À l'heure où les crypto-actifs révolutionnent la finance mondiale, le Maroc s'apprête à franchir le pas dans l'économie numérique. Un avant-projet de loi sur les crypto-actifs, émanant du ministère de l'Economie et des Finances, est mis en consultation publique par le Secrétariat général du gouvernement. Décryptage… Pendant longtemps, les crypto-actifs ont évolué dans un no man's land juridique au Maroc. Tolérés dans les faits, mais interdits de manière officielle depuis une circulaire commune de 2017 émanant de Bank Al-Maghrib (BAM), de l'Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) et de l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS), leur usage suscitait une méfiance structurelle. Cette situation paradoxale est sur le point de basculer, alors que les volumes de transactions en crypto-monnaies réalisés par les Marocains, parfois depuis l'étranger, explosent. Le régulateur a bien compris qu'il ne pouvait plus ignorer ce phénomène globalisé, d'autant plus que le Maroc figure parmi les pays africains où l'adoption informelle des crypto-actifs est la plus dynamique. Un nouveau cap sera donc bien franchi, puisque le projet de loi 42.25 relatif aux crypto-actifs vient d'être soumis par le secrétariat général du gouvernement à consultation publique. Objectif : créer un écosystème sécurisé Le projet de loi 42.25 entend réguler de manière complète et rigoureuse l'ensemble de la chaîne de valeur crypto. Pour ce faire, le texte introduit une définition juridique claire du concept de «crypto-actif», en tant que «représentation numérique d'une valeur qui peut être transférée ou stockée électroniquement à l'aide d'une technologie de registre distribué ou d'une technologie similaire». Cette définition, alignée sur les standards internationaux, permet d'inclure tant les crypto-monnaies comme le Bitcoin ou l'Ether que les tokens d'usage, les stablecoins ou encore les jetons de sécurité. L'arsenal juridique proposé va bien au-delà d'un simple encadrement fiscal ou technique : il vise à instaurer une régulation systémique. Pour assurer une supervision efficace, le texte confie à BAM le rôle d'autorité de régulation des crypto-actifs au Maroc. La Banque centrale, qui travaille sur sa propre monnaie digitale (le dirham numérique), aura la mission de délivrer les agréments aux prestataires de services sur actifs numériques, d'approuver les offres de jetons, de superviser les plateformes d'échange, et de contrôler les opérations sur le marché secondaire. Un régime d'agrément, similaire à celui en vigueur pour les établissements de paiement ou les sociétés de gestion, sera instauré pour les émetteurs de crypto-actifs et les opérateurs proposant des services de conservation, d'échange ou de transfert. Au cœur du dispositif figure la création d'une nouvelle catégorie d'acteurs : les prestataires de services sur crypto-actifs. Ils devront impérativement être agréés, qu'il s'agisse de plateformes d'échange, de fournisseurs de portefeuilles numériques ou d'émetteurs de stablecoins adossés à des devises. Ces prestataires seront soumis à des obligations strictes en matière de sécurité, de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, de transparence, de séparation des comptes clients et de reporting aux autorités. Le texte impose également l'identification systématique des utilisateurs et l'enregistrement de toutes les opérations dans un registre numérique certifié. Soulignons qu'un chapitre entier du projet de loi est dédié à la lutte contre les risques d'abus et de criminalité financière. Inspiré des meilleures pratiques internationales, le cadre réglementaire prévoit une batterie de mesures pour renforcer la traçabilité des flux et éviter que les crypto-actifs ne deviennent des vecteurs d'évasion fiscale, de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme. Les prestataires de services devront ainsi mettre en place des dispositifs de surveillance renforcée, signaler les opérations suspectes et collaborer avec les autorités judiciaires et financières. Le texte prend également en compte la nature volatile et parfois spéculative des crypto-actifs. Pour protéger les investisseurs, une régulation spécifique est prévue pour les ICOs (Initial coin offerings) et les offres de jetons au public. Toute émission de crypto-actifs à destination du public devra être préalablement approuvée par la Banque centrale sur la base d'un document d'information détaillé et certifié. Des sanctions civiles et pénales sont prévues en cas de manquements, de démarchage illicite ou d'escroquerie. Au-delà de la logique répressive, le texte vise à favoriser un écosystème d'innovation responsable. BAM pourra ainsi accorder des dérogations expérimentales via un régime dit de «sandbox réglementaire», afin de permettre à des projets innovants de se développer sous supervision. Ce mécanisme vise à attirer des startups de la fintech, locales comme internationales, et à tester de nouveaux modèles économiques avant leur généralisation. Autre aspect fondamental : la coordination institutionnelle. Le projet de loi institue une plateforme nationale de suivi et de concertation sur les crypto-actifs, réunissant BAM, l'AMMC, l'ACAPS, la Direction du Trésor, la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP) et d'autres autorités compétentes. Cette instance aura pour mission d'assurer une cohérence des politiques publiques, de proposer des adaptations réglementaires et de veiller à la sécurité du système financier. L'avant-projet de loi, actuellement en consultation publique, pourrait encore évoluer, notamment sur les volets relatifs aux fiscalités applicables, aux droits des consommateurs et aux obligations des prestataires étrangers opérant au Maroc. Mais il marque d'ores et déjà une rupture majeure dans la manière dont le Royaume aborde l'innovation financière. Ce que couvre (et ne couvre pas) la future loi sur les crypto-actifs Le projet de loi 42.25 se distingue par sa précision dans la définition du périmètre d'intervention. Contrairement à d'autres législations plus vastes, il n'a pas vocation à réguler l'ensemble de l'écosystème Web3, ni à légiférer sur les infrastructures technologiques décentralisées (comme la blockchain ou les smart contracts). Ce texte ne s'intéresse qu'aux crypto-actifs : c'est-à-dire les instruments numériques susceptibles de circuler, d'être échangés ou utilisés comme valeur ou moyen de paiement, en dehors des circuits monétaires classiques. La loi cible donc les jetons numériques, monnaies virtuelles, stablecoins, et autres actifs cryptographiques à usage économique ou financier. Elle prévoit aussi une protection accrue des investisseurs. Elle impose aux émetteurs d'informer clairement le public sur les risques liés aux actifs proposés, sur leurs caractéristiques techniques et financières, et sur les droits (ou absences de droits) qu'ils confèrent. Les fausses promesses ou les schémas frauduleux pourront être sanctionnés plus sévèrement, y compris par des peines pénales. Sur le plan institutionnel, le texte redéfinit les compétences respectives des régulateurs. L'AMMC sera l'autorité de référence pour les crypto-actifs assimilables à des instruments financiers, tandis que Bank Al-Maghrib supervisera les jetons de paiement et les stablecoins. L'ACAPS pourra intervenir si des produits d'assurance sont tokenisés. Une coordination renforcée est aussi prévue avec le Centre de traitement du renseignement financier (CTRF). Pour les porteurs de projets innovants, la loi introduit un cadre d'expérimentation (sandbox). Celui-ci permettra de tester des usages ou des modèles d'affaires dans un environnement contrôlé, avant une éventuelle généralisation. C'est un outil crucial pour concilier innovation et sécurité juridique. Enfin, les dispositions transitoires ont été pensées pour offrir un délai raisonnable d'adaptation. Les acteurs existants auront plusieurs mois pour se conformer, sans toutefois pouvoir continuer à opérer librement au-delà de la période prévue.