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L'engrenage islamiste en Turquie
Publié dans La Gazette du Maroc le 28 - 07 - 2003

Tayyi Recep (lire Rejeb) Erdogan, le leader du AKP, le parti de la Justice et du Développement turc, l'équivalent du PJD local,
est un homme qui a adopté tout au long de son ascension politique des discours contradictoires.
Le modéré d'aujourd'hui était un fervent extrémiste dans le passé. Dans une Turquie affolée par la guerre en Irak, les manoeuvres des séparatistes kurdes, le rejet européen et les anicroches avec l'armée américaine, les "modérés" ont fort à faire. Eclairage.
En Turquie, l'air est à l'invective et au sacro-saint patriotisme. A en croire ce qui se dit dans les rues et les maisons autour d'un thé ou d'un verre de raki, les USA ont commis l'irréparable en touchant aux soldats turcs. "Une démonstration de force qui tombe très mal vu que la Turquie est plus que jamais décidée à en découdre avec le sort". Le sort, c'est la menace kurde qui se sent pousser des ailes depuis que Saddam n'est plus le maître de Baghdad, le conflit à Chypre et l'adhésion à l'Union Européenne de l'île divisée au grand dam d'Ankara et la guerre secrète et silencieuse que mène la Turquie dans le sud-est depuis des décennies contre une population kurde, aujourd'hui forcée de plier l'échine malgré une population mondiale de presque 40 millions de kurdes. Le sort c'est aussi la crise économique que traverse la Turquie depuis des années et une inflation qui a battu tous les records. Enfin, le sort c'est aussi le bras de fer secret entre les islamistes "modérés" au pouvoir et une armée turque, garante de la laïcité, héritage sacré de Mustafa Kemal Atatürk, qui ne voit pas du même œil les implications du pouvoir en place avec une réelle volonté d'islamiser le pays.
L'AKP, très à droite
A Istanbul, on en fait des gorges très chaudes de ce poème qui aurait coûté à Erdogan le fauteuil de Premier ministre. Un rêve qui capote à cause d'un malheureux poème, il fallait le faire. Erdogan, l'a fait. Bravo!". A l'université d'Istanbul, tout près de la tour Bouyazid dans l'ancien quartier stambouliote, les étudiants ne se font pas d'illusions : "On ne peut pas avoir deux visages et demander aux gens de vous croire à la lettre. Ici tout le monde sait que le AKP a tenu des discours dangereux. Certains ont fait avec, d'autres ne l'oublieront pas de si tôt. Mais la politique dans ce pays, comme ailleurs du reste, est bicéphale et teintée d'amnésie, parfois volontaire". Aujourd'hui, Recep Erdogan continue à effrayer les partisans de la laïcité en Turquie. Pas seulement à cause de ce malheureux poème à la gloire de la Charia et de l'islam fort et intransigeant qu'il a
lu dans les années 90. Mais surtout à cause de phrases qui lui collent comme des sangsues : "Dieu merci, je suis pour la Charia". Quand Erdogan avait sorti une telle "monstruosité", il ne savait peut-être pas que des années plus tard, cela pèserait beaucoup dans la balance de la crédibilité d'un nouveau discours que les islamistes turcs voudraient plus "souple". C'est le même Erdogan qui ne rate pas une autre occasion de marquer son positionnement très à droite sur l'échiquier politique de la Turquie version troisième millénaire : "On ne peut pas être à la fois laïc et musulman". Rien n'est plus brutal ni plus direct. On dira que Recep a eu le mérite d'aller droit au but et de verser dans ce que la politique pourrait nommer une spontanéité de jeunesse. L'armée turque n'apprécie guère aujourd'hui que les médias lui ressortent ces vieilles dérives d'un homme qui est maintenant à la tête de la nation. Surtout que l'on martèle de temps à autre, une autre célèbre sortie de ce "modéré" : "La démocratie est un moyen pour arriver au but". La messe est dite.
