2/6 – Le spectre de Berlin : la matrice médiatique du néocolonialisme chez Le Monde. Monsieur Le Monde, Vous venez de terminer la publication de vos 6 chapitres sur « l'énigme Mohammed VI » comme vous le prétendez. Je viens de commencer la composition de mes 6 chapitres pour vous répondre. Le présent Deuxième chapitre ne sera pas moins clair et franc. Je rappelle, d'entrée de jeu, que votre plume, prétendument libre, s'est exercée à annoncer la fin d'un règne, celui de S.M. le Roi Mohammed VI, tout en insinuant des luttes d'influence et des rivalités d'élite, au Maroc, autour d'une succession que vous imaginez imminente. Ces propos, procédant d'une offense politique camouflée en investigation médiatique (qui ne dit pas son vrai nom) relève plus du fantasme que du journalisme. Il s'inscrit dans une longue tradition occidentale égoïste : celle d'un regard subjectivement hostile, paternaliste et condescendant, hérité d'une époque pourtant révolue : l'ère coloniale. Personne n'est plus dupe. Cette lettre ouverte – je le rappelle en d'autres termes – a pour objectif de déconstruire vos allégations, d'en révéler la matrice néocoloniale, et de rappeler, preuves à l'appui, que le Maroc contemporain incarne tout le contraire de l'image caricaturale que vous vous acharnez à dépeindre vainement. J'ai promis, dans le premier chapitre, de développer l'esprit néo-impérialiste (politico-culturel) ancré de votre série d'articles en question. C'est ce que je m'évertuerai à faire, en décryptant le spectre de Berlin ou la matrice médiatique du néocolonialisme qui semblerait vous habiter. J'espère que le Tout-Puissant m'aidera à l'exorciser. En effet, Monsieur Le Monde, l'histoire coloniale européenne, notamment à partir de la Conférence de Berlin (1884-1885), a été soutenue par un appareil médiatique complice. La presse de l'époque, loin d'être neutre, servait d'instrument de légitimation des conquêtes et d'endoctrinement des opinions publiques. Les Africains étaient décrits comme incapables de se gouverner, et les monarchies locales comme archaïques, afin de justifier leur mise sous tutelle, leur asservissement, sous divers prétextes, suivant la voix de votre maître : les ancêtres. Monsieur Le Monde, Votre discours s'inscrit dans cette filiation idéologique. Et derrière un vocabulaire journalistique moderne, on retrouve le même fond paternaliste, la même fibre esclavagiste, le même style discriminatoire, le même dessein diffamatoire et le même timbre raciste, toujours entièrement voilés sous le masque de la modernisation salvatrice, visant le bien de l'Afrique aux yeux de l'Occident, son sauvetage tel un navire en détresse, sa survie telle une personne dans un sinistre d'incendie. Mais à condition de suivre vos consignes de délivrance, celles de la France. C'est l'image journalistique camouflée de l'apôtre de la civilisation des lumières d'Occident, tel le maître d'école colonialiste blanc qui, dans une classe primaire des territoires de l'AOF ou de l'AEF des années quarante à cinquante, enseignant sur un tableau noir accroché au mur, blanchi en lignes d'écriture à la craie, comme les rayures d'un zèbre, enseignait aux futures générations africaines, comment manger, marcher, se vêtir avant de leur apprendre à lire et écrire. Monsieur Le Monde, Vous êtes parmi les bons donneurs de leçons en démocratie sans être les premiers à en prêcher d'exemples, en matière des droits de l'Homme. Et puis votre stratégie médiatique de vouloir imposer sournoisement le modèle démocratique français aux pays africains sans tenir compte de leurs authenticités, relayant ainsi la voix politique de certains gouvernements français trépassés dans le passé, en défendant leurs voies idéologiques. Rappelez-vous ce qu'en avait dit Feu S.M. le Roi Hassan II du Maroc en répliquant au discours de son homologue français feu François Mitterrand dans la conférence historique de La Baule tenue le 20 juin 1990, ayant rassemblé 37 pays africains. Que fut le discours de François Mitterrand sauf un réquisitoire contre les régimes politiques africains sans nulle distinction, « invitant (brutalement) les chefs d'Etat participant à lancer un processus de démocratisation sous peine, dans le cas contraire, d'être