À chaque rentrée, le même scénario se rejoue, manuels introuvables, prix contestés et distribution chaotique. Entre régulation publique insuffisante à l'égard des établissements privés et stratégies commerciales de certains éditeurs, le marché du livre scolaire peine à trouver un équilibre, au détriment des parents et des libraires. La scène se répète chaque fin d'été. À l'approche de la rentrée scolaire, parents, libraires et éditeurs se retrouvent pris dans un engrenage bien rodé, fait de tensions, de retards et de frustrations. Entre des manuels introuvables, des prix contestés et un pouvoir d'achat sous pression, la période de préparation des classes devient pour beaucoup un véritable parcours du combattant. L'année 2025 ne déroge pas à la règle, révélant une fois encore les fragilités structurelles du marché marocain du livre scolaire et les tensions croissantes entre acteurs publics et privés. Délais intenables Chaque rentrée apporte son lot de difficultés, qu'elles soient liées à l'impression, à la distribution ou à la régulation d'un secteur où les intérêts divergent. Les témoignages recueillis auprès des professionnels du livre dressent un constat sans appel. Malgré quelques améliorations, les dysfonctionnements persistent. Au cœur des débats, les manuels destinés aux écoles pionnières cristallisent les critiques. Jadis limités à de simples fascicules de trente pages, ils ont été transformés en ouvrages plus complets, soumis à des appels d'offres pilotés par le ministère de l'Education. Mais les prix fixés défient toute logique économique. «Le manuel de français est proposé à 4 dirhams, soit moins qu'un cahier de 50 pages vendu 5 DH», relève Hassan El Kamoun, vice-président de l'Association des libraires indépendants du Maroc (ALIM). Dans ces conditions, l'impression se fait à perte et ne couvre même pas le coût du papier. Les imprimeurs, eux, tentent de relativiser. «Les premières années sont toujours difficiles. C'est à nous de trouver des alternatives pour limiter les pertes et rétablir l'équilibre dans les prochaines années», explique Tariq Allouch, du Groupement des métiers de l'impression. Selon lui, ce passage obligé doit permettre de bâtir une industrie locale solide, après des décennies durant lesquelles 80% des impressions scolaires étaient confiées à l'étranger. À la contrainte des prix s'ajoute celle des délais. Les professionnels estiment qu'il faudra compter près d'un mois avant que les manuels ne soient disponibles en librairie. Et encore, la distribution pourrait être inégale. «Avec une marge de 30 DH par carton, à laquelle s'ajoutent des frais de transport élevés, nombre de libraires ne pourront pas assurer l'acheminement», prévient Hassan El Kamoun. La régulation fait défaut Ces difficultés récurrentes mettent en lumière un problème de gouvernance. Si les manuels destinés aux écoles publiques relèvent du contrôle du ministère, les établissements privés échappent en grande partie à cette régulation. Certains éditeurs profitent de ce vide pour mettre sur le marché des manuels inspirés de programmes nationaux et internationaux, souvent imposés par les écoles privées. Résultat, un ouvrage coûtant 35 DH à produire peut se retrouver vendu à 300 DH. «En quelques années, certains éditeurs et nouveaux entrants se sont enrichis grâce à ces pratiques», confie un acteur du secteur, qui plaide pour une réglementation plus stricte et pour l'obligation d'afficher les prix sur chaque manuel à l'instar d'autres pays. Même les grandes écoles et missions étrangères, qui disposent pourtant de circuits d'importation organisés, ne sont pas épargnées. Un quart des manuels importés destinés au secteur privé ne sont pas disponibles à temps, et la demande complète ne devrait être satisfaite qu'à la fin de septembre. Les fournitures scolaires échappent en partie à cette tension, avec une offre abondante et des prix jugés accessibles. Mais un autre phénomène alimente la colère des libraires, celle de la vente directe de fournitures par les établissements scolaires. Bien qu'officiellement interdite par les académies après de multiples plaintes, cette pratique persiste, notamment dans l'axe Casablanca-Rabat. Là encore, les professionnels dénoncent une concurrence déloyale et réclament une intervention ferme du ministère. Ces tensions témoignent de l'absence d'un cadre réellement stabilisé pour un secteur à forts enjeux sociaux. Pour certains acteurs, le maintien du programme des écoles pionnières sous tutelle de l'Etat est impératif, afin d'éviter que le marché ne soit livré aux seuls intérêts privés. «Pour que ce programme fonctionne, il ne doit en aucun cas être privatisé», insiste Youssef Bejdane, distributeur. Derrière les chiffres, c'est toute une filière qui se cherche. Le Maroc compte près de 8.500 établissements privés, incluant les missions étrangères, soit 21% de l'ensemble des élèves. Les importations francophones ont atteint 22 millions d'euros en 2022, réparties entre ouvrages culturels, jeunesse et universitaires (51%) et manuels scolaires (49%). Le pays est ainsi le premier importateur régional et continental, et le septième au niveau mondial. Du côté de l'édition locale, les estimations font état d'un marché annuel de 340 millions de dirhams, mais aucun chiffre officiel ne permet d'en mesurer la réelle portée. Maryem Ouazzani / Les Inspirations ECO