Mais avant d'aller plus loin dans la tourmente des "islamistes modérés" qui se présentent comme un modèle de gouvernance islamiste, très démocrate, revenons au clou de la politique de Tayyip Recep Erdogan : ce fameux poème qui lui a valu un cuisant échec il y a quelques années. Tout remonte à ce malheureux jour du 6 décembre 1997. Le leader de l'AKP récite des vers pas très "catholiques" à Siirt : "Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques/ les mosquées sont nos casernes, les croyants nos soldats/ Cette armée divine garde ma religion/ Allahou akbar, allahou akbar". L'armée et la justice l'avaient épinglé pour "incitation à la violence". Devant la cour, Erdogan se défend en affirmant que les vers pour lesquels on lui fait procès aujourd'hui "sont ceux de Ziya Gökalp", un poète officiel au patriotisme affirmé et confirmé et sur lequel aucune ombre de violence ne peut planer. Le subterfuge qui jouait sur la fibre patriotique n'avait pas pris, et le leader islamiste fut condamné à dix mois de prison. Une interdiction est prononcée à son encontre, et Erdogan voit ses velléités de devenir un grand parmi les grands s'évaporer. Il ne participe pas aux élections alors que son parti était crédité de 30% des intentions de vote avant le malheureux verdict. Le poème sur les minarets et les soldats de Dieu lui revient très cher. Mais la question restait posée en Turquie sur l'auteur de ces vers très violents. Selon toute vraisemblance, ils n'appartiennent pas à Ziya Gökalp comme l'avait prétendu Erdogan. Ce qui jette plus de discrédit sur la personne du futur Premier ministre. Aurait-il menti sciemment ou était-ce une grosse lacune dans ses connaissances ? Dans un cas comme dans l'autre, sa réputation en prend un coup dur. Selon Murat Bardakci, journaliste à Hürriyet qui a suivi l'affaire et fait des recherches sur la provenance des poèmes, Erdogan a jonglé avec les vers et les inventions : "J'ai eu la curiosité de faire une petite recherche et je me suis trouvé face à un exemple bizarre de trucage et de montage. Dans aucun des recueils de Ziya Gökalp ne figure de poème commençant par des minarets qui serviraient de baïonnettes et des coupoles qui seraient des casques". La suite de l'histoire est tout aussi rocambolesque que le parcours en vrai faux discours de Erdogan Bey. L'armada d'avocats qui défendaient Erdogan ont présenté une seule source d'où ont été pris les vers récités par le futur homme fort de la Turquie. Il s'agissait d'un recueil publié en 1984 par l'Institut turc des normes (TSE), intitulé, Les Turcs et le turquisme. "J'ai demandé au procureur de la Cour Suprême de l'époque, Vutral Savas, si une enquête avait été menée pour déterminer le véritable auteur du couplet en question. Celui-ci a confirmé que la seule source qui lui avait été fournie par la défense était ce même livre. En effet, on voyait dans la publication du TSE le nom de Ziya Gökalp en bas du poème en question, mais il était impossible de retrouver le même couplet dans aucun autre livre consacré à sa poésie" ajoute le même journaliste de Hürriyet. L'affaire de ce poème truqué prend des allures d'affaire d'Etat et déclenche une polémique des plus virulentes de ces dernières années en Turquie. D'autres grandes figures de la littérature turque se mêlent à l'histoire. La doyenne de la littérature turque, Inci Enginüm, a perdu un temps considérable essayant de trouver une trace attestant de l'appartenance des dits vers à Ziya. Le dur labeur s'est soldé par un échec. Favziye Abdulah Tansel, auteur de la plus grande étude sur le poète, donne sa langue au chat, à son tour. Et les vers demeurent un secret que seul Erdogan connaît. Entre alors un quatrième larron sur la scène. Recai Kutan, qui est aujourd'hui le rival numéro un de Tayyip