La réalité institutionnelle actuelle laisse entrevoir une réduction notable de l'espace délibératif, marqué par un affaiblissement du contrôle parlementaire, une raréfaction du dialogue interpartisan et une verticalité croissante dans la prise de décision. Si l'action gouvernementale s'est construite dans une forme de fermeture au débat contradictoire, le RNI d'Aziz Akhannouch se considère déjà comme le héraut des élections de 2026, malgré les polémiques, les scandales, les échecs, les rapports accablants et les conflits d'intérêts. Attention danger ! Pour la majorité actuelle, l'intégrité du débat démocratique est dans l'adhésion inconditionnelle à tout, non dans la confrontation méthodique des visions que se forge une politique publique à la hauteur des exigences de l'histoire. Les scandales se succèdent, les tensions sociales s'accumulent et Aziz Akhannouch, glissent ses détracteurs, est devenu un chef du gouvernement intermittent. Les propos tenus par Mohamed Chouki, figure parlementaire du Rassemblement national des indépendants (RNI), lors d'un colloque organisé le 16 avril par la Fondation Lafqui Titouani, offrent une illustration exemplaire du discours hégémonique que tente d'imposer la majorité actuelle jusqu'à 2030. S'exprimant avec une assurance déconcertante, le député a encensé «l'unité» du gouvernement et sa «rigueur dans l'application du programme souverainement validé par les urnes», tout en reléguant l'opposition au rang d'«agrégat fragmenté, guidé par les affects et les illusions.» Derrière cette dialectique volontairement tranchée, c'est un refus manifeste de l'autocritique qui transparaît. Le RNI use des mêmes méthodes du PJD version 2016 : le recours systématique à la légitimité électorale comme clef de voûte de l'action publique pour dispenser le pouvoir de toute forme de redevabilité technique, de toute rigueur méthodologique dans l'évaluation de ses politiques. Failles budgétaires et absence de pilotage stratégique L'argument d'une «solidité des arbitrages» économiques avancé par M. Chouki ne résiste pas à l'examen. Le déficit public structurel s'installe dans la durée; les recettes, grevées par une architecture fiscale étroite et peu redistributive, sont confrontées à des dépenses rigides, souvent reconduites sans réexamen critique. Le gouvernement, a fait le choix d'un endettement extérieur croissant, exposant la souveraineté financière marocaine à des turbulences monétaires internationales. Le chômage et l'inflation explosent, la classe moyenne disparaît et les gouffres sociaux s'élargissent. Par ailleurs, la généralisation de la couverture sociale – présentée comme l'un des chantiers phares du quinquennat – souffre de lourdeurs administratives, d'un ciblage incertain et d'un flou persistant quant à son financement sur le moyen terme. La promesse d'un «Etat social» repose sur des fondations budgétaires précaires et un appareil de gestion qui n'a pas encore fait ses preuves. Une politique de compensation aux effets inégalement répartis Le député du RNI s'est félicité des «dispositifs ciblés» mis en place pour amortir la hausse des prix et préserver le pouvoir d'achat. Mais cette approche demeure cloaque, fragmentaire et inégalement appliquée. L'absence d'un registre social fiable, centralisé ainsi que la faible coordination entre les administrations ont limité la portée de ces mécanismes. De nombreuses familles, notamment issues de l'économie informelle, restent en marge des aides directes promises. Dans le même temps, le soutien aux secteurs stratégiques s'est souvent opéré en dehors de toute concertation structurée avec les partenaires sociaux et économiques. Les appels répétés à la «rationalité économique» occultent mal l'improvisation qui a caractérisé certains arbitrages. Une majorité peu encline au dialogue institutionnel Surtout, le RNI refuse d'être mis en cause. Lorsque M. Chouki affirme que «la majorité ne fait qu'exercer le mandat confié par les urnes», il élude une réalité institutionnelle plus préoccupante : la marginalisation croissante des contre-pouvoirs. La concentration des décisions dans l'exécutif, la faiblesse du débat parlementaire et la mise à l'écart de nombreuses propositions issues de la société civile et des groupes d'opposition nourrissent un climat de fermeture démocratique. L'argument prétendu d'efficacité ne saurait justifier l'affaissement progressif des exigences délibératives. En réduisant toute critique à une forme de «rêverie romantique», la majorité adopte une posture défensive, peu compatible avec l'esprit pluraliste que requiert toute démocratie vivante. La déclaration finale de M. Chouki, selon laquelle «le jour viendra où les Marocains mesureront la portée des transformations enclenchées», révèle une rhétorique de la promesse différée, souvent mise en avant lorsque les résultats tardent à se matérialiser. Or, aucune politique publique ne peut se soustraire indéfiniment à l'épreuve des faits.