Contre l'oubli, la Ligue marocaine pour la défense des droits humains et l'Association des Marocains expulsés d'Algérie en 1975 ont appelé, hier, le gouvernement algérien à présenter des excuses et à restituer aux victimes leurs biens. «J'avais à peine 8 ans. Il pleuvait des cordes, ce jour-là, lorsqu'ils sont venus nous expulser de force de chez nous. Pourtant, c'était un jour de fête, nous célébrions l'Aïd Al Adha. Mais la joie a cédé la place au drame, mon enfance, s'est arrêtée dès que je me suis retrouvé dans les camps ». Noureddine Daoudi se souvient d'un traumatisme, celui de plus de 45 000 Marocains expulsés le 18 décembre 1975 d'Algérie sans aucun égard à la dignité humaine. « Nous avons tout perdu y compris notre droit de vivre comme les autres. Dans les camps, à quel avenir pouvaient prétendre les enfants marocains ? », s'interroge, amèrement Noureddine Daoudi en quête, depuis, d'une justice ou au moins d'une reconnaissance. Une bataille qu'il mène à travers l'Association des Marocains expulsés d'Algérie en 1975, dont il est actuellement le président. 37 années d'attente Les membres de la ligue marocaine pour la défense des droits humaines et l'Association des Marocains expulsés d'Algérie lors de la conférence organisée hier à Rabat. Avec la Ligue marocaine pour la défense des droits humains, les deux associations ont tenu une conférence de presse, jeudi 3 janvier à Rabat, pour s'insurger contre l'oubli. « Ce dossier n'a pas requis l'importance qu'il mérite et il est temps que cela change », déclare le président de la Ligue, Mohamed Zhari, rappelant que l'expulsion des Marocains a été une décision purement politique dont les victimes collatérales se comptent par milliers. Des familles se sont brisées sous la contrainte, quittant leur travail et laissant derrières elles leurs biens et même leurs documents administratifs et civiles, leur vie toute entière pour un règlement de comptes entre les gouvernements. C'est ce que refusent catégoriquement ces ONG estimant que les victimes ont le droit de réclamer réparation et restitution de leurs biens. « Des hommes, des femmes et des enfants ont vécu dans des conditions inhumaines, une période de cauchemar gravée dans leur mémoire collective. Notre but, aujourd'hui, est d'amener les deux Etats à reconnaître ce dossier tombé dans l'oubli depuis 37ans », précise Mohamed Zhari. L'Algérie doit s'excuser Pour les deux associations, les victimes sont en droit de revendiquer un dédommagement pour la souffrance subie. « Nous appelons l'Etat algérien à présenter ses excuses pour les violations graves qu'il a commises contre les victimes marocaines », lance Maimoun Berkani, premier vice-président de l'Association des Marocains expulsés d'Algérie en 1975. Légitime, cette revendication l'est tout d'abord parce que « l'Algérie est seule responsable » du drame, précisent les associations comptant sur l'Etat marocain pour redoubler d'efforts, surtout au niveau diplomatique. « Plusieurs composantes du gouvernement sont également concernées par le dossier, notamment le ministère chargé des MRE et celui de la Justice et des libertés. Il faut que ces départements acceptent de rencontrer les victimes et ensuite de les soutenir en traitant leur dossier. Nous avons adressé une lettre au chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, et une autre au ministre de la Justice et des libertés, Mustapha Ramid. Le premier ne nous a pas encore répondu, alors que le second s'est contenté de nous dire que le dossier ne relève pas de sa compétence », regrette Noureddine Daoudi. Le combat ne fait que commencer, à en croire le constat de ces ONG convaincues, pourtant, que les deux pays ont, à travers ce dossier, l'occasion de se rapprocher en levant les frontières par la voie de la Cour internationale de justice. « Le Maroc et l'Algérie doivent cesser leur course à l'armement pour investir ce genre de dépenses dans des projets de développement bilatéral », estiment-elles. Question de justice « Le contexte international est très favorable pour que justice soit rendue à ces victimes », pense la militante des droits de l'Homme, Amina Houari Messaoudi, avocate marocaine aux barreaux de Rabat et de Paris. Pour elle, le dossier s'inscrit dans une dimension à la fois internationale et politique mais il n'a fait l'objet d'aucune action concrète pour aboutir à des résultats. « J'ai mené mon enquête auprès des victimes et recueilli leurs témoignages poignants d'une réelle tragédie », confie-t-elle, avant de s'emporter contre l'inertie à laquelle le dossier a été condamné : « Il a été rangé dans les tiroirs poussiéreux, tandis que l'Algérie, et plus précisément son armée, voue au Maroc une haine incomparable et use des coulisses de la diplomatie contre nos intérêts. Pourquoi sommes-nous restés silencieux ? Avons-nous peur ? », s'exclame-t-elle. La loi internationale Les associations, qui plaident pour les victimes marocaines d'expulsion d'Algérie, veulent faire de ce jeudi 3 janvier 2013 le début d'un militantisme acharné. « Nous sommes prêts à fédérer nos efforts avec ceux des autres ONG pour que ce dossier connaisse enfin une issue », souhaite Mohamed Zhari. A ces ONG, une référence commune : la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Dans son article 24, celle-ci stipule que tout travailleur migrant et tout membre de sa famille a droit à la reconnaissance en tous lieux de leur personnalité juridique, alors que l'article 25 garantit un traitement favorable et équitable aux employés étrangers. Sur cette base, les associations comptent constituer un dossier solide avant de saisir la justice internationale. * Tweet * * *