Invisibles dans les discours, marginalisés dans les politiques publiques, les agriculteurs familiaux marocains sont pourtant les gardiens d'un modèle agricole vital pour la sécurité alimentaire et la stabilité sociale du pays. Réunis mercredi à Rabat, les membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ont tiré la sonnette d'alarme. Sous la présidence d'Abdelkader Amara, l'institution appelle à un changement profond de regard sur ce secteur, présenté comme « le maillon faible » des stratégies agricoles, alors même qu'il concerne près de 70 % des exploitations du Royaume. Le diagnostic est sévère. Derrière les slogans des plans agricoles successifs, la petite et moyenne agriculture familiale reste, selon le CESE, fragilisée par une série de handicaps structurels : fragmentation excessive des terres, manque criant d'organisation collective, faiblesse de l'accompagnement, dépendance à des circuits dominés par des intermédiaires et une vulnérabilité grandissante face aux aléas climatiques. Ces constats s'appuient sur un avis du Conseil, fruit d'une large démarche d'écoute menée aOucharikouprès d'experts, de professionnels et de citoyens à travers la plateforme participative « ». Une mission de terrain à Essaouira, région emblématique d'une agriculture familiale à faible valeur ajoutée, est venue nourrir les travaux, soulignant l'écart persistant entre les ambitions des politiques publiques et la réalité vécue sur le terrain. Parmi les défis identifiés, la faiblesse des services d'accompagnement ressort en tête (27 % des réponses à la consultation), suivie par l'exposition directe au changement climatique (20 %), le manque d'organisation des agriculteurs (16 %) et l'accès limité au financement (14,5 %). Autant de freins qui maintiennent ces exploitations dans une logique de survie, loin des dynamiques d'investissement ou d'innovation. Lire aussi : Le CESE adopte son avis sur les pertes et gaspillage alimentaires au Maroc Pour Abdelkader Amara, il est temps de dépasser les visions réductrices qui cantonnent l'agriculture familiale à une activité de subsistance. « C'est une composante stratégique de notre modèle de développement rural », a-t-il plaidé, rappelant que ces exploitations jouent un rôle essentiel dans la création d'emplois, la préservation de la biodiversité, la transmission des savoir-faire et la résilience des territoires face aux crises. S'il reconnaît les efforts déployés à travers les plans Maroc Vert et Génération Green, le CESE estime qu'une réorientation est nécessaire pour que l'agriculture familiale ne reste pas à la traîne. La solution, selon l'institution, passe par une approche plus locale, plus adaptée aux réalités du terrain, intégrant les communautés rurales comme parties prenantes à part entière des stratégies de développement. Le CESE appelle également à lever le verrou du financement, en facilitant l'accès des petits exploitants aux crédits adaptés, mais aussi à renforcer l'ingénierie d'accompagnement, en développant des services de conseil agricole de proximité. La lutte contre l'émiettement foncier, l'encouragement à la mutualisation des ressources et une meilleure régulation des circuits de commercialisation figurent aussi parmi les pistes prioritaires. Alors que le Maroc est confronté à une sécheresse historique et à une pression croissante sur ses ressources hydriques, cette alerte du CESE tombe à point nommé. Elle pose une question de fond : quelle place le Royaume entend-il réellement réserver à ses petits agriculteurs dans le modèle agricole de demain ? Sans une réponse claire, le pays risque de creuser encore un peu plus les fractures entre les grands pôles agro-industriels irrigués et les territoires ruraux enclavés. Une fracture sociale et territoriale qui, au-delà de l'enjeu agricole, engage la stabilité et la cohésion du Maroc tout entier.