La pression juridique s'intensifie sur les Etats face à l'urgence climatique dans un contexte où la question des « réparations climatiques » – longtemps taboue dans les négociations internationales – prend une dimension juridique nouvelle, susceptible de faire évoluer le rapport de force Nord-Sud au sein des instances multilatérales. Les tribunaux internationaux occupent une place croissante dans la gouvernance climatique mondiale, au moment où les blocages politiques freinent la transition écologique. À l'instar de la Cour internationale de justice (CIJ), qui doit prochainement rendre un avis historique sur les obligations légales des Etats face au changement climatique, la justice s'impose de plus en plus comme levier pour contraindre gouvernements et entreprises à rendre des comptes. La multiplication des litiges environnementaux traduit une stratégie assumée d'activisme judiciaire. Face à l'inaction des pouvoirs publics, citoyens, ONG et pays vulnérables se tournent vers les tribunaux pour exiger la mise en œuvre concrète des engagements climatiques. Selon Andrew Raine, du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), « le droit est de plus en plus perçu comme un outil permettant d'accroître les ambitions et de faire respecter les engagements », dans un contexte de frustration croissante. Cette dynamique s'appuie sur un corpus scientifique de plus en plus robuste, alimenté notamment par les rapports du GIEC, qui renforcent la recevabilité juridique des plaintes. D'après l'Institut Grantham, près de 3 000 procédures judiciaires liées au climat étaient en cours fin 2024 dans près de 60 pays, un chiffre en forte hausse. Lire aussi : L'Afrique à l'épreuve de la justice fiscale Des décisions qui font jurisprudence Certains verdicts ont déjà marqué un tournant. En 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a ordonné au gouvernement de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25 % dans l'année, donnant raison à l'ONG Urgenda. Deux ans plus tard, la Cour constitutionnelle allemande a jugé inconstitutionnelle l'inaction climatique, estimant qu'elle faisait peser un fardeau excessif sur les générations futures. En 2024, le Tribunal international du droit de la mer a innové en qualifiant les émissions de carbone de « polluants marins », obligeant les Etats à en limiter l'impact sur les océans. Surtout, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a, début juillet, élevé les dommages environnementaux massifs au rang des interdits fondamentaux du droit international, aux côtés du génocide ou de la torture. Pour Cesar Rodriguez-Garavito, directeur du Climate Law Accelerator à l'université de New York, cette affirmation constitue « la déclaration la plus ferme jamais formulée par une cour internationale sur le devoir des Etats d'éviter des destructions écologiques graves et irréversibles ». C'est dans ce contexte qu'est attendu l'avis de la Cour internationale de justice, saisi par le Vanuatu, Etat insulaire menacé par la montée des eaux. Au-delà des obligations générales de réduction des émissions, la CIJ pourrait aussi se prononcer sur le principe de responsabilité des Etats pollueurs à l'égard des dommages subis par les pays vulnérables. Même s'il n'est pas juridiquement contraignant, cet avis pourrait avoir des conséquences durables. Il orienterait la jurisprudence nationale, éclairerait les processus législatifs et renforcerait la légitimité des revendications des victimes du dérèglement climatique. « Cela n'oblige pas les Etats à agir, mais cela leur montre où en est la loi et dans quelle direction ils doivent aller », souligne Andrew Raine.