Sous la pression d'une demande mondiale en métaux critiques qui s'emballe, le continent entend reprendre la main sur la valeur créée par ses ressources. La Déclaration de Marrakech et les travaux du Congrès international des mines marquent une étape stratégique que le Maroc se propose d'orchestrer. Est-il besoin de rappeler le consensus politique qui s'est peu à peu formé autour des énergies renouvelables, consacré par le Sommet de la Terre de Rio en 1992, formalisé par le Protocole de Kyoto en 1997, puis popularisé au milieu des années 2000 par le plaidoyer de l'ancien vice-président américain Al Gore ? Ce récit a longtemps entretenu l'idée que la transition énergétique se jouerait entre les ressources fossiles (pétrole, gaz) et les EnR (soleil et vent). Avec l'essor fulgurant des terminaux numériques, des data centers, des véhicules électriques et des infrastructures intelligentes, la réorganisation des systèmes énergétiques repose désormais de plus en plus sur quelques éléments clés du tableau périodique — cuivre, nickel, lithium, cobalt — sans lesquels peu de technologies bas carbone verront le jour. Les métaux critiques, véritable «nerf de la guerre» de la recomposition des systèmes énergétiques, reconfigurent déjà les équilibres géopolitiques du XXIe siècle. C'est dans ce contexte que s'inscrivent les travaux du Congrès international des mines du Maroc (IMC-Morocco 2025) et l'adoption de la Déclaration de Marrakech qui en découle. Ces textes, loin des déclarations d'intention habituelles, posent les bases d'un cadre politique et technique destiné à faire d'une dépendance, a priori, assumée, un levier de souveraineté. Le Maroc y occupe une place non négligeable, en pilotant plusieurs chantiers structurants — du corridor OTC au cadre ESG Africain — visant à encadrer la gouvernance minière à l'échelle du continent. La ministre de la Transition énergétique, Leila Benali, a rappelé que «l'Afrique, détentrice de minerais devenus indispensables à la transition énergétique et numérique, se retrouve au cœur d'un enjeu industriel qui dépasse largement son rôle historique de pourvoyeur brut, dans une économie mondiale où la demande en minerais critiques ne cesse de croître». Un «acte fondateur» Pour le Royaume, l'enjeu consiste à faire valoir un écosystème déjà opérationnel — énergie, ports, logistique, capacités industrielles et outils numériques —, un ensemble cohérent qui lui permet d'absorber des segments de transformation et de sécuriser la circulation d'une bonne partie de ces flux à l'échelle du continent. En cela, la Déclaration de Marrakech, qualifiée «d'acte fondateur», marque l'entrée de l'Afrique dans une nouvelle ère de souveraineté minérale. Elle acte l'adoption du Cadre ESG Africain, conçu pour pallier les limites de standards internationaux jugés peu adaptés aux réalités du continent. Ces principes AFRICA — Responsabilité, Equité, Résilience, Inclusion, Coopération, Valeur ajoutée — se veulent un socle pour faciliter l'accès au financement durable, renforcer la confiance avec les investisseurs et orienter la transformation locale. En ce sens, le Corridor OTC (Origination–Transit–Certification), lancé en décembre 2024 à Marrakech, occupe une place centrale dans cette architecture. Pensé comme un espace réglementaire partagé, il vise à renforcer la crédibilité des pays producteurs, sécuriser les flux et réduire la dépendance à des certifications étrangères souvent déconnectées des réalités africaines. Selon plusieurs experts cités dans les travaux du Congrès, ces standards importés «entravent le financement de projets pourtant viables pour les communautés locales». Une épine aux pieds des Etats qui cherchent à industrialiser leur base minérale. Cadre ESG Dans une perspective plus large, la mise en œuvre du cadre ESG africain sera soutenue par une plateforme numérique hébergée au Maroc, conçue pour coordonner les certifications et connecter les producteurs aux acheteurs responsables. Au-delà de la mise en conformité aux normes, l'enjeu est de doter l'Afrique d'outils durables capables de retenir sur le continent une part bien plus importante de la valeur créée. L'esprit du Congrès s'est cristallisé autour d'une conviction commune, celle d'une Afrique dotée d'une autonomie décisionnelle quant à l'exploitation de ses ressources. Encore faut-il maîtriser la gouvernance minière, harmoniser les standards et offrir aux investisseurs une lisibilité que les économies émergentes peinent souvent à garantir. Ce travail, de l'aveu même de la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, «commence maintenant». Un partenariat pour une gouvernance africaine des ressources Le Congrès a également été marqué par la signature d'un Mémorandum d'entente entre le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable et l'Africa Minerals Strategy Group (AMSG). Cet accord, conclu en présence de leurs responsables respectifs, renforce la coordination africaine en matière de gouvernance minière et accélère la mise en œuvre du Corridor OTC et du Cadre ESG africain. L'AMSG (Africa Minerals Strategy Group), créé par les ministres africains des mines en 2024, affiche d'ailleurs pour mission d'élaborer des politiques convergentes, mutualiser l'expertise et doter le continent d'outils de certification et de digitalisation partagés. L'accord signé à Marrakech inscrit cette coopération dans un cadre opérationnel, incluant la gouvernance ESG, la modernisation des chaînes de valeur et l'organisation de plateformes panafricaines dédiées au secteur minier. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO