L'article 114 de la Loi bancaire prévoit une procédure pour la gestion des comptes en déshérence censée protéger le client. Pourtant, ce dispositif parait bien léger et peu efficace. En l'absence de chiffres et d'études sur le sujet, difficile de se faire une idée sur l'ampleur du phénomène. Le client ou les ayants droit sont les vrais perdants. Comptes dormants, comptes inactifs, comptes sans mouvements, comptes en attrition, etc... Autant d'appellations pour désigner un seul et même phénomène : ces comptes bancaires laissés à l'abandon par leurs propriétaires ou leurs ayants droit. Les principales causes expliquant ce phénomène sont bien connues. Il s'agit principalement du décès du titulaire du compte sans que ses héritiers soient informés de l'existence de ce compte. Il peut s'agir aussi d'un changement d'adresse non signalé à la banque, ou tout simplement d'un oubli de la part du titulaire. Ces comptes se caractérisent par l'absence de mouvements pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, ce qui permet à la banque de les identifier et de les reclasser dans la rubrique «comptes en déshérence». En France, la Cour des comptes s'est intéressée de près à ces avoirs en déshérence, et a publié l'année dernière un rapport qui évalue à 1,5 milliard d'euros le montant total des fonds non réclamés. Un véritable trésor dormant, qui aiguise l'appétit de tous, et sur lequel l'Assemblée nationale a décidé de légiférer pour protéger les épargnants. Au Sénégal, en Côte d'Ivoire, et plus largement dans toute la zone CFA, un débat sur ces questions a été lancé après une étude qui a chiffré ce problème à plus de 61 milliards de Francs CFA pour plus de 800.000 comptes concernés. Et le Maroc ? Rien ! Aucune étude, ni aucun chiffre n'est disponible. Pourtant, à en croire Azzedine Berrada, spécialiste des techniques bancaires, ce phénomène au Maroc «serait non négligeable, et existerait dans les mêmes proportions qu'en France, avec une petite nuance étant donné la jeunesse de la population marocaine». Surveillance La gestion des comptes dormants par les banques marocaines fait l'objet d'une attention particulière, car les détournements peuvent être tentants pour des employés indélicats (en 2012, une affaire avait secoué une grande banque marocaine suite au détournement de plus de 5 millions de DH issus de comptes sans mouvements). A. Berrada précise que les comptes identifiés comme inactifs «sont généralement reclassés et suivis par l'Inspection générale dans pratiquement toutes les banques. Ils font l'objet de contrôles, afin qu'il n'y ait pas d'abus». Il ajoute que «ces comptes font l'objet d'une surveillance très particulière de la part des établissements bancaires, et dès que l'un d'eux mouvemente, cela attire l'attention de l'Inspection générale qui intervient pour vérifier si c'est bien le propriétaire du compte qui a initié ce mouvement». A ce titre, les banques disposent de systèmes d'alerte qui sont généralement intégrés dans les programmes informatiques et qui s'activent au moindre mouvement suspect. Voilà qui est rassurant. Si les banques surveillent de près ces comptes, elles effectuent également des recherches pour tenter de retrouver les bénéficiaires. Un banquier nous a confié que «les comptes en attrition sont gelés au bout de 6 mois, et que des campagnes annuelles sont réalisées par le biais de call-centers pour relancer les recherches des propriétaires». Pour A. Berrada, il faut aller plus loin. Il plaide pour que les banques mettent en place «un service interbancaire qui aura pour mission de s'occuper de manière beaucoup plus efficace de la recherche des propriétaires des comptes inactifs». Ce service pourra agir de manière séparée de l'activité des établissements bancaires, avec des employés qui seraient spécialisés dans la recherche des propriétaires des comptes. Mieux protéger le client Le dispositif prévu par la loi en matière de recherche parait bien léger. En effet, l'article 114 de la Loi bancaire stipule que «les établissements de crédit dépositaires de fonds clôturent les comptes qu'ils tiennent lorsque les fonds n'ont fait l'objet d'aucune opération ou réclamation depuis 10 ans. Ils sont tenus d'adresser dans un délai de six mois avant l'expiration de la période précitée un avis recommandé au titulaire du compte, ou à ses ayants droit, susceptible d'être atteint par la prescription. Ces fonds et valeurs sont versés à la CDG qui les détiendra pour le compte de leurs titulaires jusqu'à l'expiration d'un nouveau délai de 5 ans». Après la période de consignation de la CDG, les fonds sont directement transférés au Trésor, sans possibilité de les récupérer. Pour A. Berrada, une telle procédure qui veut qu'un compte en déshérence soit transféré au bout de 10 ans à la CDG sans plus de recherches «n'a pas de sens». En d'autres termes, il faut que le délai de 10 ans ne commence à courir qu'à partir du moment où les personnes sont avisées plusieurs fois par le biais d'un service dédié et que des investigations sérieuses sont lancées. L'avis recommandé ne constitue pas une réelle recherche, car peu importe que l'adresse soit erronée ou que le courrier ne soit pas arrivé à son destinataire. Pendant ce temps, les banques continuent d'éroder ces comptes par l'application de «frais de tenue de comptes inactifs» (quelques dizaines de dirhams par mois selon les établissements bancaires), amputant donc ces fonds d'une partie de leur valeur. A.Berrada conclut : «les clients et les ayants droit ont des droits qu'ils méconnaissent ou qu'ils ne font pas prévaloir. C'est dommage. C'est une problématique beaucoup plus large, dans le sens où il faut que la société civile puisse mieux s'organiser dans le cadre d'associations. Et cela concerne aussi bien ces comptes en déshérence que d'autres problèmes, comme celui des intérêts et des commissions». En attendant une vraie étude sur la question, faites vos recherches. Vous êtes peut-être à la tête d'un pactole sans le savoir...