tiède. Londres, Varsovie, Madrid, toute l'Europe a collaboré avec Washington dans la « guerre contre le terrorisme ». Mais quand Rabat coopère, c'est « torture en douce » ; quand vos capitales le font, c'est « défense du monde libre ». Hypocrisie, acte II. La « reprise en main des mosquées » ? Vous la peignez en musellement, alors que c'est exactement ce que Paris tente, laborieusement, avec son « islam de France ». Former des imams, encadrer les prêches, promouvoir un islam de tolérance. Bien entendu, sous nos cieux, c'est « dérive » ; chez vous, c'est « réforme courageuse ». Pourtant, là où vous voyez une dérive autoritaire, toute l'Europe voit un bouclier contre le terrorisme. Mais évidemment, c'est moins vendeur qu'un « film noir marocain ». Et cerise sur le gâteau, vous reléguez l'Institut Mohammed VI des imams et la Fondation des oulémas africains à une note en bas de page. Or l'ONU et les pays du Sahel les citent comme un modèle de soft power et un bouclier contre l'extrémisme. Mais évidemment, difficile de reconnaître que le Maroc est une référence quand on a passé six épisodes à le réduire à un décor exotique. Le PJD : alternance ou fantasmagorie ? Messieurs, Vous racontez l'histoire du PJD comme une tragédie écrite au palais. Sauf que la réalité est plus banale et plus démocratique. Ils ont gagné en 2011, confirmé en 2016, gouverné dix ans, puis perdu en 2021. Pas par décret Royal mais par les urnes. Et cela grâce à une Constitution révisée qui a élargi le jeu politique. Bref, au Maroc, l'islamisme a été intégré, testé, dépassé, sans blocage à la tunisienne ni tanks à l'égyptienne. Vous appelez ça « usure orchestrée » ? C'est ce qu'on appelle une alternance démocratique. Les Marocains ont sanctionné une gestion médiocre, comme les Français ont balayé le PS ou Les Républicains. Voilà une mécanique démocratique, mais vous la peignez en machination de palais. LIRE AUSSI : Le Monde à l'envers — 3/6 Deux législatures entières, un Premier ministre grande gueule libre de ses piques, et une sortie par le vote populaire. Voilà un mécanisme politique qui fonctionne. Mais vous, vous le présentez comme une sombre intrigue de palais. Vous accusez ensuite le Roi d'avoir laissé le PJD assumer des décisions impopulaires. Mais c'est bien le rôle d'un gouvernement de gérer le réel, prendre des coups, rendre des comptes. En Europe, ça s'appelle « responsabilité politique » ; au Maroc, vous le renommez « stratégie de bouclier ». Même réforme, deux lectures, la vôtre toujours à charge. Autrement dit, l'Occident gère, le Maroc manipule. Et pendant que vos voisins sombraient dans la guerre civile ou le coup d'Etat, le Maroc a démontré qu'une monarchie pouvait absorber et neutraliser l'islamisme légaliste sans répression ni chaos. Mais ça, évidemment, vous ne pouvez pas l'admettre, ça contredit toute votre dramaturgie orientale. Réforme du code de la famille : modernisation ou procès biaisé ? Messieurs, Vous concédez que la réforme de 2004 était audacieuse... mais aussitôt vous l'enterrez sous le procès en « mauvaise application ». Un classique, quand le Maroc ne réforme pas assez vite, c'est du conservatisme ; quand il réforme, c'est « mal appliqué ». Vous feignez d'oublier l'essentiel : restriction de la polygamie, âge du mariage relevé, droit au divorce pour les femmes, fin du monopole masculin du statut de chef de famille. Autant de ruptures qu'aucun pays voisin n'a osées. Mais au lieu de reconnaître l'audace historique, vous exigez que le Roi aille lui-même siéger dans chaque tribunal pour surveiller les juges. Ridicule. LIRE AUSSI : Quand Le Monde joue aux apprentis sorciers du trône marocain 4/6 Ensuite vous jonglez avec des contradictions qui feraient rire s'il ne s'agissait pas de sujets sérieux. Vous dégainez donc la « nervosité religieuse permanente » à propos du prosélytisme. Pourtant, chez vous, la France interdit le prosélytisme à l'école, l'Allemagne contrôle les prêcheurs étrangers, et les Etats-Unis expulsent à tour de bras. Chez