privés du soutien du Nord ». Et que fut la réponse du Souverain marocain autre qu'une magistrale plaidoirie invitant la France à considérer les particularités des pays en question. Avez-vous écouté ou lu les discours croisés des deux chefs d'Etat. Lire aussi : Oui, le Roi Mohammed VI est une « énigme » – 6/6 Monsieur Le Monde, Où se trouve le journalisme français aujourd'hui, par rapport à la plaidoirie de Feu S.M. le Roi Hassan II dans la conférence de La Baule ? Où vous situez-vous, doyen aussi incontestable des journaux de France qu'ambassadeur inconstatable de la presse française de l'après Deuxième Guerre mondiale, ayant vu le jour sous les bombes du nazisme peu avant la victoire des Alliés. Une victoire mémorable à laquelle le Royaume du Maroc a pourtant bien participé, de l'aveu même du chef de la France Libre, le général Charles de Gaulle qui, par reconnaissance de cette dette morale historique que devait son pays au Grand-père de celui que vous vous escrimez à dénigrer dans l'ingratitude, en a fait le seul Chef d'Etat non occidental Compagnon de la Libération. Monsieur Le Monde, Vous vous situez hélas dans une position très éloignée de celle où vous auriez dû vous placer à l'égard du Maroc. Mais c'est plutôt l'autre côté sombre de la scène que l'on voit se profiler, en vous considérant apparemment comme le plus intelligent et le plus audacieux des quotidiens français. Est-ce peut-être ce que vous tentiez de démontrer, en choisissant des termes sonnant comme des coquilles vides sous le coup des ongles d'une main, car vides de sens devant des réalités marocaines vivantes, vives et vivaces. Des vérités qui démentent et démontent vos arguments très discutables. Parmi ces termes figurent, je cite : « Maroc figé, réformes inachevées, monarque absent... ». Ecoutez déjà ceci sommairement, comme le sommaire d'un livre, avant que vous en verrez suffisamment dans les prochains chapitres. Maroc figé dites-vous avec aplomb. Le Maroc vous semble figé car vous le voyez d'une terrasse idéologique où vous êtes figé vous-même, entre colonialisme et égalitarisme international. Une vision/position cristallisée par le néocolonialisme, disons-le, encore une fois. Réformes inachevées, avancez-vous ensuite sans sourciller. Les réformes vous semblent inachevées au Maroc, parce que vous n'en voyez que ce qui vous plaît, sans parler du tout de celles qui ont révolutionné le Maroc, et dont je vous parlerai prochainement, à en crever l'écran de vérités vérifiables. Pourtant, de l'aveu même des observateurs français honnêtes, politiciens et académiciens, elles ont été merveilleusement accomplies avec parfois une participation de partenariat français. Mais cela déplaît à ceux qui sembleraient vous payer généreusement pour déprécier le Royaume chérifien, au titre d'une analyse aussi superficielle que fallacieuse. Monarque absent enfin. Mais de quelle absence parlez-vous ? Devrait-on faire soulever de la poussière sous ses pieds pour prouver qu'on est à l'œuvre ? Le Monarque est absent à vos yeux, car vous êtes frappés de myopie politique durant le premier quart de siècle de S.M. le Roi Mohammed VI quand il sillonnait son pays depuis le Nord le plus septentrional au Sud le plus méridional. Frappé de myopie politique étiez-vous aussi devant ses périples successifs en Afrique entamé dès 2001 avec, avant chaque retour de voyage à Rabat, des dizaines d'accords signés dans tous les secteurs de la vie publique, tout en concluant, entre 2014 et 2018, des contrats de partenariats stratégiques avec des puissances émergées ou émergentes, depuis la Chine jusqu'à la Russie en passant par l'Inde et les pays du Golfe arabique. Où étiez-vous Monsieur Le Monde, dans l'autre monde ? C'était donc vous, en réalité, le véritable absent de la scène médiatique et journalistique mondiale. Où peut-être souhaitiez-vous voir le Roi du Maroc soumis, à chaque déplacement, à un pointage de présence politique à l'intérieur du pays et diplomatique à l'extérieur, ou bien apposant sa signature sur une feuille de présence dont vous auriez désiré être le surveillant général médiatique ? Non ? Non, Monsieur Le Monde, Ce n'est parce que S.M. le Roi Mohammed VI a réduit ses voyages de travail et visites officielles