Erdogan et chef du parti du bonheur, une autre formation islamiste, était alors le bras droit de son chef du parti AKP. Il prend alors la défense de Tayyip : "A la fin de la première guerre mondiale, au moment où la Turquie résistait contre les forces de l'occupation, le député Hasan Fehmi a suggéré à Mustafa Kemal Atatürk de transformer les mosquées en casernes, de faire fondre le plomb des coupoles pour le transformer en balles et d'arracher les croissants au sommet des minarets pour en faire des baïonnettes. Atatürk, comblé, a nommé son conseiller au poste de ministre des Finances. Le plan a commencé dans la ville natale du nouveau ministre, Gümüsane, sur une mosquée construite sous le règne de Soliman le Magnifique lors de l'une de ses expéditions en Iran. Très ému, Ziya Gökalp a composé ses vers pour éterniser ce grand moment de patriotisme". L'histoire de la Turquie, elle, est moins loufoque et surtout moins imaginative. L'ami Kutan se mêle les pinceaux pour défendre l'indéfendable : Soliman le magnifique n'a jamais été en Iran, mais il était plutôt attiré par l'Ouest. Le fameux génie, Hasan Fehmi, n'est jamais devenu ministre des Finances lors des moments les plus durs de l'histoire des guerres de la Turquie, mais plus tard vers 1922. Mais ce que l'islamiste Kutan oublia de dire, c'est que le poème récité par Erdogan n'était pas la totalité de l'affaire, mais qu'il y avait un autre couplet, celui-ci occulté, que l'on a tronqué et qui louait les grands mérites de l'armée, ennemi numéro 1 des islamistes : "les commandants, les officiers sont nos pères/ les sergents sont nos frères/ l'ordre et le respect sont nos lois/ que tu préserves l'armée en bon état Mon Dieu/ que tu accordes la supériorité à notre drapeau.". Tayyip Erdogan jugé inéligible est pourtant aujourd'hui Premier ministre de la Turquie au grand dam de toute logique. Et pour justifier son ascension il ne rechigne pas à le prouver : "Pour ceux qui se demandent en quoi nous sommes rénovateurs… nous avons renouvelé la couverture en zinc de la coupole et ajouté un deuxième balconnet au minaret". Comme quoi, la politique peut parfois au nom de l'islam mentir et pour justifier le mensonge lui trouver un écrin dans la réalité.
Une ascension peu normale
La démocratie apparemment est quand le peuple décide pour le peuple. Dans le cas de la Turquie, du moins depuis le coup d'Etat de 1980, c'est quand le peuple décide par l'intermédiaire de l'armée. Depuis cette date et la naissance d'une Constitution issue du putsch, ce pays stratégique au carrefour de deux mondes antagonistes, tangue au milieu d'une conception conservatrice et étatiste de l'exercice politique. Durant les deux dernières décennies, la Turquie qui s'est profilée devant nous a su faire régner une philosophie de l'Etat fort. Avec la victoire de l'AKP, certains analystes turcs voient dans ce fait une nouvelle tendance vers la démocratie dans le giron d'un Etat toujours aussi conservateur et ultra-étatiste. Avec l'arrivée du parti le plus en marge de la scène politique et du système de gouvernance, qui obtient la majorité des sièges au Parlement, avec un indice de taille qui est la mairie d'Istanbul du même Tayyip Erdogan dont le parti avait raflé 30% des voix en 1994, c'est une époque que l'on oublie et une autre que l'on veut bien présenter comme conservatrice certes, mais démocrate. Pourtant si le AKP ne se plie pas aux exigences de la sainte garante de la laïcité dans le pays, l'ultra-forte armée turque, l'épée de Damoclès qui plane sur tous les partis politiques risque de faire des ravages comme ce coup du sort qui s'est abattu un certain 28 février 1997 quand les militaires, par le biais du Conseil national de sécurité, ont poussé les islamistes au pouvoir de Nejmedine Erbakan à démissionner.
