Le dernier rapport de l'Afreximbank, publié fin mai, sonne l'alarme : la dette publique du Maroc franchit un seuil critique, estimée à plus de 71 % du PIB. Ce constat, confirmé par plusieurs sources nationales et internationales, révèle une trajectoire de dépendance au financement externe, et pose clairement la question de la soutenabilité de la dette à moyen terme. Le rapport "State of Play of Debt Burden in Africa and the Caribbean" de l'Afreximbank révèle que le Maroc représente 5,9 % de la dette extérieure totale de l'Afrique, se classant ainsi parmi les dix pays les plus endettés du continent. Parallèlement, le ratio dette/PIB dépasse la barre des 71 %, franchissant le seuil critique établi par les institutions financières internationales. Cependant, les projections du Haut Commissariat au Plan (HCP) pour 2025 font état d'une dette publique globale stabilisée à 83,3 % du PIB, dont une dette publique directe avoisinant 69,9 %. Cette structure est marquée par une prédominance de la dette intérieure (52,4 %) et la progression inquiétante de la dette extérieure garantie (13,4 %). Le Wali de Bank Al‐Maghrib, lors de la réunion du Conseil du 18 mars 2025, a lancé une note d'alerte sur la fragilité croissante des finances publiques, en raison d'un environnement géopolitique incertain, de la hausse des taux internationaux, et des pressions inflationnistes persistantes. Il a souligné que la soutenabilité de la dette dépend de « mesures prudentes pour maintenir la stabilité monétaire et budgétaire. Au-delà du simple niveau d'endettement, c'est la structure même de la dette marocaine qui soulève aujourd'hui de vives inquiétudes. Loin d'être homogène, elle expose le pays à une série de vulnérabilités systémiques qui fragilisent sa résilience budgétaire et financière. Lire aussi : Les créanciers européens dominent la dette publique extérieure du Maroc En premier lieu, le poids croissant de la dette extérieure – contractée en devises et souvent à taux variable – rend le Maroc particulièrement exposé aux aléas des marchés internationaux. Le resserrement monétaire dans les pays développés, combiné à la volatilité des taux d'intérêt, alourdit mécaniquement le coût du service de la dette. Dans un contexte où le dirham reste partiellement ancré à un panier de devises, la moindre dépréciation du change accroît le risque de renchérissement de la dette libellée en dollars ou en euros. Cette pression est d'autant plus préoccupante que le service de la dette absorbe une part croissante des recettes publiques. Selon les données du ministère des Finances, les charges d'intérêts et de remboursement grèvent significativement les marges budgétaires, réduisant l'espace disponible pour les investissements d'avenir dans les secteurs sociaux, l'infrastructure ou la transition énergétique. À cela s'ajoute une tension sur le marché intérieur. La dette domestique, qui représente désormais plus de 52 % du PIB, pèse lourdement sur la liquidité bancaire et la capacité du secteur privé à accéder au crédit. En captant une part significative des ressources financières locales, l'Etat risque de provoquer un effet d'éviction au détriment de l'investissement productif. A contrario, l'absence de trajectoire claire de désendettement à moyen terme constitue un facteur d'incertitude majeur. Si les autorités prévoient une stabilisation du ratio dette/PIB autour de 83 %, aucun scénario crédible de réduction soutenue ne semble pour l'heure se dessiner. Cette absence d'ancrage budgétaire renforce le sentiment d'un équilibre instable, tributaire d'une croissance robuste mais encore fragile. Un tournant politique à ne pas manquer Face à cette accumulation de risques, le temps du pilotage à vue semble désormais révolu. Une réponse structurelle s'impose, à la hauteur des enjeux budgétaires, financiers et sociaux que pose l'endettement public. La première urgence consiste à rétablir une trajectoire de consolidation budgétaire crédible. Cela suppose non seulement une meilleure maîtrise des dépenses courantes, mais aussi une capacité à hiérarchiser les priorités d'investissement. Une réforme de la loi organique relative à la loi de finances pourrait offrir un cadre renforcé pour ancrer une discipline budgétaire durable, jugent certains experts. Parallèlement, le Maroc pourrait aussi s'atteler à élargir ses sources de financement en réduisant sa dépendance aux emprunts. Cela passe inévitablement par une refonte ambitieuse du système fiscal, visant à élargir l'assiette, renforcer la progressivité et lutter contre l'évasion. La mobilisation des recettes non fiscales – notamment à travers la valorisation du patrimoine de l'Etat et une gouvernance améliorée des établissements publics – constitue également un levier à activer. La soutenabilité de la dette ne saurait être abordée comme un simple exercice comptable. Elle engage, en réalité, la capacité du pays à maintenir son indépendance financière, à préserver la confiance des marchés, et à garantir à sa population un avenir économique soutenu. Le Maroc est aujourd'hui à la croisée des chemins. Entre rigueur budgétaire, réformes fiscales et ambition industrielle, c'est l'ensemble de son modèle de développement qui est en jeu.