qu'il est absent de l'Etat. Détrompez-vous. Non, les actes, pour un chef d'Etat pratique et efficient, ne se réalisent pas avec tambour et trompette, en les claironnant à tout bout de champ sur les toits de la presse, pour en assourdir les tympans. Non, les véritables grandes actions se font dans le silence des performances et la discrétion de la pondération. Et chez le successeur de feu S.M. le Roi Hassan II, c'est la parole de l'action et l'action de la parole qui marquent son style, qui ont fait révolutionner tranquillement la nation. Mais cela vous ne semblez pas le savoir. Car vous n'avez rien compris à S.M. le Roi Mohammed VI. Bien sûr que vous auriez aimé qu'il vous suggère des entretiens, en rivalisant des homologues en la matière ? Mais voyez-vous, S.M. le Roi Mohammed VI n'est pas candidat au hit-parade, il a dit à l'aube de son avènement. Il déteste par conséquent les scoops de propagande politique pour se faire connaître. Car il l'est très suffisamment, après un quart de siècle, par sa discrétion et son humilité et non pas en se voulant bavard, mais plutôt « buvard ». Oui buvard. Il l'a dit un jour. D'ailleurs, dîtes-moi, combien d'interviews vous-a-t-Il accordé ? Là encore, de la réponse, se dressera un élément explicatif de votre vision du Maroc, parmi tant d'autres. Nous aiguiserons tout cela. Parole d'honneur. Monsieur Le Monde, Revenons au spectre de Berlin dont je vous parlais à l'instant, avant cette parenthèse idoine. Sachez surtout, qu'après les indépendances, l'obsession occidentale pour l'Afrique ne s'est pas éteinte. Elle a changé de forme : le colonialisme militaire a cédé la place à un colonialisme médiatique et économique. Des journalistes se prétendant « indépendants » se sont faits les relais de visions déformées, préférant insister sur les difficultés des pays africains plutôt que de reconnaître leurs réussites. Ainsi, dans ce schéma, l'Afrique n'a droit qu'à la critique, rarement à la reconnaissance. Votre article n'échappe pas à cette logique : vous ignorez volontairement les transformations profondes du Maroc pour mieux alimenter le vieux récit d'un pays instable, sous tension, dépendant, et toujours en proie au sous-développement. Monsieur Le Monde, Vous vous livrez à des spéculations absurdes en parlant d'« énigme Mohamed VI », naviguant aux antipodes de la réalité. Et vous en réavivez – consciemment ou inconsciemment – une vieille mécanique. Ce que vous présentez comme un regard critique, presque « courageux », n'est en vérité qu'une répétition aussi cassante que lassante : celle d'un récit forgé depuis plus d'un siècle et demi par les héritiers d'un même imaginaire colonial. Car la vérité est là, criante, béante : vous êtes le produit d'une tradition journalistique coloniale qui, depuis la Conférence de Berlin de 1884-1885, continue de hanter les consciences occidentales et leurs représentations de l'Afrique. La Conférence de Berlin est une cartographie au compas, une presse au service de l'empire. Si bien qu'on ne pourrait séparer les médias de l'époque et l'événement auquel elle se dissout comme un morceau de sucre dans un verre d'eau. Indissociables, ils feront chemin et corps ensemble, la main dans la main. Mais la main haute restera celle de l'Etat qui la domine d'une manière ou d'une autre. Evidemment. Monsieur Le Monde, Je vous rappelle que la Conférence de Berlin, convoquée par le chancelier allemand Otto Von Bismarck, rassembla les grandes puissances européennes de l'époque – France, Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique, Portugal, Espagne, Italie... – pour décider du partage de l'Afrique. Aucun Africain n'y fut convié. Le continent fut traité comme une terre « vacante », un trésor territorial à se distribuer, un espace géographique à administrer, à contrôler, à exploiter, à vendre ou à acheter, par voie de troc ou par des concessions, des compromis, comptant ou par échéances. Mais pour que cette entreprise monstrueuse paraisse légitime aux yeux des opinions européennes, il fallait un discours médiatique qui la rende acceptable. Et c'est là que la presse entra en scène, non comme un contre-pouvoir, mais comme un instrument de domination, de facilitation, de compromission, de