Elle est devenue experte dans l'art de parler d'un pays qu'elle ne connaît plus qu'à travers ses souvenirs d'enfance et les récits de seconde main. Sur chaque plateau télé, Leïla Slimani manie la formule comme d'autres manient la mise en scène : avec l'assurance de celle qui sait que son auditoire raffole de l'exotisme bien emballé. Son Maroc n'est pas le Maroc réel, c'est un Maroc de studio, calibré pour séduire les oreilles occidentales en mal d'Orient parfumé, d'épices et de passions contenues. Lorsqu'elle déclare que « le rapport à la vengeance, notamment chez les femmes marocaines, est quelque chose d'important » et cite sa grand-mère comme modèle de philosophie vengeresse, elle ne livre pas une vérité. Elle vend un cliché. Derrière la belle phrase se cache la paresse du raccourci, celle qui transforme une anecdote intime en thèse universelle. Ce n'est plus de la littérature, c'est du folklore pour lecteurs pressés. Peut-être confond-elle tout, dans sa tête. Il n'y a chez elle qu'un fil ténu entre la réalité et la fiction, entre ce qu'elle imagine et ce qu'elle croit savoir. Mais le Maroc, lui, ne se prête pas à ce genre de confusion. Il est trop vivant, trop multiple, trop ancré pour se réduire à une phrase bien tournée. Car que sait-elle, au fond, des femmes marocaines ? Celles qui se lèvent à l'aube, qui travaillent, qui élèvent, qui prient, qui rient malgré tout, qui avancent sans fracas. Des femmes qui ne se vengent pas, parce que la vengeance suppose le luxe du temps et de l'amertume, deux choses qu'elles n'ont jamais pu se permettre. Elles réparent, elles reconstruisent, elles pardonnent. Elles tiennent debout sans slogans ni aphorismes. Chez nous, au Maroc, le vrai, on dit : « Ne sois pas rancunier, Dieu pardonne. » Voilà la seule leçon transmise de mère en fille, la seule « philosophie » vraiment marocaine. LIRE AUSSI : Monsieur Tebboune, l'Histoire vous rattrape depuis le Sahara ! Sa grand-mère, si elle a vraiment prononcé cette phrase, était peut-être une femme fantasque, romanesque à souhait. Mais dans la mémoire collective marocaine, la grand-mère n'est pas synonyme de rancune. Elle est douceur, prière, bénédiction. Elle console, elle rassemble, elle réconcilie. Elle n'enseigne pas la vengeance mais plutôt la patience. Ce n'est pas une prêtresse de la rancune, mais la gardienne de la paix domestique. Il faut dire que celle qui se permet ces généralisations a grandi loin des ruelles, loin du dialecte quotidien, loin du Maroc réel et rugueux. Elevée dans la bourgeoisie feutrée, puis expatriée dans les salons parisiens, elle observe le pays de ses parents avec la distance d'une touriste sentimentale. Ce Maroc-là n'a ni poussière ni dialecte, il se raconte en français poli, dans des phrases bien pesées qui sentent la recherche d'un prix littéraire plutôt que d'une vérité. À force de parler de ce pays comme d'une fable, elle l'instrumentalise. Elle l'étale comme une matière première, un décor de roman ou un alibi identitaire. Elle en extrait ce qui brille, ce qui choque, ce qui plaît. Le reste – la complexité, les contradictions, la dignité tranquille des femmes – passe à la trappe. Le Maroc ne lui est pas hostile, à coup sûr, il lui est simplement étranger. Elle le regarde comme on regarde un souvenir, avec une tendresse confuse et une méconnaissance absolue. Ce qu'elle croit décrire, elle l'invente. Ce qu'elle croit dénoncer, elle le déforme. Et à chaque sortie médiatique, c'est le même rituel, le même ton docte, la même posture de témoin éclairé, la même gourmandise pour l'exotisme qu'elle prétend critiquer. Mais qu'elle se le tienne pour dit : les femmes marocaines n'ont pas besoin d'être vengées ni représentées. Elles existent, simplement. Dans leur force, leur pudeur, leur humour, leur endurance. Elles ne sont ni le produit de sa nostalgie ni les héroïnes de ses romans. Et si vengeance il y a, c'est celle de continuer à vivre dignement, malgré tous les discours qui les réduisent à des caricatures vendables.