Une panne géante d'électricité coûterait 125 millions d'euros par heure à la Belgique    Paris conserve sa 2e place de ville la plus agréable à vivre en Europe    Le destin du Polisario : Une fin similaire à celle du PKK ?    Températures prévues pour jeudi 15 mai 2025    Espagne : plus de 370 000 Marocains affiliés à la sécurité sociale, un record parmi les étrangers    Nouveau siège du consulat du Maroc à Montpellier : Vers un renforcement des services consulaires et du rapprochement maroco-français    Conseil des ministres : décisions majeures et nominations stratégiques    Médias, RS : le PPS défend l'indépendance de la presse    Turbomachines. OCP active son centre d'expertise    L'ONMT accélère la cadence aérienne avec Transavia    Gazoduc Nigeria-Maroc : Le point sur les études achevées, les accords signés et les prochaines étapes stratégiques    Le Maroc édicte pour la première fois de nouveaux seuils pour les rejets atmosphériques des usines d'acide phosphorique    Produits de base : plus de 100 MMDH de subventions entre 2022 et 2025, selon Fettah    Agrumes : une filière en quête de renouveau (VIDEO)    Le Maroc réussit une équation difficile : le coût de production automobile le plus bas au monde, avec seulement 106 dollars par travailleur    Finance durable : l'impact comme nouveau levier de croissance africaine (vidéo)    Rabat. SAR le Prince Héritier Moulay El Hassan préside le déjeuner offert par SM le Roi à l'occasion du 69e anniversaire des FAR    Rabat. SM le Roi Mohammed VI reçoit plusieurs ambassadeurs étrangers    Le projet de Code de procédure pénale adopté en Commission à la Chambre des représentants    Senén Florensa : « L'avenir sera fait de zones d'intégration, et la nôtre est euro-méditerranéenne-africaine »    Expulsions de fonctionnaires français d'Algérie: la France va "renvoyer" à son tour des diplomates algériens    Pèlerinage. SM le Roi, Amir Al-Mouminine, adresse un Message aux pèlerins marocains    Un séisme de magnitude 6,1 au large de la Crète    CAN U20 : Point presse de Mohamed Ouahbi avant Maroc – Egypte    Liga / J36 : Ce soir, Real-Majorque    Le Panathinaïkos souhaiterait conserver Azzedine Ounahi cet été    Real Madrid : Brahim Diaz forfait face à Majorque en raison d'une blessure    Le Dislog Maroc Padel Masters revient du 16 au 18 Mai à Casablanca    Raja Casablanca : Houssine Rahimi devrait rejoindre son frère à Al Ain    2025, une année fructueuse pour les sélections marocaines qualifiées à 4 coupes du monde    Le Yémen compte sur le soutien de la Chine    Maroc : Un contrat renouvelable entre les établissements d'enseignement privé et les familles    Crime sexuel. Un Suédois d'origine turque arrêté à l'aéroport Mohammed V    8 dead, 20 injured in Essaouira-Agadir bus accident    España: El Partido Socialista acusa al Partido Popular de querer socavar las relaciones con Marruecos    Etude : la fin de l'univers arriverait plus vite que prévu    Arganiculture: La recherche et développement avance    Leila Slimani at Cannes 2025 : «We laugh, even when part of the world is in darkness»    Huawei Maroc accompagne le Printemps Musical des Alizés et réaffirme son engagement en faveur de la culture    Tricinty Fest : Le rock et le metal font leur retour les 23 et 24 mai 2025    Festival Gnaoua 2025 : 33 Maâlems accueillent les voix du monde    Patrimoine : Marrakech, au fil de l'eau et des jardins    Le Pavillon Temporaire : un nouveau chapitre s'ouvre au Jardin Majorelle    Handball. 41e CACVC, Egypte 25 : Wydad Smara et l'AS FAR en lice cet après-midi    Trump a demandé au président syrien de normaliser la relation avec Israël    Les prévisions du mercredi 14 mai    À Rabat, un dispositif structurant pour l'émergence d'une industrie nationale du jeu vidéo lancé    Le Gravity Comedy Show revient à Marrakech avec une nouvelle édition mêlant satire, spontanéité et voix montantes du stand-up    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Un an après : Les origines numériques de la « Révolution arabe »
Publié dans Yabiladi le 02 - 03 - 2012

En réaction à des commentaires trop rapides sur le rôle des réseaux sociaux dans les événements de Tunisie et d'Egypte, CPA mettait en ligne un billet à propos des origines culturelle numériques de la Révolution arabe. Qu'en est-il un an plus tard, sachant qu'on en est toujours à se demander si le mot «révolution», souligné par une majuscule, est bien celui qui convient pour parler de changements politiques toujours très incertains ? Faut-il employer le singulier, pour un mouvement qui a embrasé toute la région, ou bien le pluriel, chaque pays se caractérisant par une situation singulière ?