conspiration. Monsieur Le Monde, Les journaux coloniaux français du XIXe siècle – Le Temps, Le Petit Journal, La Dépêche coloniale illustrée – pullulaient de récits héroïsant « l'aventure coloniale ». Ils présentaient l'Afrique comme un continent « vide d'histoire », « arriéré », « livré à la barbarie », « non civilisé » ...etc. Les chefs traditionnels, les rois, les sultans, étaient systématiquement décrits comme des tyrans sanguinaires, illégitimes, incapables de gouverner. Cette rhétorique visait un but précis : fabriquer le consentement. L'opinion publique française, bombardée d'articles, de gravures, de récits de voyages, s'habituait à considérer la colonisation non comme une conquête brutale, mais comme une « mission civilisatrice ». On ne parlait pas de pillage, mais de « progrès » ; pas de domination, mais de « mise en valeur », pas d'esclavage, mais « d'éducation ». Quant à l'alphabétisation que l'on proclamait pour les indigènes, elle s'opérerait dans la langue du colonisateur, de l'envahisseur : celle de Molière, avant d'en arriver à « nos ancêtres les Gaulois » Ainsi, à travers ses unes et ses chroniques, la presse coloniale se présentait comme l'arbitre des civilisations, son tribunal si vous aimez mieux. Elle opposait une Europe supposément éclairée, rationnelle et moderne, à une Afrique caricaturée comme ténébreuse, sclérosée, incapable de se moderniser seule, inapte à l'invention, stérile d'imagination. D'ailleurs, dans un numéro de 1885 du Petit Journal, on pouvait lire : « Les peuplades noires, laissées à elles-mêmes, ne sauraient jamais entrer dans le concert des nations. C'est à l'Europe qu'il appartient de les guider ». Cette phrase, Monsieur Le Monde, résonne étrangement avec votre manière saugrenue de parler du Maroc : en niant sa souveraineté réelle, en réduisant son Roi à un malade supposé, en présentant son avenir comme incertain sans lui reconnaître la force de son présent, la grandeur de son passé et les perspectives grandioses de son futur. Bref, ce que vous souhaiteriez, Monsieur Le Monde, c'est l'aliénation d'une nation : le Maroc. L'aliénation de sa liberté de vivre comme elle l'entend, dans sa propre démocratie. Ce système qui fascine encore la planète, mais loin de sa perfection, loin d'être similaire partout dans le monde, car bien faillible avec ses maux comme le soutenait magistralement Alexis de Tocqueville dans son ouvrage de référence intitulé : De la Démocratie en Amérique. Je suppose que vous l'avez bien lu et saisi. Ce qui poussa Feu S.M. le Roi Hassan II à formuler un vœu académique en ces termes : « j'aimerais que l'on parle un jour de la démocratie marocaine comme on parle des autres démocraties occidentales (américaine, anglaise, française ...etc.)« . Et qui dit démocratie dit liberté, évidemment, entendu que celle-ci n'est pas cependant illimitée. Mais vous continuez de croire, comme disait Rosa Luxemburg, que « la liberté, c'est toujours la liberté de celui qui pense autrement ». C'est-à-dire autrement que ce que pensent et veulent les Africains pour eux-mêmes, soit la liberté de ce que vous pensez et voulez pour les Africains, les Marocains en tête. Monsieur Le Monde, En définitive, vous réactivez la même logique : nier aux peuples africains – et au Maroc en particulier locomotive du train africain – la capacité de tracer leur destin par eux-mêmes. Parce que c'est justement ce Maroc, déjà impérial avant l'empire français, qui représentait déjà la tête levée du continent les yeux vers le firmament, qu'il fallait abaisser ou rabaisser. Monsieur Le Monde, Il serait peut-être utile de vous rappeler, sans prétendre vous dispenser une leçon d'histoire, que votre ancêtre, la presse coloniale, hier, utilisait trois procédés principaux : 1. La délégitimation des dirigeants africains : sultans, rois ou chefs étaient présentés comme des despotes instables, dont le pouvoir ne tenait qu'à un fil. (Ne vous rappelez-vous pas, Monsieur le Monde, de ce que vous écrivez aujourd'hui sur Mohammed VI ?) 2. La dramatisation des divisions internes : on exagérait les conflits tribaux, on imaginait des luttes de clans pour justifier l'intervention « pacificatrice » de l'Europe. (N'est-ce pas le miroir exact de vos spéculations sur de prétendues factions au Maroc ?) 