Nabil, le boxeur est considéré par ces enfants de la rue de Mohammedia comme le «grand frère» qu'ils n'ont jamais eu. Il met la pression sur ses ouailles de telle sorte qu'ils consacrerent tout leur temps à travailler les biceps sous le regard attentif de leurs mentor. Le jour n'est pas encore lev é, la gare est encore vide, il suffisait pourtant de suivre les rails en direction de Casablanca pour les retrouver, tapis derrière une végétation dense, dormant avec les chiens et les rats. Les enfants de la rue de Mohammedia ressemblent à tous les enfants de la rue, ils frissonnent sous les cartons qu'ils utilisent pour se protéger du froid, mangent en faisant leur marché dans les poubelles. L'un d'eux, le chef de la bande, crie d'une voix mal assurée, qu'il tente de grossir pour paraître plus que son âge. «C'est moi Nabil», lance sur un ton rassurant, mon compagnon. «Tu vois, c'est ici qu'ils vivent, j'en ai déjà récupéré quelques uns, mais c'est toujours difficile de les empêcher de replonger dans le monde terrifiant de la rue». Nabil le boxeur est considéré par ces enfants de la rue comme le «grand frère» qu'ils n'ont jamais eu. Aujourd'hui, le jeune garçon passe son temps à écumer les coins les plus mal famés. Ses poings d'acier sont une garantie certaine pour pénétrer dans ces milieux, mais ce n'est pas sa capacité à se battre qui fait vraiment son succès. «Quand on a vécu l'exaltation du ring, le quotidien paraît bien fade. On ne peut plus vivre normalement», explique Nabil qui ajoute: «monter sur un ring, c'est un tremplin, une étape iincontournable si on veut sortir de la fange». Pour cet orphelin, acculé à 12 ans à faire vivre une famille nombreuse, le ring est le lieu de tous les possibles. « J'ai compris très tôt ce que pouvait faire la boxe pour sortir les enfants de la rue et pour redonner espoir à ceux qui l'ont perdu », martèle le boxeur. La réalité des enfants de la rue qu'il décrit est d'ailleurs insoutenable. Dans la journée, ces enfants de la rue déambulent, vendant des sacs en plastique pour faire les courses. Ils sont aussi la proie des pervers qui les voient sans défense et les forcent à des rapports sexuels contre quelqu'une misère. « Le Maroc n'a pas encore commencé à attaquer ces problèmes de front. La forte structure familiale africaine traditionnelle a fait que, jusqu'ici, il n'y avait pas d'enfants jetés à la rue », soupire Nabil. Nabil et ses comparses ne promettent pas «le grand soir» mais grâce à la boxe, aux règles d'honneur, à un suivi au quotidien, ils apprennent à ces exclus de se réhabituer à vivre dans un cadre où il faut respecter des règles de vie, et où ils doivent tenir compte de l'autre. Cela contribue efficacement à leur re-socialisation. Pour les enfants de la rue, la a est souvent trop avancée pour pouvoir réamorcer un dialogue constructif entre l'enfant et la famille, le personnage semble tout droit sorti des Mémoires de Jake La Motta, mettant en scène la rédemption d'un ex-délinquant. Il met la pression sur ses ouailles de telle sorte, qu'ils n'ont désormais plus le temps de se consacrer à des activités hors norme, car ils se retrouvent tous pour travailler les biceps sous le regard attentif de leurs camarades. Ce qui fascine chez ce « boxeur moral», c'est qu'il considère ce sport comme une discipline où l'éthique n'est pas un vain mot .