Le Maroc s'est progressivement imposé comme un carrefour économique reliant l'Europe, l'Afrique et l'Amérique. Derrière cette position géostratégique, consolidée par des accords commerciaux, des investissements industriels et des infrastructures de grande envergure, subsiste toutefois une vulnérabilité persistante : le coût logistique. Evalué durant des années à près de 20 % du produit intérieur brut, ce ratio figure parmi les plus élevés des économies émergentes comparables, constituant un handicap majeur pour la compétitivité des entreprises marocaines face à leurs concurrentes européennes ou asiatiques. Pour y remédier, l'Etat a engagé dès 2010 une stratégie nationale de modernisation logistique. L'objectif affiché : réduire cette facture à 15 % du PIB et déployer un réseau national de zones logistiques. Quinze ans après, le chantier reste incomplet, mais ses enjeux n'ont jamais été aussi stratégiques. Créée en 2011, l'Agence marocaine de développement de la logistique (AMDL) supervise la mise en œuvre d'un plan visant à aménager 750 hectares de zones logistiques d'ici 2028. La démarche repose sur un principe central : dans une économie mondialisée où vitesse, flexibilité et maîtrise des coûts dictent la performance industrielle, aucun pays ne peut prétendre à l'intégration dans les grandes chaînes de valeur sans une logistique compétitive. Le plan prévoit un maillage national de plateformes régionales connectées aux grands ports, zones industrielles, aéroports et corridors autoroutiers. Ces espaces doivent accueillir les opérateurs du transport, de l'entreposage et de la distribution, en mutualisant les services afin de réduire les coûts d'exploitation. L'exemple de la zone logistique de Zenata, adossée au port de Casablanca, illustre le potentiel de ce modèle : désengorgement des accès portuaires, optimisation des flux et services intégrés à coûts compétitifs. Toutefois, ces réussites demeurent isolées et insuffisantes pour provoquer un basculement à l'échelle nationale. Lire aussi : LOGITERRE 2025 : Casablanca, carrefour stratégique de la logistique africaine La concrétisation des 750 hectares de zones logistiques reste confrontée à un obstacle central : le foncier industriel. La rareté des terrains bien situés, la flambée des prix et la lourdeur des procédures d'acquisition constituent autant de freins. À cela s'ajoutent d'autres contraintes structurelles notamment le transport terrestre encore dominé par l'informel, mais aussi une interconnexion limitée entre modes routier, ferroviaire, maritime et aérien. Par ailleurs, l'absence d'un guichet unique digitalisé pour les opérations logistiques, similaire à PortNet pour les procédures portuaires, pèse sur la fluidité des démarches et génère des surcoûts liés à la dispersion administrative. Un enjeu économique et géostratégique Avec sa position géographique privilégiée au croisement des routes maritimes euro-méditerranéennes et atlantiques, le Maroc dispose d'atouts majeurs pour devenir un hub logistique régional. Les projets en cours à proximité des ports de Tanger Med, Casablanca, Agadir et Dakhla s'inscrivent dans cette perspective. Le succès de Tanger Med, devenu en une décennie l'un des premiers ports à conteneurs de la Méditerranée, démontre la capacité du pays à bâtir un écosystème intégré associant industries manufacturières, entrepôts et services logistiques. La duplication de ce modèle à l'échelle nationale constitue désormais un impératif. La stratégie logistique ne peut se limiter aux seuls pôles historiques de la croissance. Le développement de plateformes régionales à Fès, Meknès, Béni Mellal, Errachidia ou Laâyoune vise à désenclaver les territoires périphériques et à dynamiser leurs filières stratégiques : agriculture dans le Souss-Massa, pêche dans les provinces du Sud, agro-industrie dans le Gharb, artisanat et produits du terroir dans les régions de l'intérieur. Ces infrastructures doivent permettre une intégration plus équilibrée des territoires dans les chaînes de valeur nationales et internationales. La réussite de cette stratégie passe également par l'intégration des technologies numériques. Automatisation des entrepôts, plateformes digitales de gestion des flux, intelligence artificielle appliquée à la supply chain : autant de leviers pour faire entrer la logistique marocaine dans l'ère de l'industrie 4.0. L'offre doit évoluer vers des services logistiques intégrés, incluant la gestion des stocks et la livraison du dernier kilomètre, afin de répondre aux exigences du e-commerce et des circuits courts. Cela suppose aussi un investissement accru dans la formation et la montée en compétence des ressources humaines. À trois ans de l'échéance fixée pour la mise en place des 750 hectares de zones logistiques, le Maroc joue une part décisive de sa compétitivité future. L'urgence est désormais d'accélérer les chantiers, de lever les blocages fonciers et institutionnels, et de transformer une stratégie sur le papier en une réalité opérationnelle. Dans un contexte où la compétitivité logistique conditionne l'attractivité industrielle et commerciale, chaque point de coût gagné représente un avantage stratégique pour l'économie nationale.