Moins «bruyants» que les contrôles fiscaux, ceux de l'Office des changes sont tout aussi redoutés par les opérateurs économiques, car il n'existe pas de prescription aux infractions à la réglementation de changes. Sur le papier, les inspecteurs peuvent remonter le plus loin possible, au contraire de leurs homologues des impôts tenus par la limite de quatre ans, sauf dans certains cas bien précis. Selon son rapport 2024, l'Office des changes marque des points contre la sous-facturation des importations et la manipulation des prix de transfert. Le travail des «snipers» de l'Office des changes a beaucoup gagné en efficacité grâce aux nouveaux outils technologiques et aux bases de données internationales qui permettent de lutter contre la sous-facturation à l'importation et la manipulation des prix de transfert par les filiales de multinationales et les entreprises appartenant au même groupe. En 2024, ses inspecteurs ont passé au crible 2.469 dossiers durant les opérations de contrôle sur pièces, portant sur des transactions en devises de 53,4 milliards de dirhams (MMDH). C'est ce que révèle l'Office des changes dans son rapport d'activité. Cela correspond à 7% des importations de cette année, estimées à 761,2 MMDH. Il a été relevé des infractions dans 206 dossiers portant sur un montant de 4,28 milliards. Les principales infractions relevées portent sur la constitution d'avoirs à l'étranger (comptes en devises et actifs immobiliers et financiers), le non-rapatriement des recettes d'exportation, des revenus et produits des investissements à l'étranger ainsi que sur les transferts indus au titre d'importations de biens et services. Les acquisitions de pavillons et appartements en Espagne par des Marocains (premiers clients hors UE) sont particulièrement scrutées par les services de l'Office des changes. D'aucuns murmurent que Dubaï et Hong-Kong seraient devenues les nouvelles «planques» de tous ceux qui échappent au radar de cet organisme. 20% d'amendes infligées supérieures à un million de DH En ce qui concerne le contrôle sur place, l'Office des changes a musclé son dispositif avec 361 enquêtes diligentées en 2024. Dans son tableau de chasse, dont le montant n'est pas indiqué, 9% des pénalités sont comprises entre 500.000 et 1 million de dirhams (MDH), et 20% au-delà d'un million. «Ce qui confirme les efforts déployés pour assurer une meilleure réparation du préjudice de change, tout en veillant à la stabilité de la situation financière des entreprises ciblées», souligne l'Office. Un peu plus de la moitié des amendes (51%) sont inférieures à 100.000 dirhams tandis que 20% se situent entre 100.000 et 500.000 dirhams, Particulièrement surveillés, les règlements en devises de prestations d'assistance technique, souvent liées aux investissements. À fin 2024, le Maroc abritait un stock d'investissements directs étrangers (IDE) estimé à 633,3 MMDH. Cette année-là, les opérateurs ont réglé 45,12 milliards «d'autres services aux entreprises» en devises aux prestataires non-résidents. Pour l'essentiel, il s'agit de prestations au titre d'assistance technique. Ce poste est aussi un baromètre des IDE. Plus le Maroc draine d'investissements directs étrangers, plus les dépenses liées augmentent. Au sens de la réglementation de changes, l'assistance technique peut revêtir plusieurs formes : l'usage ou la concession de l'usage d'un brevet, d'une licence, d'une enseigne ou d'une marque de fabrique ou de commerce, l'utilisation d'une formule, d'un procédé secret ou d'informations relatives à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique, un transfert de savoir-faire pouvant contribuer au développement de l'entité marocaine et à l'amélioration de ses performances, etc. Mais certaines multinationales incluent aussi les contrats de prestataire de certains cadres dans ce lot. Afin de sécuriser les investisseurs, l'Office des changes a édicté des lignes directrices pour fixer le schéma de la facturation de ces prestations d'assistance technique. La rémunération et/ou les redevances dues peuvent être forfaitaires et/ou calculées, selon le cas, sur la base du chiffre d'affaires hors taxes contractuel, ou de la valeur ajoutée réalisée au Maroc. «Les montants ou les modalités de leur détermination doivent tenir compte des connaissances acquises et des résultats obtenus par l'entreprise et, le cas échéant, s'inscrire dans le sens de la dégressivité». Pour les transactions portant sur l'usage ou la concession de l'usage d'un brevet, d'une licence, d'une enseigne ou d'une marque de fabrique ou de commerce, l'utilisation d'une formule, d'un procédé secret de fabrication, la réglementation exige que l'entité résidente au Maroc recourt à un dispositif de dégressivité des redevances. À défaut, elle s'expose à de lourdes sanctions de la part de l'Office des changes. Pour rappel, il n'existe pas de prescription aux infractions à la réglementation de change. Les prix de transfert sous haute surveillance Dans certains cas, les frais d'assistance peuvent cacher une remontée des bénéfices d'une filiale marocaine auprès de sa maison-mère. C'est pour cette raison qu'elle cristallise l'attention des inspecteurs de l'Office des changes. Avec l'appui de la Douane, l'Office accentue la traque à la sous-facturation ou la surfacturation des importations. Dans leurs investigations, ses inspecteurs s'assurent si l'entreprise vérifiée applique le principe de pleine concurrence dans les échanges des biens et services et les services financiers avec la maison-mère et les entreprises sœurs appartenant au même groupe. Le principe de pleine concurrence adopte la démarche consistant à traiter les membres d'un groupe multinational comme des entités distinctes et non comme des sous-ensembles indissociables d'une seule entreprise unifiée. Il s'agit de mettre l'accent sur la nature des transactions entre les membres du groupe et sur le fait de savoir si les conditions de ces transactions contrôlées diffèrent de celles qui seraient obtenues pour des transactions comparables sur le marché libre. Elle est au cœur de l'application du principe de pleine concurrence en matière de prix de transfert. «Lorsque les deux entreprises associées sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été réalisés par l'une des entreprises, mais n'ont pu l'être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence», est-il expliqué. Abashi Shamamba / Les Inspirations ECO