Aujourd'hui, après les élections législatives de 1999 qui ont vu la mise à mort des deux partis de centre droit, le Parti de la mère partie( ANAP) et le Parti de la juste voix (DYP), et la montée en force du Parti d'action nationaliste (MHP), un parti d'extrême droite, les espoirs d'un renouveau politique en Turquie se sont très vite révélés vains. L'extrême droite, partisane d'une démocratie contrôlée,était très hostile à l'Europe. Le MHP s'est très vite vu confronté à un vide laissé par les deux autres partis et qu'il ne pouvait en aucun cas combler. Et comme il était membre de l'ancienne coalition au pouvoir, tenue pour responsable des misères économiques et sociales du pays, il a vu son électorat se réduire lors des élections de novembre 2002 en peau de chagrin. "L'AKP nous donne aujourd'hui le même espoir. C'est un parti islamiste radical malgré des allures d'ouverture et de rénovation, mais le simple fait qu'il y ait dans ce nouveau gouvernement des anciens cadres de l'ANAP, est considéré comme le début du changement du parti islamiste qui tendra immanquablement vers le centre". Ce que ce journaliste de Milliyet, Mehmet Yilmaz, dit ici est partagé par toute une jeunesse estudiantine qui voit que le temps agira de lui-même sur un parti condamné à composer avec la société turque qui ne pourrait se voir gouverner par des islamistes radicaux d'extrême droite. Pour Fetih Yildiz, jeune étudiant à l'université d'Istanbul, qui a voté AKP, ceci est un problème en rapport avec la composition de la société turque : "Depuis quelques années, les classes moyennes ont a perdu toutes leurs prérogatives. Pour la plupart, elles sont aujourd'hui frappées par le chômage et l'espoir d'un avenir meilleur n'est pas un rêve immédiat. Les ennuis du quotidien semblent prendre plus d'ampleur et l'avenir des enfants n'est pas assuré. Et comme toutes les classes moyennes dans le monde sont conservatrices, leur conservatisme découle du fait qu'elles ont peur de voir l'ordre établi changer. Dans ce cas de figure, tous ceux qui ont une situation stable, qui voient leurs enfants aller à l'école, qui ont un logement, s'accrochent et votent loin de tous les aléas de la politique. Ils votent pour les partis qu'ils connaissent déjà sans risquer de bouleverser l'ordre établi de leur vie." C'est comme ça que le tiers des électeurs ont voté pour l'AKP, un parti qu' ils connaissent bien et qu'ils ne pensent pas être une menace pour eux. Alors le parti islamiste se doit pour bénéficier de cette confiance répondre à certaines urgences sociales : une économie plus à l'aise, plus de stabilité sociale, plus de richesse…etc, pour rétablir la confiance des classes moyennes qui ne voteront plus pour essayer un parti, mais iront arracher les bulletins de vote, sûrs de leurs choix. Aujourd'hui, l'électeur se rabat sur la marge puisque c'est elle qui le représente, mais pour durer, un parti de l'extrême droite se doit de fidéliser les classes du centre pour devenirun parti centriste.
La rue, elle, ravagée par les problèmes du quotidien ne veut pas croire en toute ces élucubrations de politiciens. "C'est une affaire de programme. Je n'ai pas voté pour Erdogan parce que je suis un fanatique islamiste, mais j'ai cru que ce parti était capable de changer ma vie et de la rendre plus supportable". Supportable, cela voudrait dire, sortir la tête de l'eau, s'éloigner un tant soit peu de la zone rouge, celle de la profonde récession où le pays a plongé tête basse depuis quelques années. Premier grand problème, le chômage. Aggravé par la politique d'austérité imposé par le FMI, la rue turque est au bord de la faillite : la crise économique est venue à bout de l'emploi. "C'est une situation de fous. Et la faute incombe à ceux qui obligent le peuple à faire des sacrifices pour faire baisser l'inflation. Ceux qui appliquent un nouveau programme du FMI tous les deux ans et qui reviennent sur leurs décisions au bout de dix mois pour finalement tout reprendre à zéro en demandant aux citoyens de se serrer encore la ceinture", écrit Can Aksin dans le Yeni Safak, un quotidien islamiste modéré d'Istanbul. Dans une lettre d'intention transmise par le gouvernement turc au FMI, il a été prévu un taux d'inflation de 35% pour l'année 2002. Pour y arriver les contractions de l'économie sont devenues monnaie courante. "Peu importe si les entreprises font faillite, peu importe si les gens sont au chômage parce que les usines ferment, peu importe si les rues sont remplies d'une armée de chômeurs affamés…". Avec les frappes contre l'Irak, le tourisme a pris un sérieux coup estimé à presque 2 milliards de dollars de perte. Pour le FMI, la Turquie atteindra ce taux d'inflation de 35 % et tout rentrera dans l'ordre : "quand l'inflation baissera, les taux d'intérêt suivront le mouvement, et le remboursement de la dette publique sera facilité. Des prêts à la consommation se mettront en place, relançant la demande. Les usines seront incitées à produire, ce qui mettra l'économie sur la voie de la croissance et nous sortira de la crise… ".