3. La négation des réussites locales : toute construction, toute stabilité, toute modernité africaine était effacée ou minimisée. Seule l'Europe pouvait incarner le progrès. (N'est-ce pas exactement ce que vous faites en occultant les ports, les autoroutes, les réformes sociales, les diplomaties africaines du Maroc ?) Certes, nous ne sommes plus en 1885. Nous sommes en 2025. C'est-à-dire 140 ans passés. Les drapeaux européens ne flottent plus sur les palais africains. C'est vrai. Mais le spectre de Berlin continue de hanter certaines rédactions occidentales dont vous faites partie. Et vous l'avez démontré aussi irrésistiblement que risiblement. Tant il est vrai que les racines des terres sauvages ne font pousser que les mauvaises herbes. Tant il est vrai que c'est aux origines où l'on se tourne par nostalgie de réminiscence, quand on est incapable d'y revenir en faisant reculer les aiguilles de l'horloge à gauche, dans le sens inverse de son mouvement normal. Oui, Monsieur Le Monde, Le colonialisme n'a pas disparu totalement : il a simplement changé de forme, de méthode, de style, de visage, de langage. Oui, le spectre de Berlin ne s'est pas éclipsé définitivement. Car sorti de la porte, il est revenu par la fenêtre, en demeurant dans la maison africaine comme un feu allumé à l'intérieur dont la fumée monte, telle une cigarette qui brule, telle la queue d'un cheval qui se remue à travers l'ouverture d'une case fermée. Comme s'il jouait au cache-cache avec la démocratie pour abuser ou émouvoir une opinion publique candide. Oui, le spectre de Berlin ressurgit de plus bel, chaque fois qu'un journaliste choisit de raconter l'Afrique, non pas à partir de ce qu'elle accomplit, mais à partir de ce qu'il imagine ; chaque fois qu'un regard extérieur prétend comprendre mieux qu'un peuple ce qu'il vit ; chaque fois qu'un article reproduit les vieilles obsessions coloniales : fragilité, instabilité, dépendance. Monsieur Le Monde, Votre série d'articles sur S.M. le Roi Mohammed VI et le Maroc s'inscrit dans cette lignée. Elle est indécente, insolente, même en prenant parfois une tournure feutrée, avec détours. En insinuant la fin d'un règne sans fondement, vous vous placez dans la posture du chroniqueur colonial face à l'indigène qu'il forçait d'écouter sa version de l'histoire, pour lui faire oublier celle de ses ancêtres bien que celle-ci soit conforme à la modernité occidentale. Car vous semblez vouloir mordicus, que celle-ci subsiste toute seule en effaçant totalement l'authenticité d'un Etat pourtant millénaire, ayant survécu glorieusement contre vents et marées. En insinuant cette fin de règne, vous annoncez à la descendance ce que prédisait votre ascendance non sans condescendance, telle une vielle voyante européenne accroupie autour d'une boule de cristal. Oui, Monsieur Le Monde, car à la domination militaire et territoriale du 19e et du début du 20e siècle a succédé une domination médiatique, économique et culturelle, que l'on nomme communément néocolonialisme. Et dans ce néocolonialisme, les médias classiques dont vous faites partie à travers vos aïeuls, jouent de nos jours un rôle déterminant : ils sont devenus les nouveaux soldats d'une bataille idéologique visant à garder l'Afrique sous tutelle symbolique, à la maintenir dans une image d'éternelle dépendance, à influer sur le cours des événements en influençant l'opinion publique, surtout des opposants arbitrairement ambitieux, rampant encore sur le sentier de la politique. Mais ceux-là, on ne les trouve plus au Maroc, Monsieur le Monde. On ne les retrouve plus. En somme, votre gros problème réside dans l'incapacité à vous défaire de votre logiciel colonial. Le Maroc d'aujourd'hui n'est pas ce royaume fragile que vous imaginez. C'est une monarchie millénaire, stable, moderne, souveraine, qui écrit son destin sans attendre l'approbation de journalistes héritiers de la vieille presse coloniale. La différence entre vous et nous, c'est que nous avons une mémoire. Nous savons d'où vient ce discours, et nous savons où il mène. Et parce que nous savons, nous refusons qu'il continue de dicter son récit sur nous, Monsieur Le Monde. (*)Par Issa Babana El Alaoui Politologue, Historien