Par habitude, on parle désormais de «printemps arabe», pour parler de soulèvements auxquels on a très vite également donné différentes appellations qui, toutes, tournent précisément autour du rôle prêté aux technologies de la communication : révolution internet, Twitter, Facebook ou même Wikipedia ; révolution des réseaux sociaux et du Web 2.0… Autant d'«accroches» qui peuvent faire de bons titres mais qui n'aident pas vraiment à la compréhension tant elles associent des contextes qui peuvent être aussi proches géographiquement qu'éloignés dans leurs conditions socio-économiques, à l'image du Yémen qui, avec un PIB de 2 500 dollar par habitant et par an est le voisin du micro-Etat de Bahreïn, parmi les pays les plus riches et les plus connectés du monde arabe…
Les termes utilisés renvoient aussi à des réalités fort différentes : des applications (Twitter, Facebook), un projet collectif utilisant un logiciel libre (Wikipedia), des structures techno-sociales, les «réseaux sociaux», caractéristiques d'un état de la Toile internet (le Web 2.0, plus convivial et interactif, tel qu'on le connaît depuis bientôt une dizaine d'années)… Autant de totems en réalité d'une modernité technologique présentée sous un jour favorable, en laissant sans l'ombre sa face sombre, celle d'un traçage généralisé des communications, de leurs émetteurs et de leurs récepteurs. Une possibilité que les régimes politiques peuvent bien entendu exploiter pour contrer le potentiel de ce qu'on a appelle un peu trop vite des «technologiques de libération» et pour en retourner à leur avantage toute l'efficacité.
Lire les soulèvement populaires contre des régimes dictatoriaux à la seule lumière des productions les plus Hi Tech des économies postindustrielles, cela peut être aussi une manière de se réjouir de ces «bons Arabes» qui nous ressemblent enfin et qui nous renvoient, par leur utilisation des accessoires de la communication moderne, une image qui est notre propre reflet. On rêve ainsi d'une moderne E-rabia comme l'a appelée Greg Burris, dont le surgissement dissiperait d'un seul coup les blessures du passé – celui d'une colonisation encore récente et de collaborations «diplomatiques» fort peu glorieuses. Un mirage qui se dissipe d'ailleurs très vite, lorsque les consultations électorales ou même la «voix de la rue» affirment d'autres choix que ceux que nous avions imaginés, en nous laissant aller, une fois de plus, à l'«enchantement de la technique». Car ce n'est pas la première fois qu'on aura cru trop facilement à cette magie : il y a quelques décennies seulement, la radio, puis la télévision, devaient elles aussi transformer le monde ! Dans sa partie arabe, elles devaient même mettre un terme à ses modes de vie traditionnels : the passing of traditionnal society selon les termes du livre célèbre d'un sociologue américain Daniel Lerner en 1967…
Bien sûr, ni les réseaux sociaux, ni les blogs, ni les sites d'information en ligne n'ont fait tomber les dictatures. Il a fallu pour cela l'engagement, y compris au sens physique du terme, d'hommes et de femmes qui ont affronté, souvent au risque de leur vie, des régimes soutenus par des forces de police, par des armées et même des milices… Pourtant, si les révolutions ne se font pas sur les écrans des ordinateurs portables ou des téléphones, comment ne pas noter aussi l'évidente présence des nouvelles technologiques ? Les populations elles-mêmes ne l'ont-elles pas exprimé en multipliant les slogans jouant sur les noms des géants de la Toile universelle ? Faut-il donc suivre les manifestants et croire malgré tout à une influence déterminante des technologies numériques ? Cette affirmation, même les militants les plus engagés de la blogosphère et des réseaux sociaux arabes, en Tunisie pas plus qu'en Egypte, n'avaient jamais osé lui donner une réponse totalement affirmative avant l'année 2011. De leur propre aveu, ils ont été les premiers surpris par leur victoire. Quant aux spécialistes, fort peu nombreux, qui prenaient au sérieux les transformations d'un monde arabe de plus en plus passé à l'heure de la révolution numérique, aucun d'eux, même parmi les plus optimistes, n'avait jamais osé postuler des bouleversements aussi immédiats. La rapidité des changements, espérés par les militants et prédits à plus ou moins long terme par quelques observateurs, a donc pris tout le monde par surprise. Le constat vaut aussi sans aucun doute pour les responsables politiques et leurs appareils sécuritaires, pris de court par ces nouvelles formes de protestations, pour cette fois en tout cas.
