Hommagée au Festival international du film de Marrakech (FIFM 2025) pour l'ensemble de sa carrière sur quarante ans, l'actrice et réalisatrice américaine Jodie Foster revient sur les grands défis passés et futurs du cinéma, ainsi que sur les questionnements qui ont traversé son expérience devant la caméra. Entretien. Lors de l'hommage qui vous a été consacré au FIFM 2025, vous avez souligné que dans votre carrière, vous avez traversé l'histoire du cinéma, de l'âge d'or des studios jusqu'aux plateformes de streaming et l'IA. Qu'est-ce qui, selon vous, a le plus bouleversé le métier ? Et comment choisissez-vous encore vos projets de films, dans ce paysage en perpétuelle mutation ? Je pense que les deux choses qui ont tout changé, c'est la révolution digitale, bien sûr. Pour tout le monde, pour vous, pour moi, pour le cinéma, tout a changé à partir de ça. Mais aussi le fait qu'il n'y avait pas de femmes dans le cinéma quand j'étais très jeune, à l'âge de trois ans ou à l'âge de six ans. Je ne voyais jamais une autre femme. Ou même, jamais une autre ethnie. On ne pensait pas à ça, à l'époque. Mais là, quand je regarde en arrière, je me dis : Comment ça se fait qu'avec plus de 40 films tout au long de ma carrière, je n'en ai jamais fait avec une femme ? Je n'ai fait qu'un seul film avec une femme en 40 ans. Mais les quatre derniers, c'était tous avec des femmes. C'est intéressant. Le film «Les accusés» en 1988 parle de la mécanique du viol, du silence complice, bien avant la vague Me Too. Quel impact cela a pu avoir au niveau de la société américaine et occidentale en général ? Le cinéma a beaucoup de pouvoir pour nous montrer, refléter qui nous sommes en tant qu'humains, les pires des choses et les meilleures. Je ne peux pas dire que c'est le début, parce qu'il y a plusieurs films qui ont été faits sur le viol avant Les accusés, mais c'était quand même pour les Etats-Unis une nouvelle étape de débat et de questionnement : Est-ce qu'une femme peut mériter le viol ? Et c'était à l'époque une question absolument révolutionnaire, parce que la plupart des gens disaient : Oui, elles peuvent. Si jamais elles s'habillent comme ça, si elles parlent trop fort, si elles ont trop de pouvoir, si elles sont trop charmantes, trop séduisantes, si elles sont trop, trop, trop... Et le film a vraiment pris charge de poser cette question et d'avoir une réponse qui était bien sûr, une femme ou plus généralement une personne qui mérite la violence n'existe pas. J'avais vingt-cinq ans ou vingt-six ans quand j'ai fait le film et j'étais assez inconsciente de l'ampleur de la chose. Je savais que je voulais faire un film, je ne savais pas trop pourquoi et je n'ai pas fait beaucoup de recherches. J'ai lu le scénario deux fois avant de commencer. J'avais peut-être peur de poser trop de questions avant de le faire. C'est surtout après avoir vu le film où j'étais un peu prise par l'expérience de voir ce personnage qui était une femme qui parlait trop fort, qui était toutes ces choses-là, qui même pour moi, me faisait peur un peu, me choquait. Quand j'ai vu le film, j'ai pensé que j'étais très mauvaise ! Que j'allais en finir avec le cinéma, retourner aux études et devenir professeure parce que je pensais que j'étais nulle ! (Rires) A votre avis, quel est le rôle de l'artiste lorsque les libertés d'expression sont menacées ? Quel rôle peut-il jouer ? Ah ! Question difficile. Je ne sais pas si je suis experte là-dedans, j'ai vécu relativement libre, j'ai pu faire le cinéma que je voulais, exprimer les choses qui m'obsédaient, mes intérêts. Le problème était plutôt de trouver le financement de l'expression. Le grand défi, c'est d'être soutenu dans cette expression. Aux Etats-Unis, ce sera un autre défi dans les années qui viennent.