À peine élu président d'Interpol, Lucas Philippe détaille à Hespress Fr sa vision : un leadership humain et rassembleur, une approche pragmatique et concrète, et un engagement fort pour moderniser l'organisation et renforcer le partenariat avec le Maroc. Pour lui, chaque action doit avoir du sens, être mesurable et contribuer efficacement à la lutte contre le crime organisé. Hespress Fr : Vous insistez sur un leadership humain et rassembleur. Comment comptez-vous le traduire concrètement dès votre prise de fonction ? Lucas Philippe : rassembler toutes ces belles énergies, incarner et animer des groupes de travail, c'est-à-dire mettre de l'âme, est important pour moi. Valoriser les carrières et montrer que les gens qui veulent le bien sont bien plus nombreux qu'on ne l'imagine est également important. Aujourd'hui, tout cela remonte à la surface. C'est un projet qui se déroule dans un contexte géopolitique complexe, mais nous sommes préparés. Nous sommes des gens résilients. Je suis un décideur. Je me suis exposé à beaucoup de diversité vécue sur les quatre continents. Je suis un policier fier d'être policier. Je suis un Français fier d'être international. J'ai donc hâte de travailler avec les équipes que je connais déjà et qui sont incroyables de passion. Maintenant, nous sommes jugés sur nos actions, nous sommes ce que nous faisons, donc j'ai quatre ans pour contribuer à ma juste place, et je vais me découvrir en action. Il n'y a pas d'école pour devenir président d'Interpol, donc on se découvre en marchant. Il faut donc beaucoup de gens autour de soi, beaucoup de belles énergies. Vous évoquez la nécessité d'optimiser l'Organisation. Quelles actions concrètes comptez-vous engager rapidement ? Avant de maximiser, il faut optimiser, c'est-à-dire faire les choses en fonction de l'existant, ce qui n'interdit pas d'avoir une approche business et de regarder un peu plus loin, d'explorer. Il faut donc constituer les bonnes équipes. Vous avez un secrétaire général très actif, et moi-même je prends le relais d'un président qui a structuré l'organisation et qui a beaucoup donné. Le président de la RIC avait une appétence pour la technologie, qu'il a apportée avec lui. Il a modernisé l'organisation. Vous êtes donc toujours à la croisée des chemins entre les sujets de modernisation et de transformation. Je parle de transformation, car dans la transformation, il y a la transformation humaine. Il faut partir de l'objectif que l'on veut atteindre. Mon objectif est le suivant :Pour les jeunes générations, la génération A et la génération Z, je suis un invité dans leur monde. Je dois m'adapter, avoir un esprit critique positif et surtout, aller vite. Je pense aussi qu'il faut montrer que ce que nous faisons a du sens, que c'est ancré dans nos engagements. En fait, vous développez votre tableau de bord personnel. Comme policier, on a tellement l'habitude d'être confronté à l'inattendu, à l'incertain et à la complexité en permanence, qu'on agit avec un regard pragmatique. Le pragmatisme, c'est la compétence, c'est la manière de gérer votre préparation mentale, votre culture générale, votre culture policière, votre culture générale culturelle, votre culture générale interculturelle. Vous voyez ce que je veux dire ? Je suis fier d'être français et de représenter le Maroc, les Bahamas, Singapour et le Bhoutan. Voilà la beauté d'Interpol, une organisation qui a plus de 100 ans. Il y a bien une raison si elle est encore là. Comment comptez-vous développer concrètement le partenariat d'Interpol avec le Maroc dans les années à venir ? En matière de systémique, quand vous voulez faire quelque chose, il faut prendre le temps. Ce que je vais faire avec le Maroc, ce n'est pas de décider à chaud de notre ambition. Nous allons écrire un plan, évaluer notre impact et fixer ensemble l'objectif que nous voulons atteindre. J'ai déjà quelques idées pour le Maroc, comme je l'ai dit à l'un de vos confrères, ce n'est pas seulement the place to be, c'est the place to do. Ce qui compte, ce sont les actions concrètes et tangibles. Il faut donc d'abord évaluer l'état des besoins, puis adapter le plan. Les besoins sont bien sûr la lutte contre le crime organisé, mais il y a aussi des sous-catégories : la cybercriminalité, la recherche de financements, la création de coalitions particulières pour tel type d'infraction, le profilage, la coordination d'Interpol avec d'autres agences ou institutions. Il faut vraiment avoir en tête un plan tactique. Comme les besoins sont immenses, il y a forcément du travail, et il faudra donc prioriser. Avec le Maroc, la lutte contre le crime organisé et le terrorisme est la toile de fond. Tous les leviers que nous mettrons en place seront ceux qui seront les plus utiles pour avoir le plus d'effet. Nous sommes policiers, nous avons l'habitude de mener des enquêtes. Ici, il s'agirait d'une enquête mondiale, régionale, puis bilatérale. Mais il faut adopter une approche business. Quand je suis devenu commissaire de police, j'ai appris à négocier. En revanche, il ne faut pas faire de promesses que l'on ne peut pas tenir. Commençons petit, célébrons nos victoires, bâtissons et avançons. Voilà, tel sera mon état d'esprit, celui d'un policier qui doit agir.