En limitant le pouvoir de la censure et en permettant une plus grande diversité de l'information, il apparaît mieux désormais que les ressources numériques ont permis, au fil des ans, l'entrée en scène d'une nouvelle génération d'acteurs. Chroniqueurs des sites d'information, blogueurs engagés, animateurs sur les réseaux sociaux ont ainsi repoussé les limites de ce qui pouvait se dire et même imposé de nouvelles thématiques – les brutalités policières en Egypte par exemple, ou encore le harcèlement sexuel – que les médias traditionnels n'ont pu totalement faire semblant d' ignorer. Entièrement livrés aux seules mains de la jeunesse qui, seule, avait le goût et le savoir-faire pour les utiliser, les réseaux sociaux, de plus en plus présents, ont servi, parmi bien d'autres choses, à des campagne de sensibilisation sur toutes sortes questions tellement présentes dans l'espace virtuel qu'elles ne pouvaient plus être totalement évacuées de l'arène politique. Irrigué par des forces nouvelles socialement plus diversifiées, le flux des nouvelles mobilisations est devenu d'autant plus difficile à endiguer qu'elles ne recouvraient pas les lignes de fracture traditionnelle du politique et qu'elles empruntaient des supports numériques – lignes téléphoniques ou signaux satellitaires – interconnectés et presque totalement libres des frontières spatiales et temporelles.
Tout cela s'est joué en quelques années seulement, et sans la moindre expérience préalable pour tirer des leçons (mais on peut penser que celles des événements de l'année 2011 ont été retenues, par les forces qui se sont maintenues au pouvoir comme par celles qui viennent de s'y installer). Dans des pays sans doute moins bien préparés que d'autres à ce choc, ne serait-ce que du fait de leur entrée plus tardive dans l'ère du tout numérique, les choses sont allées d'autant plus vite que la révolution de l'information s'est opérée sur fond de grands bouleversements sociétaux : une transition démographique à peine achevée, avec un âge moyen de moins de 21 ans ; un exode rural (la moitié de la population vit désormais dans les villes) qui s'accompagne de progrès réguliers dans l'éducation ; une mondialisation qui a accéléré la mutation des modes de vie… Autant de raisons qui font que la «webisation» du monde arabe a accompagné les mutations de tous les domaines de la vie sociale. Pour comprendre comment le «rhizome numérique» a pu nourrir les soulèvements arabes, il faut donc s'éloigner de la sphère politique, au sens étroit de l'expression, passer comme le suggère Clay Shirky d'une vision instrumentale à une conception environnementale, arrêter de penser en termes d'impact, de compter des taux de connexion, pour s'attacher à comprendre ce qu'on peut appeler le «facteur humain», cette human agency qui produit l'effet disruptif des nouvelles technologies par des changements sur un mode à la fois itératif, reproductible autant de fois que nécessaire, et incrémental, c'est-à-dire portant sur une partie seulement du processus et non pas sur sa totalité. Plus que la «société civile» des politologues, où l'accent continue à porter sur les relations entre les acteurs citoyens et le pouvoir légitime, c'est la«sphère publique» qui est au cœur d'échanges autour des multiples plates-formes d'expression que proposent les nouvelles applications d'internet, et sur lesquelles viennent se greffer, par les effet de la convergence numérique, ces relais plus traditionnels de l'opinion que sont les grands médias d'opinion.
Elargi à de nouveaux acteurs et ouvert à de nouvelles questions, ce nouvel espace public est le lieu de toutes les remises en cause. Au gré des affinités sélectives et notamment à partir des réseaux sociaux qui, sur ce plan, jouent tout leur rôle, c'est là que se tisse une toile toujours plus serrée, qui s'étend à tous les domaines de la vie sociale en ébranlant les cloisonnements verticaux qui distribuaient naguère encore les échanges selon des critères de pouvoir, de statut social, de savoir, ou même d'âge et de sexe. Une nouvelle fabrique sociale est à l'œuvre, avec des effets plus perceptibles en certains sites particulièrement stratégiques : le corps par exemple, où la Toile permet l'expression d'une «extimité», une intimité extériorisée, qui n'a pas fini de déranger, à l'image de la jeune Alia el-Mahdi s'exposant, nue, sur son blog personnel ; mais aussi la langue, vecteur de transmission, y compris dans le domaine du sacré, désormais gagnée par la diffusion spontanée et sur une échelle impressionnante au sein des jeunes générations d'un nouveau code linguistique adaptant les lettres de l'alphabet arabe aux claviers en latin des smart-phones et autres machines à communiquer mobiles de cultures numériques actuelles.
Près d'un an après leur déclenchement, faut-il redire qu'on manque de certitudes vis-à-vis de tous ces événements qui ont parcouru la région de part en part ? Une chose demeure néanmoins : autant les révolutions du «printemps arabe» tardent à livrer un message politique qui sera forcément complexe et même contradictoire d'une situation à une autre, autant leurs «origines numériques» apparaissent toujours plus manifestes. La première «génération internet» du monde arabe – celle des «natifs du numérique» qui sont entrés dans la vie avec les premières télévisions satellitaires – est sans doute loin encore d'arriver au pouvoir ; en revanche, il ne fait pas de doute que c'est bien elle qui a provoqué la chute des anciens pouvoirs.
Texte paru sur http://cpa.hypotheses.org
* À paraître dans Le Courrier de l'Acat, ce texte est le fruit d'un séminaire de l'UIR WEB Science du Cemam, à l'Université Saint-Joseph (Beyrouth).
Visiter le site de l'auteur: http://cpa.hypotheses.org/


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.