Le président du groupe parlementaire du Parti du progrès et du socialisme (PPS) affirme que seuls dix-huit bénéficiaires se seraient partagé l'enveloppe publique destinée à atténuer le prix du bétail, sans effet notable sur les marchés. Il réclame la constitution d'une commission d'enquête parlementaire dotée de pouvoirs coercitifs. Les fonds, engagés sur deux exercices successifs, aurait été détournés sans que la population marocaine n'en perçoive le moindre bénéfice, ni sur les étals, ni dans les prix. Tel est le constat implacable dressé par Rachid Hamouni qui accuse la majorité de se dérober à ses responsabilités constitutionnelles en refusant la création d'une commission d'enquête dotée de prérogatives contraignantes, seule à même, selon lui, de faire toute la lumière sur une opération publique aux contours de plus en plus opaques. S'exprimant mercredi 17 avril lors d'un débat organisépar la fondation Lafqui Titouani sous le titre «La bataille des arguments : majorité et opposition face à face», Rachid Hamouni, président du groupe du Parti du progrès et du socialisme (PPS, opposition) à la Chambre des représentants, a vivement mis en cause le programme public de soutien à l'importation de bétail, qu'il accuse d'avoir servi de paravent à un détournement massif de fonds publics. «437 millions de dirhams ont été tout simplement volés. L'Etat les a déboursés, les citoyens ne les ont jamais vus, et les bénéficiaires sont restés dans l'ombre», a-t-il déclaré, en présence de MM. Mohamed Chaouki (Rassemblement national des indépendants – RNI), Ahmed Touizi (Parti authenticité et modernité – PAM), et Abderrahim Chahid (Union socialiste des forces populaires – USFP). «L'aide publique n'est jamais arrivée au peuple» Evoquant les années budgétaires 2023 et 2024, au cours desquelles le gouvernement a débloqué 437 millions de dirhams pour soutenir l'importation de têtes ovines, M. Hamouni s'est appuyé sur les déclarations du ministre de l'équipement et de l'eau, Nizar Baraka, pour illustrer l'échec manifeste de ce dispositif : «Le mouton importé à 2 000 dirhams a été vendu à 4 000. Où est passée la différence ? Dans les poches d'intermédiaires, certainement pas dans celles du citoyen.» Et de poursuivre : «Le peuple marocain a droit à la vérité. Cette somme colossale a été dissipée sans que personne ne sache à qui elle a profité. Il faut désormais chercher qui en a tiré bénéfice.» Moutons cachés, marché faussé Selon le parlementaire, les bêtes importées n'ont jamais atteint les marchés de détail à temps pour l'aïd al-Adha. «Ces moutons ont été entreposés dans des hangars, puis sortis après la fête, pour être vendus comme s'ils étaient d'origine locale. Il s'agit là d'une tromperie manifeste à l'égard du consommateur et d'un abus de confiance envers l'Etat», a-t-il affirmé. M. Hamouni a également souligné que les citoyens eux-mêmes peuvent témoigner de l'absence de ces moutons subventionnés dans les souks : «Nous allons tous aux marchés durant l'Aïd. Nous savons ce qui s'y vend. Ne mentons pas aux Marocains.» La mission exploratoire, un écran de fumée ? Face à ce qu'il considère comme un scandale de grande ampleur, le chef du groupe parlementaire du PPS a exprimé sa défiance à l'égard de la mission exploratoire parlementaire que souhaite initier la majorité, estimant qu'elle serait dénuée de tout pouvoir réel. «La mission exploratoire n'obtiendra jamais la liste des bénéficiaires. Ce genre de commission ne peut ni contraindre ni investiguer en profondeur. Elle restera à la surface des choses», a-t-il prévenu. À l'inverse, M. Hamouni plaide pour la création d'une commission d'enquête parlementaire, seule instance, selon lui, capable de révéler les noms, d'interroger sous serment les responsables, et de contraindre les ministères à fournir les documents requis. La métaphore de la vérité Usant d'une comparaison imagée, il a distingué les deux types d'instances : «Si vous entendez des cris dans l'étage supérieur d'une maison, la mission exploratoire se contentera d'observer depuis la fenêtre. La commission d'enquête, elle, descendra pour identifier l'agresseur, appeler la police, et faire toute la lumière.» Le député a, par ailleurs, indiqué que plusieurs ministres ont déjà refusé de transmettre les pièces demandées dans le cadre d'autres missions exploratoires, rendant leur efficacité, selon lui, illusoire. Le poids des exonérations douanières Revenant sur les exonérations fiscales et douanières consenties par l'Etat dans le cadre de ce programme, M. Hamouni a dénoncé un mécanisme opaque ayant permis aux importateurs de réaliser des marges exorbitantes. «Quand un mouton acheté 2 000 dirhams à l'étranger est exonéré de droits calculés sur 7 000 dirhams, et qu'il est ensuite revendu à 4 000 ou 5 000 dirhams, qui profite réellement de la mesure ? Certainement pas le citoyen marocain», a-t-il observé. Il a illustré son propos par une analogie automobile : «Si j'importe une voiture à 100 000 dirhams et que je suis exonéré de 200 % de taxes douanières, je devrais la revendre à un prix juste. Pas à 340 000 dirhams comme cela s'est vu pour les moutons.» Selon ses calculs, «entre deux et 13 milliards de dirhams ont pu être ainsi empochés sans contrôle, au nom d'une politique publique sans garde-fous.» La commission d'enquête comme seul recours Soucieux de lever tout malentendu, M. Hamouni a déclaré : «Je n'accuse pas le gouvernement d'avoir détourné un seul dirham. Je dis que des personnes ont capté l'argent de l'Etat à leur profit. Et seule une commission d'enquête pourra déterminer combien, et pour qui.» Interrogé sur l'absence de majorité qualifiée permettant à l'opposition de déclencher d'elle-même une commission d'enquête, le député a rappelé les dispositions de l'article 67 de la Constitution, qui permet au souverain ou à un tiers de la Chambre de l'ordonner : «Il suffit que quelques députés déposent la demande. Le président de la Chambre en a la compétence exclusive.» Il a invité les députés de la majorité à cosigner la requête, considérant que «s'ils n'ont rien à se reprocher, cette enquête leur permettra de se disculper.» Une absence d'effet sur les prix M. Hamouni a affirmé que, malgré les sommes engagées, aucun effet tangible n'a été constaté sur les prix. «Lors du débat sur la loi de finances 2023, nous avons averti que ces mesures n'auraient aucun résultat. L'argent public allait se perdre. En 2024, la majorité a persisté, forte de son poids numérique, et a reconduit le dispositif», a-t-il déploré. Le député a conclu son intervention en saluant la décision royale d'annuler, cette année, la célébration du rituel du sacrifice : «Cette décision, à la fois courageuse et empreinte de sagesse, a permis une relative détente immédiate sur le marché de la viande. Ce que le gouvernement n'a jamais pu accomplir.»