En fermant son espace aérien aux livraisons d'armes à Israël et en interdisant l'escale de navires-citernes à destination de Tel-Aviv, Madrid franchit une étape inédite : traduire en actes une condamnation morale de l'offensive israélienne sur Gaza. La décision annoncée par Pedro Sánchez marque un tournant. Longtemps cantonnée aux déclarations critiques, l'Espagne passe désormais à l'action concrète, assumant de s'opposer frontalement à la chaîne logistique qui alimente la guerre dans l'enclave palestinienne. Dans un contexte européen dominé par la prudence diplomatique et la solidarité quasi automatique avec Israël, ce geste constitue une rupture majeure. En qualifiant les opérations militaires à Gaza de « génocide » et de « liquidation d'un peuple désarmé », le chef du gouvernement espagnol endosse une rhétorique jusqu'ici marginale dans le champ occidental. Mais surtout, il couple cette rhétorique à une interdiction concrète, qui touche directement l'approvisionnement israélien. Rarement un Etat membre de l'Union européenne et de l'OTAN avait osé franchir ce seuil. Ce choix place Madrid en porte-à-faux vis-à-vis de ses partenaires européens. La plupart des capitales de l'UE continuent de privilégier une ligne de « soutien inconditionnel » à Israël, tout en exprimant des préoccupations humanitaires. Bruxelles elle-même se garde de toute mesure coercitive. En s'aventurant sur ce terrain, l'Espagne expose ses relations à de vives tensions, notamment avec l'Allemagne ou la République tchèque, défenseurs acharnés de Tel-Aviv. Lire aussi : Gaza : quinze journalistes palestiniens tués en août, selon leur syndicat La crispation la plus sensible pourrait venir des Etats-Unis. Washington reste le principal garant diplomatique et militaire d'Israël et perçoit avec suspicion toute initiative susceptible de fragiliser son allié au Proche-Orient. Madrid prend ainsi le risque de s'exposer à des pressions économiques ou sécuritaires, voire à une marginalisation dans certains dossiers stratégiques. Tel-Aviv n'a pas tardé à réagir. Deux ministres espagnols se sont vu refuser l'accès aux territoires occupés. Le gouvernement israélien accuse désormais Madrid « d'antisémitisme », une stratégie récurrente pour discréditer toute contestation. L'Espagne a répliqué en convoquant son ambassadeur à Tel-Aviv et en réaffirmant que ses mesures n'avaient qu'un objectif : protéger les civils, garantir l'acheminement de l'aide humanitaire et défendre le droit international. Dans un paysage international où Israël se retrouve de plus en plus isolé, hormis le soutien indéfectible de Washington, l'Espagne apparaît comme l'un des rares pays occidentaux à assumer une rupture de ligne. En Europe comme dans le monde arabo-musulman, où de nombreux gouvernements hésitent encore à traduire leur indignation en actes, Madrid incarne une conscience morale plus affirmée, au prix de tensions diplomatiques certaines. La posture espagnole ne bouleversera sans doute pas à elle seule l'équilibre des forces au Proche-Orient. Mais elle confère à l'Espagne une stature singulière : celle d'un pays qui, au nom du droit international et de la protection des peuples opprimés, ose défier le consensus établi et rappeler que la solidarité européenne ne saurait s'accommoder d'aveuglement face à des crimes de masse.