l'Occident, c'est « vigilance » ; chez le Maroc, c'est « tabou ». L'absurde dans toute sa splendeur. Quant à la « Moudawana 2 », vous la condamnez avant même qu'elle ne soit votée. Et au lieu d'y voir une dynamique d'adaptation et de progrès, vous transformez cela en « limites et pesanteurs ». Là encore, contradiction : vos propres sociétés se déchirent depuis cinquante ans sur l'avortement, la parité ou l'égalité salariale, mais vous exigez du Maroc qu'il passe du XVe au XXIe siècle en un claquement de doigts. Deux poids, deux mesures, toujours. Mohammed VI, l'énigme qui vous dépasse Messieurs, Et vous terminez en roue libre ; « un Roi libéral mais autoritaire, modeste mais riche, proche mais lointain, qui ne gouverne pas mais règne ». Vous avez oublié : « visible mais invisible, solaire mais lunaire… ». Bref, tout et son contraire. À ce stade, ce n'est plus de l'analyse, c'est un exercice de style, un dictionnaire d'oxymores ou limite, un haïku sous transe. Et vous pensiez avoir trouvé la formule magique : « l'énigme Mohammed VI ». Vous l'avez placée là, comme une pirouette de fin, pensant boucler votre papier avec un brin de fantaisie et une touche d'ironie parisienne. Mais non, messieurs, vous vous êtes trompés d'énigme. Ce qui vous échappe, ce n'est pas le silence du Roi, c'est sa maîtrise. Ce n'est pas son absence de mise en scène, c'est son refus du vacarme. Il ne tweete pas, ne brame pas, ne parade pas … il agit. Et pendant ce temps-là, l'Etat tient. Mieux, il progresse. Tranquillement. Solidement. Sans tambour ni trompette. Et voilà que vous nous servez, avec un clin d'œil entendu, votre « roi qui ne gouverne pas mais se délecte à régner ». Sérieusement ? C'est ça votre clé de lecture après 26 ans de règne ? Une formule creuse pour expliquer une stabilité que vous n'arrivez pas à comprendre et que vous ne tolérez plus chez vous ? Alors posons calmement les faits que vous fuyez. Voici un Roi sans rente pétrolière, sans gaz naturel, sans colonies ni trésor de guerre, qui a hissé son pays à la table des puissances régionales. Un Maroc devenu pivot africain, acteur diplomatique, portuaire, industriel, agricole, énergétique, sécuritaire. Un pays qui pose ses jalons sur trois continents sans jamais renier ni son histoire, ni ses choix. LIRE AUSSI : Le Monde et sa chronique mondaine déguisée en enquête – 5/6 Le Roi Mohammed VI, c'est un méga-port à Tanger, un gazoduc de 7.000 kilomètres, un TGV, une industrie automobile exportée, une stratégie vaccinale souveraine, des dizaines d'accords Sud-Sud, une diplomatie du respect mutuel et une constance institutionnelle dans un monde devenu ivre de chaos. Alors, dites-moi : qu'appelez-vous gouverner ? Est-ce cinq ans de toupie institutionnelle avant un plongeon dans le chaos social ? Une alternance de casting sans changement de cap ? Un jeu de chaises musicales où l'on administre l'impuissance à visage découvert ? Soyons sérieux. Vous fabriquez une fable là où la réalité vous gêne. Vous cherchez du mystère là où il y a de la méthode. Vous brandissez l'Orientalisme comme un paravent quand vous refusez de voir une réussite qui ne vous doit rien. Vous vouliez un Sphinx insaisissable mais vous tombez sur un stratège, un bâtisseur, un homme d'Etat. Oui, le Roi Mohammed VI est une énigme. Mais seulement pour ceux que l'efficacité sans fracas dérange. Il réforme sans renier, il modernise sans renier l'Histoire, il s'ouvre sans se soumettre. Et sa monarchie, que vous prenez de haut comme un folklore dépassé, est l'ossature d'un Etat qui tient debout quand vos Républiques plient sous chaque vague syndicale. C'est l'énigme d'une monarchie millénaire qui traverse le siècle debout. Alors, non, vous ne le comprendrez jamais. Parce que pour cela, il faudrait admettre qu'au Sud de vos certitudes, il existe une puissance qui ne se contente plus de se tenir debout … elle avance. Vous voulez donc qu'on satisfasse vos fantasmes ? Oui, le Roi Mohammed VI est une énigme que vous ne comprendrez jamais.