Un futur comportable
Et le même journaliste de Yeni Safak de continuer à ironiser sur les solutions du FMI en racontant une vieille histoire populaire très connue en Turquie, l'histoire de Hodja Nesredine, un conteur turc du XIIIè siècle qui veut rassurer son créancier : "j'ai acheté deux agneaux pour te rembourser mes dettes. Ils vont grandir puis se reproduiront. J'aurai ainsi un grand troupeau. Là, devant toi, je vais construire un enclos. Lorsque les moutons sauteront par -dessus la clôture, leur laine s'y accrochera. Je ramasserai cette laine, j'en ferai du fil à tricoter que je vendrai pour te rembourser". Et c'est ce qui arrive à la Turquie aujourd'hui qui parie sur un futur improbable. Ce qui rend les promesses de l'AKP encore plus incertaines et sa tâche très dure pour prouver au peuple turc que la voie du salut ne passe pas par les minarets, mais par la réduction de l'inflation, le travail et la résorption du chômage. Pour le moment, l'épreuve de l'endurance a commencé pour le PJD turc qui non seulement doit faire face à la crise intérieure, mais doit aussi répondre de sa bonne foi devant l'Union Européenne qui renvoie encore une fois aux calendes grecques une probable candidature turque à l'adhésion. Le rêve d'une vie meilleure sous la gouvernance d'un autre parti politique commence-t-il à s'évaporer ? Faut-il finir par dissoudre le parti islamiste qui jusque-là n'a pas su gérer ni la crise en Irak, ni l'amitié américaine encore moins la colère du peuple ? Pour l'opinion publique, la crise de l'Irak et ses conséquences sont secondaires. Le véritable problème est interne, et il concerne les choses rudimentaires de la vie. "Les affinités de l'AKP sont connues, mais ce n'est pas cela qui va faire changer les choses en Turquie qui ne sera jamais l'Iran. Erdogan et les siens doivent travailler au-delà de leurs visions islamistes radicales ou modéreés. Ce n'est pas la charia qui va sauver le peuple, mais une économie qui respire". D'ailleurs, la religion pose ici un sérieux problème de références puisque ce pays a eu l'habitude de vivre loin, très loin des contrôles religieux et de la suprématie du culte sur le politique. Laïc, l'Etat turc, n'accorde pas plus d'importance à la religion dans les affaires de l'Etat que le peuple aujourd'hui affamé aux minarets et autres coupoles. "Au moment où nous essayons de tourne une page du passé pour préparer l'avenir au sein de l'Europe, il a fallu que les islamistes arrivent au pouvoir !! Ce qui apportent de l'eau au moulin des détracteurs de la Turquie qui se doit de prouver qu'elle peut survivre à un gouvernement islamiste qui peut être modéré sans basculer dans le radicalisme." C'est donc parti encore pour un tour, ce qui laisse la rue turque très sceptique : “il faudra penser à un marché asiatique et tirer un trait sur l'Europe. Au train où vont les choses, nous ne sommes pas au bout de nos peines et de nos déceptions". Ce qui nous ramène à l'état d'urgence perpétuel dont parlait le grand écrivain du Bosphore Orhan Pamuk qui ferait que la bordure méprisée de l'Occident peut encore sombrer dans les souterrains de l'avenir et dire comme le fameux personnage de Dostoïevski que deux et deux font cinq.


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